JANVIER 91 - JANVIER 2001
GUERRE DU GOLFE: L'HEURE DU BILAN

A l’aube du 17 janvier 1991, il y a exactement dix ans, une coalition internationale menée par les Etats-Unis d’une envergure à nulle autre pareille, depuis la Deuxième Guerre mondiale, lançait une offensive aérienne contre l’armée irakienne de Saddam Hussein qui avait envahi le Koweit le 2 août 1990. L’opération a porté le nom de “Tempête du Désert” et a duré six semaines. En ce dixième anniversaire, l’heure des bilans s’impose, d’autant plus qu’avec les développements régionaux concernant, surtout, le conflit israélo-arabe, l’Irak est appelé à jouer un rôle sur l’échiquier régional. La paix attendue et tant souhaitée ne pourra se faire sans une solution au problème de l’Irak soumis depuis dix ans à des sanctions internationales. George Bush père avait lancé l’offensive contre ce pays le 17 janvier 1991. Dix ans plus tard, George W. Bush, nouveau locataire de la Maison-Blanche, sera-t-il le champion de la levée des sanctions contre Bagdad?

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Une photo exposée au musée de la Victoire à Bagdad montrant le président Saddam Hussein visitant un camp militaire au Koweit après l’invasion.

Dès les premières attaques, un véritable ouragan s’abattait sur “l’armée de Saddam”, qualifiée par la communauté occidentale, comme étant la quatrième armée du monde. Ironie du sort: cette force militaire avait été équipée par ce même Occident. A chaque temps, ses impératifs. Les forces de la coalition anti-irakienne avaient été placées sous le commandement du général américain Norman Schwarzkopf. Alignant 580.000 militaires, 750 avions, 60 navires de guerre, 1.200 chars et bénéficiant du soutien d’une trentaine de pays, leur suprématie était évidente. Au niveau du monde arabe, l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats et la Syrie s’étaient rangés du côté des alliés occidentaux. Avec son flair politique, le président syrien Hafez Assad avait compris, dès le départ, tout l’intérêt d’adhérer à la coalition. Son attitude avait été hautement appréciée par Washington qui lui a laissé les coudées libres au Liban, sa carte maîtresse face à Israël. Le 13 octobre 1990, l’aviation syrienne bombardait le palais présidentiel de Baabda pour y déloger le général Michel Aoun. Les troupes de Damas, envahissaient à nouveau la région Est, sous le regard impassible de l’Occident et une surprenante retenue israélienne. Comme toujours, le Liban était l’éternelle victime de tout conflit proche-oriental. Il a payé les frais de l’invasion du Koweit par l’Irak et de la guerre du Golfe.

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Le commandant en chef des forces US, le général Norman Schwarzkopf et le lieutenant-général Sultan Hachem Ahmed au terme des pourparlers du 3 mars 1991.
 
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Udaï Hussein, député et fils du président irakien, a réclamé une nouvelle carte de l’Irak, englobant le Koweit.

DES RAIDS MEURTRIERS
La “Tempête du Désert” sera appelée, aussi, “guerre de la CNN” car, par le biais de cette chaîne de télévision américaine ayant placé des relais puissants à Bagdad, le monde entier a pu suivre, à la seconde près, les raids alliés; puis, leur progression sur le terrain. Les bombardements d’une rare virulence, vont s’acharner tout particulièrement contre les installations militaires, industrielles et les positions des troupes irakiennes au Koweit. Le général Kassem al-Shamri, commandant de la Défense civile irakienne, évoquant cette guerre a, récemment, déclaré que l’Irak a été la cible de l’équivalent de sept bombes nucléaires pareilles à celles qui ont été larguées sur Hiroshima lors de la Deuxième Guerre mondiale. Ceci a été calculé sur la base des 141.921 tonnes de munitions utilisées contre l’Irak, y compris des bombes à uranium appauvri. En cette date anniversaire, les témoignages recueillis à Bagdad par des correspondants de presse sont poignants et expriment l’impact que la “Tempête du Désert” a produit sur tout un peuple. Un jeune Irakien de 19 ans affirme: “J’entends toujours la voix de mon père nous disant: A partir de maintenant, nous allons dormir dans la même chambre. Ou nous survivrons ou nous mourrons ensemble”. Une jeune femme de 24 ans confie: “Le bruit des sirènes annonçant les raids bourdonne encore dans ma tête et quand j’entends à nouveau ce sifflement, tout mon corps frémit”.

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Un puits de pétrole koweitien en flammes après le retrait des forces irakiennes.
 
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Les soldats US criant victoire le 27 février 1991, le jour où les alliés arrivèrent aux abords de la ville du Koweit.

OFFENSIVE TERRESTRE
Face aux raids alliés, Saddam Hussein riposte, lançant des missiles “Scud” sur l’Arabie saoudite où sont déployées les forces alliées, sur Bahrein et sur Israël. Son objectif est d’impliquer l’Etat hébreu dans la guerre, afin de briser l’alliance arabo-occidentale contre l’Irak. Mais l’Amérique y veille et l’Etat hébreu est prié de rester en marge du conflit. Les autorités israéliennes prennent, cependant, les précautions nécessaires et les masques anti-gaz sont distribués à la population, par crainte des missiles à têtes chimiques. L’offensive terrestre est lancée dans la nuit du 23 au 24 février. Le 26 février, Saddam Hussein confirme un ordre de retrait du Koweit qui se fait dans le chaos le plus total. Selon les estimations occidentales, l’Irak a perdu dans cette guerre, près de 4.000 chars, 2.100 pièces d’artillerie, 240 avions, 1.856 transports de troupes, 50 à 100 mille soldats sur une armée comptant 350.000 hommes.

À L’HEURE DES BILANS
Au lendemain de l’invasion du Koweit par l’Irak, le 2 août 1990, le Conseil de Sécurité de l’ONU avait imposé une série de sanctions très dures contre le régime de Bagdad, afin de le contraindre à détruire toutes ses armes de destruction massive. Ces sanctions ont-elles été efficaces? Sur le plan militaire, des sources diplomatiques estiment que l’Irak est désarmé à 95% et n’est plus une menace. N’empêche que, depuis le départ en décembre 1998, des inspecteurs en désarmement de l’ONU et le refus par Bagdad d’autoriser leur retour suite à un conflit avec les Nations Unies, le pays n’est plus soumis à aucun contrôle. De surcroît, le Conseil de Sécurité est quasiment paralysé par ses divisions. La coalition anti-irakienne a cru que la défaite, doublée des sanctions, entraînerait rapidement la chute du régime de Bagdad. Mais, dix ans après, Saddam est toujours en place, refusant de plier, malgré l’embargo et a pris du poil de la bête depuis l’Intifada palestinienne d’Al-Qods. Il exprime son appui aux Palestiniens et sa disponibilité à envoyer des soldats se battre à leur côté. Il joue, à nouveau, sur la fibre de la solidarité arabe face à Israël et aux Etats-Unis. Le 31 décembre, il a même organisé un imposant défilé militaire à Bagdad le premier de cette ampleur depuis la guerre et son fils Oudaï vient de rappeler, une fois de plus, que “le Koweit fait partie intégrante de l’Irak”. L’embargo aérien imposé par l’ONU, lui aussi s’est effrité, tel qu’on a pu le constater ces derniers mois avec une multitude de vols vers Bagdad à caractère humanitaire, médical ou socio-économique. De même, plusieurs pays renforcent leurs relations économiques avec l’Irak, à commencer par les pays de la région. Le rapprochement entre l’Irak et la Syrie longtemps “frères ennemis”, est très significatif. L’Egypte s’ouvre sur Bagdad.

CONDITIONS DE VIE DIFFICILE
Les sanctions et l’embargo ont eu, par ailleurs, un effet dramatique sur les conditions de vie des 22 millions d’Irakiens, en dépit du programme “pétrole contre nourriture”. Selon les autorités de Bagdad, l’embargo est responsable de la mort de plus d’un million d’Irakiens à majorité des enfants, faute de médicaments et de nourritures. Et Saddam a bien mené sa propagande à ce niveau, montrant constamment sur le petit écran le défilé des cercueils blancs d’enfants victimes du blocus. Mais selon le témoignage d’un diplomate occidental, “la situation a totalement changé ces deux dernières années: les marchés regorgent de marchandises, des voitures neuves sont visibles partout et l’embargo aérien s’est pratiquement effondré”. Quant au député Salem al-Qobeissi, chef de la commission des Affaires internationales au parlement, il affirme: “Dix ans après l’agression et en dépit de l’embargo, l’Irak est toujours fort sur les plans politique, économique et militaire. (...) L’Administration américaine doit réviser sa position et traiter sur d’autres bases avec l’Irak qui restera un acteur-clé dans la région”. Oui, l’Amérique et le monde occidental sont, désormais, conscients du fait qu’une nouvelle politique doit être adoptée vis-à-vis de l’Irak. Mme Madeleine Albright, secrétaire d’Etat américain sortante, l’a souligné à son successeur, le général Colin Powell. Le “dialogue global” prévu pour février entre Bagdad et l’ONU, apportera-t-il des changements notables au niveau des sanctions imposées par la communauté internationale? Le proche avenir en donnera la réponse et l’évolution de la conjoncture au Proche-Orient devant être prise en considération.

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