Dans Cette Rubrique
CHARLES HÉLOU
UN ÊTRE EXCEPTIONNEL AYANT MARQUÉ SON TEMPS
ligne
FUNÉRAILLES OFFICIELLES ET POPULAIRES
AU PRÉSIDENT DÉFUNT
ligne
CREDO LIBANAIS
ligne
CHARLES HÉLOU
UN ÊTRE EXCEPTIONNEL AYANT MARQUÉ SON TEMPS

Le président Charles Hélou s’est éteint le matin du dimanche 7 janvier, suite à un arrêt cardiaque. Il a choisi, dirait-on, de partir à l’heure où le Vatican clôturait le grand jubilé du millénaire. En lui, le Liban perd un être d’exception aux grandes qualités d’esprit et de cœur. Tous les hommages qui lui ont été rendus témoignent de la place qu’il occupait au sein de la nation et bien au-delà et de la force de son message. “Sa mémoire vivra éternellement comme les Cèdres du Liban”, écrit le chef de l’Etat, le général Emile Lahoud sur le registre familial des condoléances à Kaslik. Journaliste et homme de lettres, il maniait merveilleusement le verbe et l’on a tant à apprendre de lui. Homme d’Etat, il s’est impliqué à fond au service de sa patrie. Il chérissait le Liban avec un sens démocratique réel qui devrait nous servir de modèle. Il croyait en la force du dialogue et était en avance pour son temps, dans son contexte. Fin diplomate, il a porté haut et loin le nom du Liban par les amitiés profondes qu’il a tissées, au fil des ans, par ses écrits, par sa pensée humaniste universelle, par son engagement continu pour la francophonie dont il a si bien mérité le nom de “père” et de “chantre” lui donnant sa véritable dimension. Lettré subtile, d’une vaste culture doublée d’une mémoire prodigieuse, il avait un don indéniable de la parole avec cette éloquence du mot, la profondeur et la précision de la pensée et toujours une fine pointe d’humour. Son action socio-humanitaire couronne cette vie intensément remplie, surtout avec la création des “restaurants du cœur”. Quant à sa foi profonde et authentique, elle fut son véritable bouclier protecteur, au fil des ans face aux épreuves du destin et de la souffrance d’une nation qu’il ressentait au plus profond de son être.


Fils de Baabda, Charles Hélou est né à Beyrouth où ses parents s’étaient installés au début du siècle. Dans un témoignage écrit récemment, il évoque son enfance: “Voici l’histoire d’un enfant du Liban qui vit le jour le 25 septembre 1913 à Beyrouth, à l’abri d’une antique maison de la rue de Damas dans la partie alors nommée Karakol el-Abed”. Quatrième enfant d’une famille de trois filles et deux garçons, il n’a que cinq ans lorsque son père Iskandar, brillant pharmacien, succombe à une bronchite. “Ma mémoire, dit-il, n’a conservé de lui que de fragiles traces”. Il se rappelle, notamment, que c’était un excellent conteur qui, le soir, réunissait ses enfants pour leur raconter des histoires de Antar et de La Fontaine. Sa mère, Marie Nahas, fille d’un riche commerçant de Bab Touma (Damas), prend la direction de la pharmacie et gère les économies laissées par son époux. “Rien ne l’avait préparée, dira Charles Hélou, à l’énormité de pareilles responsabilités. Les problèmes de jour en jour s’accumulèrent. Fière et courageuse, elle essaya d’y faire face”. A l’âge de six ans, il entre au petit collège de l’Université Saint-Joseph et se rappelle ces jours disant: “Vieux plumiers en bois aux couvercles décorés de vives couleurs, vous êtes les plus anciens écrins de ma mémoire”. Il arrive au baccalauréat français (il n’y avait pas encore de bac libanais) à l’âge de 15 ans en brillant candidat et doit obtenir une dispense pour être admis à l’examen avant l’âge réglementaire qui était de 16 ans. Il obtient, en fin d’étude, “le prix d’honneur” de philosophie (décerné par l’amicale des anciens) qui avait pour sujet: “Les mathématiques sont une forme des humanités”. A l’âge de 87 ans, il se rappelle toujours de sa conclusion: “C’est pourquoi, disais-je, Platon, le divin Platon avait inscrit à la porte de son Académie: “Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre”. A la faculté française de Droit de Beyrouth, il obtient sa licence en 1933, sort premier de promotion et fait son stage à l’étude de Me Georges Béchara.

photo
Le président Emile Lahoud rendant visite au président Charles Hélou.
 
photo
Le président Charles Hélou avec le président Elias Hraoui...

FIGURE DE PROUE DU JOURNALISME
Très jeune, Hélou se lance dans le journalisme dont il devient rapidement une figure de proue. Il possède, alors, un don incontestable de la parole, de l’écriture et le mot occupera dans sa vie une place de premier plan. En 1930, il est sollicité pour diriger le journal “L’Eclair du Nord” paraissant à Alep (Syrie). “Je touchais un salaire mensuel de 100 L.L.”, confie-t-il, alors qu’au ministère des Finances où il avait commencé à travailler, son salaire mensuel était de 30 livres seulement. A Beyrouth, il dirige ensuite la revue “Information”, connue pour son opposition à Charles Debbas, mais c’est à travers “Le Jour” dès 1934 qu’il s’affirme et s’impose dans le monde de la Presse. Fondé par Charles Ammoun et dirigé par Michel Chiha, l’un de nos grands penseurs et écrivains libanais, “Le Jour”, quotidien libanais d’expression française, défend les idées du “Destour” (parti constitutionnel) présidé par cheikh Béchara el-Khoury. Michel Chiha, maître de pensée de toute une génération, confie à Charles Hélou la direction politique du journal. Celui-ci s’engage dans ses articles en faveur des idées destouriennes face à un autre quotidien, “L’Orient” de Georges Naccache, qui défendait les idées d’Emile Eddé et de son parti le “Bloc national” (B.N.). En 1936, il collabore à la fondation du mouvement Kataëb, qui deviendra, par la suite, un parti politique, mais s’en retire rapidement. En 1943, il est aux côtés de Béchara el-Khoury et des responsables détenus à Rachaya. Lorsque le général Catroux le reçoit pour connaître son point de vue sur cette crise, il lui redit ce qu’il avait déjà écrit plus d’une fois dans ses articles: “Que la première mission du mandataire est de nous apprendre comment nous passer de lui”. Au début du mandat du président Béchara el-Khoury, Charles Hélou partage ses activités entre le journalisme et l’avocature. Il ne tarde pas à être appelé à la vie politique et se plaît souvent à dire dans ses interviews: “Le journalisme mène à tout à condition de savoir en sortir”.

photo
... Avec le président Sleimane Frangié...
 
photo
... Entouré des présidents Elias Sarkis et Takieddine Solh...

LES DÉBUTS D’UNE LONGUE CARRIÈRE POLITIQUE
En 1946, âgé de 33 ans, il est nommé premier représentant du Liban près le Saint-Siège, à titre de ministre plénipotentiaire et d’envoyé extraordinaire. Ce fut son premier voyage par avion et sa première mission diplomatique. D’ailleurs, l’art de la diplomatie sera l’une des caractéristiques de ce grand homme d’Etat. Il a souvent évoqué sa vive émotion face à Pie XII, au moment où il lui présentait ses lettres de créance, alors que le Saint-Père parlait du Liban avec une parfaite connaissance et affection sans l’avoir jamais visité. “Je ne pouvais retenir mes larmes”, disait-il. Il occupe ce poste de toute importance de 1946 à 1949 et une profonde amitié le liera à l’évêque Jean-Baptiste Montini qui deviendra Paul VI. En octobre 1949, il est rappelé à Beyrouth pour occuper le poste de ministre de la Justice et de l’Information au sein du gouvernement de Riad Solh. Mais dans le pays, le climat politique a changé: la corruption sévit dans les hautes sphères du Pouvoir, les partisans du président Béchara el-Khoury se démènent pour assurer le renouvellement de son mandat, alors que Michel Chiha et “Le Jour” sont passés dans l’opposition, proclamant leur refus de la reconduction du sexennat présidentiel. Hélou ne restera pas longtemps ministre; il présente sa démission pour protester contre une violation de la loi. Ce “choc positif”, lui confère une nouvelle auréole politique au sein des courants d’opposition de plus en plus nombreux dans le pays. Il obtient une victoire fulgurante aux législatives de 1951 et devient député de Beyrouth. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1951 sous le Cabinet Yafi, il préside la délégation libanaise à l’ONU. Des changements politiques ont lieu dans le pays. Béchara el-Khoury est forcé de démissionner en septembre 52. Camille Chamoun est élu président de la République. Charles Hélou qui était un partisan de Béchara el-Khoury, mais a voté pour Chamoun, choisit de mettre sa vie politique en veilleuse et ne se présente pas aux législatives de 53. N’empêche qu’en 1954, Chamoun lui confie les A.E. au sein du Cabinet Sami Solh; il demande plutôt la Justice pour y faire quelques réformes et est nommé ministre de la Justice et de la Santé. Il conserve ce double portefeuille durant un an et démissionne suite à un conflit avec le Premier ministre. Il s’éloigne de la politique. Avec les événements de 1958, il forme avec un groupe de personnalités neutres une “troisième force”, face aux deux courants en conflit en vue de maintenir le dialogue. Avec l’accession du général Fouad Chéhab à la Présidence en 1958, plusieurs missions à l’étranger, notamment au Vatican et à Paris, lui sont confiées étant donné sa grande culture, son savoir-faire diplomatique et les amitiés qu’il a nouées au fil des années. En 1962, il est nommé président du Conseil national du Tourisme et donne une impulsion à cet organisme. Nommé ministre de l’Education nationale en 1964, au sein du dernier gouvernement chéhabiste, son nom est avancé comme futur chef d’Etat. Chéhab qui a, catégoriquement, refusé le renouvellement de son mandat, loue ses qualités, sa grande intégrité et probité, avance et appuie son nom pour la magistrature suprême.

photo
... Avec le président Sleimane Frangié...
 
photo
... Entouré des présidents Elias Sarkis et Takieddine Solh...

HÉLOU, QUATRIÈME PRÉSIDENT DU LIBAN INDÉPENDANT
Le 17 août 1964, Charles Hélou est élu quatrième président de la République libanaise par 92 voix, à la quasi-unanimité de la Chambre. Cinq députés votent pour Pierre Gemayel, leader des Kataëb et on relève deux bulletins blancs dans l’urne. Il s’installe à Sin el-Fil; puis à la fin de son mandat, au palais présidentiel de Baabda qu’il avait fait construire. Au militaire qu’était Fouad Chéhab, succède un civil profondément attaché aux valeurs démocratiques, à la liberté et au dialogue. Son mandat sera marqué par différentes crises dues à la conjoncture interne et, surtout, aux bouleversements régionaux. Les proches du Président, dont Michel Eddé qui fut ministre sous son mandat en 1966, au sein du gouvernement Karamé, témoignent “de sa brillante intelligence, de sa mémoire prodigieuse, de son exceptionnelle capacité de travail, de sa grande sagesse, de son sens du devoir et ses qualités de cœur. Mais c’est sa foi chrétienne profonde qui lui a permis de surmonter toutes les épreuves”. Sur le plan interne et au cours des deux premières années de son mandat, il subit l’emprise des Chéhabistes et du “second bureau” qui cherchaient à maintenir, à travers sa personne, la continuité du régime sortant. C’était mal le connaître. Il a souffert en silence de cette mainmise et, avec son tact diplomatique, a travaillé en douce pour s’en libérer sachant qu’il ne pouvait le faire de face. Ce ne fut pas une tâche facile et il a dû souvent à contrecœur composer avec les militaires. La seconde crise qu’il a affrontée et réussi à surmonter avec beaucoup de tact, a été le krash de la banque Intra, en 1966, dû aux fraudes énormes commises par son fondateur Youssef Beidas, Palestinien d’origine ayant pris la fuite du Liban à l’heure de la déroute bancaire, laissant la “Intra” à la dérive. L’Etat, sous la vigilance du président Hélou a payé aux épargnants jusqu’au dernier sou, tout en évitant à la nation une débâcle financière.

photo
... Et avec les présidents Amine Gemayel et Camille Chamoun.

L’ACCORD DU CAIRE: HÉLOU S’EXPLIQUE
Le Liban ne participe pas à la guerre de juin 1967, mais subit plus que tout autre pays arabe, les contre-coups de la défaite. La montée du nationalisme arabe et, surtout, la création du mouvement palestinien “Fateh” et la présence de plus en plus grandissante de “fedayine” armés déterminés à mener la guérilla contra Israël à partir du Liban, provoquent une crise politique grave, qui s’achève par la signature de “l’Accord du Caire, le 3 novembre 1969”. De la date de la signature de cet accord, jusqu’à la fin de sa vie, Charles Hélou souffrait au plus profond de son être d’entendre les Libanais le rendre responsable de cet accord, tout en occultant les circonstances internes et régionales qui l’ont acculé à y souscrire. A travers ses interviews et dans ses “Mémoires”, il a longuement expliqué toutes les données ayant abouti à cet accord qui, pour lui, était un arrangement militaire visant à réglementer l’action des fedayine au Liban dans le respect de la souveraineté nationale. Ce qui ne fut pas le cas hélas! par la suite. Il suffit de rappeler qu’en avril 1969, suite à un conflit entre l’armée libanaise et les fedayine, Rachid Karamé, Premier ministre démissionne, refuse de former un nouveau Cabinet et tout autre sunnite décline cette charge. Trois sommets islamiques ont lieu à Aramoun pour appuyer l’action des fedayine qui bénéficiaient, aussi, du soutien des pays arabes. Ce mouvement pro-palestinien a préfiguré la guerre du Liban (1975-90). Le président Hélou voyait venir le drame et les analystes politiques disaient: “Il en a retardé l’échéance”. Car nul ne pouvait l’éviter. “Le Liban, disait-il, a été programmé pour être projeté dans cet engrenage infernal”.

photo
Le président Hélou avec S.S. Jean-Paul II...
 
photo
... Avec S.S. Paul VI...

LES AMITIÉS INTERNATIONALES JOUENT EN FAVEUR DU LIBAN
Les liens qu’avait tissés le président Hélou au sein du monde arabe et occidental se traduiront, sous son mandat, par l’accueil de plusieurs chefs d’Etat et des visites présidentielles à l’étranger. Le 2 décembre 1964, S.S. Paul VI, en route vers l’Inde, fait une escale à l’aéroport de Beyrouth et le pays lui réserve un accueil officiel et populaire à nul autre pareil. Charles Hélou reçoit au Liban le roi d’Ethiopie, Haïlé Sélassié, le président tunisien Habib Bourguiba, le roi Hussein de Jordanie, le président Senghor, etc... En mai 1965, il se rend au Caire pour y rencontrer le président Gamal Abdel-Nasser; puis, effectue en France, la première visite officielle d’un chef d’Etat libanais depuis la fin du mandat. Il est reçu par Charles de Gaulle. Lorsque le 28 décembre 1968, Israël bombarde, détruit un sol de l’aéroport international de Beyrouth, treize avions de la MEA, en signe de représailles pour un attentat contre la compagnie israélienne “El-Al”, commis à Athènes par des Palestiniens partis de Beyrouth, Hélou obtient un réel appui international. L’ONU condamne Israël et lui demande de payer des indemnités au Liban. Charles de Gaulle est virulent dans sa condamnation et suspend une vente de “Mirage” à l’Etat hébreu. En dépit de toutes ces crises internes et régionales, le mandat de Charles Hélou est marqué par une stabilité, une prospérité économique, un épanouissement socio-culturel et des élections libres en 1968, avec la formation du “Helf” (alliance Chamoun, Gemayel, Eddé) face au second bureau chéhabiste. Il a appuyé, discrètement, cette alliance qui remporte la victoire. Le parlement change de visage et en août 70, Sleiman Frangié est élu chef d’Etat avec une voix d’avance sur Elias Sarkis, candidat chéhabiste.

photo
... Avec le roi Hussein de Jordanie.
 
photo
Le président et Mme Charles Hélou et le président et Mme Charles de Gaulle...

CHANTRE DE LA FRANCOPHONIE
Si, comme tout homme politique, Charles Hélou pouvait avoir des amis, des partisans et des adversaires, par contre, sa grande culture, ses écrits, son humanisme, sa foi profonde, son attachement aux valeurs suprêmes, son rôle ininterrompu en faveur de la francophonie, son action sociale faisaient l’unanimité autour de sa personne hors du commun, non seulement au Liban, mais au sein du monde arabe et à l’échelle internationale. Son mandat présidentiel terminé, il choisit de s’installer avec son épouse à Kaslik, en cette résidence d’où son action rayonnera au cours des trente dernières années. Dès 1970, il est sollicité par “l’Association des parlementaires de langue française”, pour en être membre d’honneur aux côtés d’André Malraux. En 1972, l’Association décide, à l’unanimité, de l’élire à la présidence de tous les parlementaires francophones et ce mandat lui fut renouvelé six fois. Cette présidence lui a permis de parcourir avec les membres de l’Association les pays francophones. Les assemblées générales et réunions qu’il y tenait, les discours qu’il prononçait avaient le mérite d’affirmer avec art et persévérance la présence culturelle du Liban sur tous les continents. Il sera de même président, pendant trois ans, de “l’Agence de Coopération culturelle et technique” qui a lancé deux concours universels portant son nom. En 1986, il fut nommé membre du Haut Conseil de la Francophonie” qui venait d’être créé par le président François Mitterrand. Il est bien difficile, d’ailleurs, de cerner, en quelques lignes, l’action immense menée par Charles Hélou en faveur de la francophonie. Ainsi que l’a exprimé le chef de l’Etat, nous ressentons tous le même regret qu’il se soit éteint avant la tenue du sommet francophone à Beyrouth au mois d’octobre.

photo
Avec le président tunisien et Mme Habib Bourguiba.
 
photo
Les présidents Hélou et Chamoun et M. Kurt Waldheim.

GRAND HUMANISTE
Elève des pères Jésuites, Charles Hélou présidera, de 1987 à 1992, l’Association des anciens élèves de l’USJ et du Collège Notre-Dame de Jamhour. Les anciens et les jeunes générations sont tous fiers d’appartenir à une grande famille rassemblée autour d’un héritage moral, intellectuel et culturel commun. Tout au long de sa vie, il a constitué une bibliothèque exceptionnelle où tous les livres ont été lus, relus et annotés par lui. Il y a quelques mois, il décidait d’offrir la moitié de cette riche bibliothèque à l’amicale des anciens de Jamhour, après avoir offert l’autre moitié à l’Université Saint Esprit de Kaslik. Le 9 novembre, une cérémonie émouvante a eu lieu à Jamhour en sa présence, pour marquer la création d’une salle et d’une bibliothèque portant son nom. Plusieurs témoignages ont été prononcés, y compris celui du président lui-même lu par son neveu, Me Joe Khoury Hélou et son curriculum vitae, auquel nous nous référons, a été remis à l’assistance. L’USEK préparait un grand hommage à Charles Hélou dans le courant de ce mois, tel que nous confie son recteur, le R.P. Joseph Mouaness. Quand je lui en ai parlé, dit-il, il m’a répondu: “Je me demande seulement, si vous avez vraiment besoin de ma contribution”. La cérémonie a eu lieu en hommage au grand disparu. Grand humaniste, sensible aux problèmes sociaux et drames de la vie quotidienne, il a fondé en 1983, avec le concours d’Antoinette Kazan, son assistante, les “restaurants du cœur” qu’il présidera jusqu’à sa mort. Il était particulièrement attaché à cette Association qui groupe, aujourd’hui, 27 restaurants offrant, tout au long de l’année, des repas gratuits à des nécessiteux. Tant que sa santé le lui avait permis, il lui arrivait souvent de partager le repas avec des personnes démunies et cachait mal son émotion. Il était, par ailleurs, président d’honneur de plusieurs œuvres caritatives et sociales, son souci majeur ayant été de soulager autant que possible la souffrance. Conscient, aussi, de l’importance des médias audiovisuels, il sera président d’honneur de “Télé Lumière” qui lui a rendu un vibrant hommage à travers une retransmission permanente en direct des condoléances à Kaslik, des funérailles et par des témoignages vivants.

UNE FOI PROFONDE
De toutes les valeurs et qualités morales, intellectuelles, humaines que l’on cite en évoquant la vie et l’œuvre de Charles Hélou, il en est une qui dépasse et coiffe le tout: c’est sa foi profonde et authentique en Dieu. Une foi qui lui a permis de faire face à toutes les épreuves du destin. Nul n’est à l’abri de ces épreuves, à plus forte raison lorsqu’on assume la première magistrature de l’Etat et tant de postes de responsabilités. Ces dernières années, un prêtre venait célébrer la messe tous les dimanches en la résidence de Kaslik et c’était un moment de grâce réelle que d’y participer à ses côtés. Le mot, l’écriture, la majesté du verbe, de la parole sont l’autre trait spécifique qui accompagnera Charles Hélou tout au long de sa vie. Il a entamé sa vie professionnelle comme journaliste et n’a jamais cessé d’écrire, de publier et de donner des conférences... Chaque interview qu’il nous accordait était un moment privilégié, vu la force de sa pensée, la précision du mot, sa mémoire fabuleuse et son humour fin. Il a plusieurs publications en langue française à son actif: “Mélanges” (tome I et II), “Discours sur l’Universalité de la francophonie”, “Liban, cette part de Dieu”, “Liban, remords du monde”, “Nina, ou la quête de l’impossible”, deux œuvres théâtrales et des “Mémoires” en cinq tomes. Dans son postface de “Liban, remords du monde”, Jean Guitton, de l’Académie française écrit: “... J’ai lu ce livre admirable. Ce n’est pas un livre, c’est une prophétie, analogue à celles d’Isaïe, d’Amos, de Jérémie, un livre écrit non avec une plume, mais avec du sang. Un livre qui pourrait avoir pour exergue les mots de Saint Jean l’évangéliste: ce que nous avons vu, ce que nos mains ont palpé, “le voici”.


NINA, LA COMPAGNE DE SA VIE

photo

Fille de Michel Trad, frère du président Petro Trad, de mère colombienne, Nina Trad fut la première femme avocate au Liban et la première femme membre du Conseil municipal de Beyrouth. Jeune avocat, Charles Hélou s’attache à cette collègue petite de taille, mais bien proportionnée, dotée d’une grande intelligence, de valeurs morales et intellectuelles. Les parents de Hélou n’étaient pas favorables à leur mariage, car Nina était plus âgée que lui. Il n’en tient pas compte et ils unissent leur vie au début des années cinquante. Elle sera à ses côtés l’épouse aimée et écoutée; la compagne dévouée et diligente. Elle savait être la femme à la hauteur de toutes les situations. Atteinte d’un mal incurable, dès 1987, Charles Hélou sera constamment à ses côtés pour l’aider à vivre cette épreuve cruelle. Elle meurt en 1989 et il a écrit sur elle un livre poignant: “Nina, ou la quête de l’impossible” où il fait le récit de la maladie et de la lente agonie de celle avec qui il a partagé quarante années de vie commune.


FUNÉRAILLES OFFICIELLES ET POPULAIRES
AU PRÉSIDENT DÉFUNT

Le Liban a fait des funérailles officielles et populaires au président Charles Hélou, le quatrième de l’ère d’indépendance qui s’était distingué dans le monde de la politique, de la Presse et de la culture, comme sur le plan social et humain, tout en ayant défendu les causes libanaises et arabes dans les instances internationales.

photo
 
photo
L’office funèbre en la cathédrale St-Georges.

Le convoi funèbre a quitté la résidence, à Kaslik, de l’homme d’Etat disparu à 8 heures, un détachement des FSI lui ayant rendu les honneurs d’usage. La dépouille était accompagnée par Mgr Guy Noujeim, archevêque maronite de Sarba; de MM. Georges Frem et Pierre Hélou, membres du gouvernement; Mansour el-Bone, député du Kesrouan; Adel Bou-Karam, président de la municipalité de Jounieh; ainsi que de plusieurs personnalités politiques, religieuses, militaires et d’amis du défunt. Le convoi précédé de gendarmes à motocyclettes et de couronnes de fleurs, a fait une halte en l’église St-Maron à Gemmayzé. La dépouille devait être transportée deux heures plus tard à la cathédrale Saint-Georges où l’attendaient le chef de l’Etat, le vice-président de la Chambre, représentant le chef du Législatif (en visite officielle à Koweit); le chef du gouvernement, les ministres, députés, hauts fonctionnaires et une foule de fidèles. Des éléments de la Police judiciaire ont transporté le corps à l’intérieur de la cathédrale, alors que la musique exécutait la sonnerie aux morts. Le service funèbre était présidé par S.Em. le cardinal Nasrallah Sfeir, assisté de plusieurs prélats de toutes les communautés chrétiennes et membres du clergé. Il y avait là, aussi, Mgr Veglio, Nonce apostolique. On notait la présence de M. Nasser Kaddour, ministre d’Etat syrien pour les Affaires extérieures, représentant le président Bachar Assad et d’officiers supérieurs syriens.

photo
Une foule derrière le cercueil à Kaslik.
 
photo
Le patriarche-cardinal Sfeir prononçant son oraison.

L’ORAISON FUNÈBRE DU PATRIARCHE SFEIR
Après la lecture de l’évangile, le patriarche Sfeir a prononcé l’oraison funèbre par laquelle il a évoqué, en termes sentis, la vie et l’œuvre du défunt. “Le nom du président Hélou, dit Mgr Sfeir, était grand dans les domaines de la Presse, de la culture, de la politique et de l’action humanitaire”. Rappelant les différentes étapes de sa vie, de l’avocature à la magistrature suprême, en passant par le journalisme et le social. “Dans la Presse, il a porté une large culture littéraire, juridique et politique. Il y a transcendé parce que ce n’était pas un intrus à la profession. Il l’a prouvé dans ses éditoriaux qui paraissaient au journal “Le Jour”, d’expression française. Il avait pris comme maître et modèle, le regretté Michel Chiha, le grand journaliste et analyste “Il a milité en faveur de la liberté journalistique qu’il a considérée comme vitale et essentielle comme la liberté religieuse qui est la mère des libertés. Tout en assumant ses responsabilités présidentielles, il avait la nostalgie du temps où il pratiquait le journalisme, comme d’un passé très cher, lui qui avait connu les secrets de la profession, laquelle est, en fait, une mission. “Il n’a quitté le monde de la Presse que pour s’activer dans celui de la politique. Même s’il n’était pas né et n’avait pas vécu dans la maison d’un politicien, il ne se sentait pas étranger parmi les hommes politiques. “Il a été le premier ambassadeur du Liban au Vatican où il a noué une profonde amitié avec un prélat qui devait devenir, par la suite, le Pape Paul VI. “Il a été député; puis, ministre avant d’accéder à la magistrature suprême. Dans le monde de la politique où il avait des liens avec cheikh Béchara el-Khoury, il a prôné des principes, dont il n’a jamais dévié, faisant sienne cette définition de la politique: “Un art particulièrement difficile et très honnête” qu’en a donné le second Concile du Vatican, tout en mettant en garde ceux qui s’y adonnent, à ne pas y rechercher le bénéfice matériel; à combattre avec intelligence le fanatisme et l’injustice quelle qu’en soit la source. “Le grand disparu a tenté de suivre cette voie, mais les circonstances ne l’ont pas toujours aidé dans sa tâche. Des crises successives ont marqué son sexennat, ce qui l’a empêché de réaliser tous ses désirs. “Le souci de l’accord du Caire n’a cessé de le poursuivre et il a écrit, à son sujet, maints articles pour justifier sa position et répliquer à ceux qui lui avaient attribué des motivations éloignées de son esprit. Il n’a pas eu la chance de réformer l’administration, dont les tracas persistent jusqu’à nos jours. Quoi que disent à son encontre les mauvaises langues, il restera le président qui s’emporte mais ne garde pas rancune; “déplore sans chercher à se venger toujours prêt à pardonner, s’inspire d’une doctrine évangélique qui a commandé sa conduite et est apparue dans tout son éclat durant ses derniers jours.

HOMME DE FOI
“Au plan de l’action humaine, le président Hélou était un croyant ayant foi en Dieu qu’il adorait avec ardeur. Il se souciait de participer aux solennités religieuses, était proche de l’Eglise et de ses disciples. On le voyait souvent assister à la messe en l’église St-Georges de Sarba, en tant que fidèle ordinaire parmi les fidèles de cette localité où il avait choisi de vivre. “Il a concrétisé sa foi en des actes humanitaires et de bienfaisance émanant du cœur. En effet, il a fondé les “restaurants du cœur” où il partageait souvent les repas avec les personnes démunies. En ce faisant, il se conformait à la parole du Seigneur: “Chaque fois que vous donnez à boire ou à manger à ces pauvres, c’est à moi que vous le faites”. Il a vendu sa maison pour dépenser l’argent en faveur du bien. Soucieux de promouvoir une information saine, il a présidé le conseil d’administration de “Télé-Lumière”. Bien qu’avancé en âge et en dépit de son état de santé, il a tenu à persévérer dans ses activités, même s’il avait besoin d’être soutenu dans ses déplacements”.

JEAN-PAUL II: “IL A TRAVAILLÉ À LA CONCORDE DES LIBANAIS”
Puis, Mgr Boulos Matar, archevêque maronite de Beyrouth, a donné lecture du message de condoléance de S.S. Jean-Paul II. Le Saint-Père fait monter vers le Seigneur “une fervente prière pour qu’Il accueille dans son royaume de paix et de lumière ce chrétien fidèle qui a servi son pays pendant de longues années, travaillant ardemment à l’unité et à la concorde entre tous les Libanais”. Le Souverain Pontife adresse “aux proches du défunt, aux personnes touchées par ce deuil, ainsi qu’à toute la nation, ses vives condoléances et, de grand cœur, il demande à Dieu de combler tous les Libanais de Ses bénédictions”. La dépouille devait, enfin, être conduite au cimetière de Ras el-Nabeh où a eu lieu l’inhumation. A ce moment, l’artillerie de l’armée a tiré une salve de vingt-et-un coups de canon, en hommage au grand disparu. Les dirigeants arabes et étrangers ont adressé des messages de condoléances au chef de l’Etat qui a fait ouvrir au palais de Baabda, un registre de condoléances durant deux jours ayant suivi le décès du président Hélou.



CREDO LIBANAIS
Par Charles Hélou

Le 20 décembre 2000, alors que nous étions sous-presse, Charles Hélou a envoyé tardivement, à “La Revue du Liban”, cet article qu’il a intitulé: “Credo libanais” et qui fut, peut-on dire, son “chant du cygne”. Nous le publions à l’occasion du décès de l’ancien chef de l’Etat qui fut l’un des vétérans de la Presse libanaise et l’un de ses éléments les plus éminents et représentatifs.

Avec des centaines de millions d’hommes dans le monde, nous croyons que “le Verbe s’est fait chair et qu’Il a habité parmi nous”. Mais ce “parmi nous” a, au Liban, une signification particulière. Nous croyons que c’est à quelque trois cents kilomètres d’ici que le fils de Dieu, Dieu lui-même, s’est incarné. Nous croyons qu’Il a promené son regard humain sur nos paysages, qu’Il a marché sur nos routes, qu’Il s’est arrêté dans nos cités. C’est par “le pays de Tyr et de Sidon” qu’Il a passé pour se rendre dans la Décapole. C’est à Sarepta, notre Sarafand, qu’Il s’est laissé émouvoir par les prières de la syro-phénicienne. C’est à Banias, à notre frontière du Sud, qu’Il a fondé son Eglise. Notre passé, notre avenir sont dominés par cette extraordinaire aventure.

***

Nous n’y pensons pas assez. Il ne nous suffit pas, en effet, de constater que nous sommes situés au carrefour de trois continents. Voyons les choses ou de plus près ou de plus loin. Historiquement, géographiquement, nous sommes comme à l’intersection du spirituel et du temporel et tout entiers éclairés par la fulgurante apparition du Très-Haut autour de nous et en nous. Voilà le signe même dont nous sommes marqués. Nous le retrouvons dans tous les domaines: aussi bien au fond de nos consciences, que dans les manifestations de notre vie publique, dans nos lois, dans nos mœurs. ...”Car le spirituel est lui-même charnel”, dit Péguy. Que nous le voulions ou non, notre vocation dans ce pays est de rendre - par notre existence, dans notre existence - témoignage à la vérité: à la vérité qui est inséparable de la compréhension et de l’amour. Qu’il s’agisse d’un exemple isolé ou collectif, du témoignage d’un individu ou de tout un peuple, le premier devoir du témoin ainsi désigné, est de refléter, fidèlement, le maître dans le rayonnement duquel il apparaît. Au Liban, la tolérance, la fraternité ou, pour mieux dire, la charité - dans la vie en commun la plus paisible - correspond à la fois à une grâce d’Etat et à la raison d’Etat. Vertu théologale, elle est aussi le strict devoir civique. Et les institutions politiques qui la consacrent sous la forme de l’entente et de la coopération, sont comme notre “régime de droit divin”. Lourde responsabilité que celle qui consiste, à travers toutes les vicissitudes de ce pays et les épreuves de chaque génération, à faire connaître et aimer un maître adorable. Mais quel réconfort aussi! Quelle puissante raison d’agir que celle qui assigne à l’effort humain, en même temps que les objectifs les plus immédiats - le progrès social, économique, politique - une valeur d’éternité. Audacieuse entreprise! Mais l’aveu même de notre faiblesse nous vaut une toute puissance, une divine assistance. Quels que soient les problèmes et les périls de notre époque - quelles que soient, aussi, nos difficultés personnelles - nous savons que le Seigneur sera avec nous. Si nous l’appelons, jusqu’à la fin des temps. Nous en avons reçu la foi. Nous en gardons l’espérance, cette flamme qui ne s’éteindra pas.


Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche