ENTRETIEN AVEC LE PATRIARCHE SYRIAQUE-CATHOLIQUE D'ANTIOCHE S.B. IGNACE MOUSSA 1ER DAOUD
"Ma nomination en tant que préfet de la Congrégation des Églises orientales, un choix personnel de S.S. Jean-Paul II"

Le 25 novembre 2000, S.B. Mgr Moussa 1er Daoud, patriarche syriaque-catholique, a été officiellement nommé par le Saint-Père, préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales pour succéder au cardinal Achille Silvestrini. Le 10 janvier 2001, il prendra possession de sa nouvelle charge et démissionnera, probablement, de sa fonction patriarcale. Mgr Daoud est né le 18 septembre 1930 à Maskané, village proche de Homs en Syrie. En 1941, il entre au séminaire St-Ephrem à Jérusalem, tenu par les Bénédictins. En 1948, suite à la guerre israélo-arabe, ce séminaire est transféré au couvent de Cherfé au Liban et le jeune séminariste y poursuit ses études de philosophie et de théologie. Il est ordonné prêtre en 1954 et retourne à son diocèse d’origine à Homs. En 1962, il est envoyé à Rome pour étudier le droit canon à l’Université du Latran. En 1970, il est nommé secrétaire du patriarcat, charge qu’il occupe pendant sept ans pour être, ensuite, sacré évêque du diocèse du Caire en 1977, charge qu’il assume durant dix-sept années. Le 13 octobre 1998, il est élu patriarche de l’Eglise syriaque-catholique d’Antioche. Canoniste, il occupe à ce titre de multiples charges: consultateur; puis, membre de la commission de révision du droit canon. Il préside la commission de la traduction du latin en arabe du droit canon des Eglises orientales. Sa préférence est pour la pastorale, le dialogue et le contact avec les gens et, a à son actif dans ce domaine, de multiples réalisations. Nous accueillant au siège du patriarcat à Beyrouth, sis près du Musée national, il affirme en toute simplicité: “Oui, cela me coûte de quitter le Liban et mon patriarcat. C’est pour moi un arrachement à tout ce que j’aime”.

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C’est la première fois que le chef d’une Eglise d’Orient est nommé à une telle charge. Quelle en est la signification? Par le passé dans les années cinquante, un évêque grec-catholique d’Alep, Mgr Akatios Koussa avait été nommé secrétaire de la Congrégation pour les Eglises orientales, le Saint-Père en étant, à l’époque, lui-même le préfet. Quant à moi, j’ai été nommé préfet de cette Congrégation et c’est la première fois qu’un Oriental, un Arabe et un Libanais accède à cette haute charge. Quelles en sont la portée et l’importance? Par cette nomination, S.S. Jean-Paul II a voulu honorer les Eglises orientales, confirmer que le Saint-Siège les prend pleinement en considération, leur donne confiance en elles-mêmes, affirme l’attachement à leurs traditions et coutumes dans l’esprit de Vatican II. Plus spécifiquement, pourquoi le choix s’est-il porté sur Votre Béatitude? Il faut le demander au Saint-Père, car ma nomination a été son choix personnel. Y a-t-il entre vous une connaissance profonde? Le Saint-Père me connaît comme tant d’autres évêques et patriarches; je ne peux pas dire qu’il y a entre nous une connaissance personnelle ou une amitié profonde. Je crois plutôt que Jean-Paul II voulait une personnalité orientale pouvant jouer un rôle de médiateur et d’interlocuteur entre les différentes Eglises, entre chrétiens et musulmans. Ma formation en droit canon, mes différentes missions pastorales, mon ouverture, ma disposition au dialogue, mes relations publiques ont, peut-être, joué en ma faveur. Je suis né en Syrie, j’ai étudié en Palestine; j’ai servi au Liban, en Syrie, en Egypte et je suis un canoniste. J’ai présidé la commission de la traduction du latin en arabe du droit canon des Eglises orientales.

Est-ce par pure coïncidence ou une volonté délibérée du Vatican que Votre Béatitude et le nouveau patriarche des grecs-catholiques, êtes tous deux d’origine syrienne?
Ma nomination, en premier; puis, l’élection du patriarche Grégorios III Lahham n’ont rien à voir avec notre nationalité d’origine. C’est en ma qualité de fils de l’Eglise, non en tant que Syrien que le Saint-Père m’a choisi, mais pour mes différentes missions dans le monde arabe.

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POUR UNE NOUVELLE MISSION
Vous a-t-on demandé votre avis avant cette nomination?
Pas du tout. Le 15 novembre, le Nonce apostolique à Beyrouth a demandé à me voir et m’a annoncé que j’étais nommé préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales. Surpris, je lui ai demandé pour m’assurer de cette annonce: Est-ce pour succéder au cardinal Silvestrini? Mais, lui dis-je, je ne suis guère préparé à cette tâche. Il m’a répondu: “On ne peut rien refuser au Saint-Père. Il vous a nommé, vous devez accepter. C’est la coutume dans l’Eglise catholique”. Je me suis, alors, rendu à Rome où j’ai rencontré S.S. Jean-Paul II et le cardinal Sodano. L’annonce officielle de ma nomination a été faite le samedi 25 novembre à midi, simultanément à partir de la Cité du Vatican et de Beyrouth.

Concrètement, comment les choses vont se passer? Allez-vous être promu cardinal et résiderez-vous au Vatican?
Je ne sais pas si je vais être nommé cardinal, mais cette charge est liée à la dignité cardinalice. Je vais prendre possession de ma fonction le 10 janvier 2001 et je pense, à ce moment, démissionner de ma charge de patriarche. Bien sûr, je résiderai au Vatican.

Ne vous coûte-t-il pas de quitter le patriarcat et le Liban?
Enormément! Car j’étais très lié à ce pays, au patriarcat, à mes évêques, mes prêtres et mes fidèles. Deux années après mon élection à la tête de la communauté, je commençais à m’organiser. Et voilà qu’on me demande de partir. Je dois tout laisser et commencer une nouvelle mission. Cela me coûte, car je devrais, sans doute, changer de mode et de rythme de vie. Je suis de vocation pour la pastorale; j’aime être proche des gens et à leur écoute. J’ai été curé pendant quinze ans, évêque pendant vingt-deux ans. Alors que dans ma nouvelle fonction au Vatican, il me semble que je serais davantage un administratif. Quant à mes fidèles, ils ont manifesté leur joie, leur fierté et, en même temps, leur tristesse de me voir partir.

C’est un peu votre destin dirait-on! Chaque fois que vous êtes bien quelque part vous êtes appelé ailleurs.
C’est vrai et cela s’est produit cinq à six fois dans ma vie. En Egypte, où j’ai été évêque pendant dix-sept ans, les meilleures années de ma vie sacerdotale. J’avais d’excellents contacts avec toutes les communautés: copte, arménienne, grecque, etc... Je travaillais avec les paroisses, les évêchés... Je pensais pouvoir rester pour toujours au Caire et y finir mes jours. Mais on m’a rappelé pour de nouvelles missions, en Syrie et au Liban.

EN CHARGE DES ÉGLISES D’ORIENT
Succéder à une personnalité de la trempe du cardinal Silvestrini ne doit pas être une mission facile?
Pas du tout et je m’en rends compte de jour en jour. Surtout que je dois m’engager dans un nouveau domaine où il y aura beaucoup à faire.

En quoi, au juste, consiste cette haute charge?
En tant que préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, je devrais m’occuper de tous les problèmes qui concernent ces Eglises, aussi bien sur le plan canonique, qu’administratif, religieux, pastoral, etc... M’occuper, aussi, de la relation avec les Eglises orthodoxes, non pas en ce qui concerne la question de l’Unité qui, elle, est confiée à un Conseil pontifical présidé par le cardinal Cassidi, mais pour tout ce qui est relationnel et bons rapports. Pour vous donner une idée plus précise de l’étendue de la tâche qui m’attend, j’établis un parallèle avec les latins. Ils ont plusieurs congrégations pour traiter différents sujets: nomination des évêques, béatification, etc... Chez nous, tout est concentré dans la Congrégation pour les Eglises orientales.

Quels problèmes auriez-vous à traiter en priorité?
En prenant possession de ma charge, je pourrais étudier les dossiers et voir ce qu’il y a de plus urgent. Je pense que les questions des prérogatives des synodes, des droits des patriarches, de l’expansion de la juridiction patriarcale en dehors des territoires patriarcaux, la nomination des évêques, la place de la tradition face au développement du droit canon oriental, figurent au nombre des priorités à traiter.

REDONNER CONFIANCE AUX GENS
Qu’en est-il du problème particulièrement préoccupant de la diminution de la présence chrétienne dans cet Orient qui a donné naissance au christianisme?
Ce problème préoccupe au plus haut niveau les chefs spirituels de la région, du Liban, en particulier. Autant les laïcs que les religieux y sont concernés. De fait, la présence chrétienne a énormément baissé dans cet Orient qui, autrefois, était entièrement chrétien. Le christianisme y était encore majoritaire au début du XXème siècle ou, du moins, présent dans une large proportion. Puis, cette présence a commencé à diminuer de manière inquiétante: il n’y a plus qu’une poignée de chrétiens en Terre Sainte, en Irak, en Turquie. En Syrie, ils ne sont pas plus que 10%. Même au Liban, on relève une nette diminution.

Que faire pour contrecarrer ce mouvement de départs qui touche, en ce moment, plus particulièrement le Liban et les jeunes, en premier lieu? Dans le cadre de différents congrès, rencontres et réunions, les patriarches et évêques se sont penchés sur cette question cruciale affirmant qu’il est essentiel et primordial de redonner confiance aux gens, de les rassurer sur leur avenir afin de freiner les départs, sinon le mouvement sera irréversible. Dans ma nouvelle tâche, je travaillerai dans toute la mesure de mes prérogatives et de mes moyens à rassurer, non seulement les jeunes, mais les familles entières qui partent, à leur redonner confiance en l’avenir de ce pays et de cette région où la présence chrétienne est une nécessité.

Quels sont vos rapports avec les syriaques-orthodoxes?
Les conflits d’autrefois sont, maintenant, dépassés. Nous avons initié entre nous un dialogue fraternel et œcuménique et avons formé une commission épiscopale ayant à sa tête les deux patriarches, groupant trois évêques syriaques-orthodoxes et trois évêques syriaques-catholiques. Elle se réunit, régulièrement, tous les six mois pour étudier les problèmes qui peuvent émerger et chercher les moyens pour nous rapprocher. Cela ne va peut-être pas aboutir du jour au lendemain, mais on y travaille.

ASSOUPLIR LES POSITIONS DE BKERKÉ
Qu’en est-il de vos rapports avec S.B. le patriarche maronite Mgr Nasrallah Sfeir? Vous concertez-vous régulièrement?
Nos rapports sont excellents et la concertation est suivie. Nous avons en commun des organismes officiels. D’ailleurs, toutes nos Eglises sont syriaques à la base. Je suis membre du Conseil des patriarches, membre du comité exécutif de l’Assemblée des patriarches et des évêques catholiques.

Partagez-vous son point de vue concernant la présence et le rôle syriens au Liban?
Lorsque nous avons discuté cette question avec le patriarche Sfeir dans le cadre de la dernière Assemblée des patriarches et des évêques, nous avons apporté un certain assouplissement par rapport à la position initiale adoptée par Sa Béatitude. Le patriarche Sfeir a toute latitude de prendre les initiatives et de s’exprimer tel qu’il l’entend. En ce qui nous concerne, étant donné notre présence plus active en Syrie, en Egypte et en Palestine, nous ne pouvons adopter la même position. D’ailleurs, tel que chacun a pu le constater, il y a eu un assouplissement dans le communiqué final de l’Assemblée des patriarches et évêques. Alors que le discours d’ouverture du patriarche Sfeir était semblable au communiqué des évêques maronites.

Etes-vous en rapport avec le président syrien Bachar Assad?
Non, je n’ai pas de rapport spécifique avec le président Assad. Je l’ai rencontré une fois avant son accession au Pouvoir. On a eu un entretien satisfaisant de trois-quarts d’heure. Par ailleurs, en plus de ma nationalité d’origine syrienne, je suis citoyen libanais.

Comment avez-vous eu la nationalité libanaise?
En devenant patriarche, le président de la République, le général Emile Lahoud m’a accordé la nationalité libanaise.

Et vous sentez-vous Libanais à part entière?
Tous les chrétiens du Proche-Orient se sentent Libanais, sans renier leur patrie.

Voyez-vous une solution pour Jérusalem?
Elle est au cœur du problème régional et constitue une clé essentielle de la paix. Les Arabes ne peuvent accepter d’être dessaisis de la Ville Sainte et ils ont raison. Les juifs ne veulent pas non plus lâcher prise. En tant qu’Arabes, nous continuerons à défendre l’arabité de Jérusalem.

Et en tant que chrétien?
La politique du Vatican veut que les Lieux saints soient ouverts à tout le monde avec de garanties internationales sous l’ombrelle des Nations Unies.

LE LIBAN DEMEURE PRÉSENT DANS MA PENSÉE
A l’approche de votre départ pour le Vatican, quel est votre message aux Libanais?
Je n’oublierai jamais le Liban qui sera, continuellement, présent dans ma pensée et dans mon action pour défendre sa cause. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’aider à recouvrer son unité, sa pleine souveraineté et son entente nationale. De même, la restitution du Golan à ses propriétaires, la souffrance du peuple irakien, le Sud libéré, le problème de Jérusalem, l’instauration d’une paix juste et globale seront toujours présents dans mon esprit et mon action. Quant à ma communauté et aux fidèles, je les quitte, mais je ne les oublierai pas. Ils m’ont tant donné de leur amour.

300 Ans de présence Au liban

Dans le cadre de cette rencontre, S.B. Mgr Moussa 1er Daoud a évoqué la situation de sa communauté. “Nous sommes très dispersés, dit-il, vivons dans la diaspora et comptons au total 300.000 fidèles.” Les syriaques-catholiques sont présents au Liban (25.000 personnes) en Syrie, en Egypte, en Irak, en Terre Sainte, en Turquie, en Europe et dans les deux Amériques. Au Liban, leur présence remonte à trois cents ans. Arrivés en 1703, ils ont construit le couvent historique de Saint-Ephrem à Chébaniyeh qui a contribué à la renaissance culturelle et spirituelle au Liban et dans le monde arabe. Mais suite aux événements de 1841 et 1860, qui ont meurtri le Mont-Liban, le couvent a été abandonné. “Nous sommes en train de le restaurer”, affirme Sa Béatitude. C’est en 1784, qu’un premier patriarche syriaque-catholique s’est installé au Liban. Il fuyait Mardine et Deir Zaafarane qui était, alors, le siège des syriaques-orthodoxes. Il a habité Beit-Chabab; puis, a décidé de choisir un emplacement à son siège situé entre le patriarcat maronite à Bkerké et celui des Arméniens-catholiques à Bzommar; son choix s’est porté sur Cherfé à Dar’oun. Mais les patriarches qui lui ont succédé n’ont pas tous résidé au Liban. Certains sont restés en Syrie, d’autres en Irak ou en Turquie. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle et au début du XXème que le Liban est devenu le siège permanent des syriaques-catholiques avec le patriarche Rahmani. Ce choix a été légalisé par une décision du synode des évêques et l’approbation du Vatican sous le cardinal Tapouni qui a construit, en 1932, à Beyrouth, l’actuel siège permanent du patriarcat. Le patriarche Daoud déplore, par ailleurs, le fait qu’il n’y ait jamais eu un ministre ou un député de la communauté qui ne manque pas de personnalités compétentes. “Nous demandons, dit-il, que la représentation des minorités au sein de la Chambre se fasse à tour de rôle. Nous aurions, ainsi, de temps à autre, un député au parlement.”

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