Scrutin sans surprise à Saïfi
ÉLU CINQUIÈME PRÉSIDENT DES KATAËB

Ce fut, peut-on dire, un scrutin sans surprise le 4 octobre au siège des Kataëb à Saïfi, M. Karim Pakradouni ayant été élu cinquième président du parti par 74 des 90 membres du collège électoral.
Cette formation politique était scindée en deux blocs: l’un dirigé par le président Amine Gemayel, fils du fondateur des Kataëb; l’autre étant formé d’un groupe de phalangistes de la première heure, entre autres: MM. Pakradouni, Rachad Salamé et d’autres.
Le président élu est parvenu, au terme d’une longue brouille, à se coaliser avec le président sortant, M. Mounir el-Hajj qui devait disposer de six membres au sein du Bureau politique. Mais cette entente n’a pas été respectée, probablement, parce que M. Pakradouni n’a pu influer sur son groupe, preuve en est que son prédécesseur n’est pas représenté au bureau politique.

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Pakradouni: "J'invite le président Gemayel à réintégrer l'État et le parti"
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Dès la proclamation du résultat du scrutin, le président élu a déclaré: “Le premier sentiment que j’ai ressenti est qu’après quarante-et-une années de lutte, je suis arrivé à l’avant de la scène. Ensuite, j’ai eu l’impression de transposer le parti de l’état de milice qu’il était devenu durant la guerre, à une formation capable de présenter un programme politico-économico-social pouvant attirer les jeunes, surtout les réformateurs parmi eux. J’imagine que les Kataëb doivent engendrer un mouvement de renouveau en leur sein”.
M. Pakradouni répond au président Amine Gemayel qui qualifie sa direction d’illégale: “Nous représentons la légalité. Le président Gemayel peut mener l’opposition dans le sens qu’il souhaite, mais en définitive, nous formons une grande coalition au sein d’un grand parti. Quant à la scission à laquelle il fait allusion, c’est une erreur et si l’ancien chef de l’Etat la commet, il deviendra un symbole du clan familial.
“C’est pourquoi, je l’invite à placer l’intérêt du parti avant son intérêt personnel et à réintégrer les Kataëb où il a sa place naturelle. Je maintiendrai le dialogue avec lui autour d’un projet politique clair. Dès mon entrée en fonctions, je constituerai un comité de dialogue et de réconciliation qui demandera à rencontrer le président Gemayel et le Dr Elie Karamé. Je crois pouvoir remettre à mon successeur, en 2006, un parti différent de ce qu’il était depuis sa fondation en 1936, ce dernier n’étant plus viable”.
De sa prise de position aux côtés du président de la République, M. Pakradouni émet ces réflexions: “Comme le projet chéhabiste était dans les années soixante au centre de l’Etat, le projet lahoudiste l’est aussi. Nous soutiendrons la présidence de la République, les Kataëb devant être un partenaire du Pouvoir et non seulement une partie loyaliste”.
Se présentant comme un “réunificateur”, il a précisé que son projet visait à former un organisme groupant tous les ténors des Kataëb, en vue de s’entendre sur les trois points suivants: le nouveau projet politique, la réorganisation du parti et les nouvelles alliances.
“Je voudrais, a-t-il ajouté, que la réconciliation soit basée sur une vision politique et non sur une entente des personnes. Je pense réussir, parce que je fais partie d’un groupe engagé, d’une équipe homogène disposant d’un projet politique clair. Les trois conditions du succès en politique sont réunies, à savoir: un chef, un groupe et un projet”.
M. Pakradouni prendra en charge ses fonctions dans sept mois, le 1er mai 2002.

QUI EST KARIM PAKRADOUNI?
Né à Beyrouth le 18 août 1944. Fils de Manas et Laure Pakradouni, il est l’époux de Mouna Nachef dont il a eu deux enfants: Jihad et Jawad.

  • A fait ses classes primaires et secondaires chez les Pères Jésuites et les a terminées au collège de Jamhour, en 1962.
  • A obtenu la licence en droit de la Faculté de l’USJ en 1966 et le diplôme de sciences politiques de la même université en 1967.
    Avocat à la Cour.
  • A présidé le service des étudiants Kataëb de 1968 à 1970 et fait partie du bureau politique du parti depuis 1970.
  • A été le conseiller personnel du président Elias Sarkis de 1976 à 1982.
  • A fait partie du Front libanais de 1985 à 1988 et a été l’adjoint du chef des Forces libanaises, de 1986 à 1988.
  • A assumé les charges de secrétaire général des Kataëb de 1992 à 1995 et celles de vice-président depuis 1995.
  • A publié maints ouvrages, les plus connus ayant pour titres: “Les structures des Kataëb” - “Les idées de Maurice Gemayel” - “La paix perdue” (évoquant le mandat du président Sarkis) - “La malédiction d’une patrie”, traitant de questions politiques. La thèse de son doctorat soutenue en 1967 avait pour titre: “Le pari libanais”.
    Depuis près de deux ans, il signe des articles politiques hebdomadaires dans “La Revue du Liban”, “Al-Hawadess” et “Al-Bayrak”.


RENCONTRE INFORMELLE LAHOUD-PAKRADOUNI
Le président Emile Lahoud a eu une rencontre informelle, samedi, à l’ATCL (Kaslik) avec M. Karim Pakradouni qui a présidé, dimanche, la première réunion du nouveau bureau politique à son domicile à Ghodress.
A cette occasion, il a exposé les principaux points de son programme d’action et procédé, avec les membres du bureau, à une analyse des élections de Saïfi et à une évaluation de leurs résultats, qualifiant le scrutin “de discipliné et démocratique, s’étant déroulé dans le respect des lois et des principes du parti”.

AMINE GEMAYEL:
"CE QUI SE PASSE À SAÏFI NE M'INTÉRESSE PAS"
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"Je me désintéresse complètement de ce qui se passe à Saïfi et les prochains jours montreront à quel point le boycott (des élections du parti) constituait une attitude rationnelle", a déclaré le président Amine Gemayel.
"Une telle équipe en désaccord avec sa base ne pourrait initier aucune réconciliation au sein du parti. Les expériences du passé nous l'ont appris".
Le fossé se creuse donc entre l'opposition et la nouvelle direction des Kataëb et la section du parti en Europe a dénoncé les élections, qualifiant la victoire de M. Pakradouni de "trahison", de "soumission" et "d'acceptation de la collaboration".
"La ligne politique des Kataëb, a ajouté la section, ne pourra en aucun cas être représentée par le discours politique du président élu. Nous saurons le défier et défendre nos idées... A nos frères en Europe nous demandons de serrer les coudes et de fermer toutes les portes du monde occidental et du monde libre à cette nouvelle équipe qui a trahi le sang de nos martyrs. Ils nous ont trahis en adoptant la soumission et les Kataëb libres se démarquent de la nouvelle direction du parti".

MOUNIR EL-HAJJ:
"MA PRINCIPALE OBSESSION A ÉTÉ LA RÉUNIFICATION PARTI"
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M. Mounir el-Hajj, président sortant des Kataëb, s’est excusé de ne pouvoir faire aucune déclaration à l’issue des élections pour le renouvellement de la direction du parti et du bureau politique, promettant “de dire la vérité à l’opinion publique au cours d’une conférence de presse.
“Je révèlerai les développements survenus durant la dernière étape ayant précédé le scrutin et les tractations visant à réunifier nos rangs. Car je ne veux pas ajouter à la confusion générale. Je veillerai donc à rectifier l’image, loin de tout brouillage, sans dénaturer les faits, la vérité devant prévaloir en définitive”.
Fait à signaler: M. el-Hajj s’était retiré dans son bureau au siège des Kataëb à Saïfi, refusant de superviser le second tour du scrutin pour l’élection des membres du bureau politique. Selon un accord passé avec M. Pakradouni, M. el-Hajj devait y être représenté par six membres, mais aucun de ses proches n’a été élu et certains ont soupçonné le président élu d’avoir renié l’accord mentionné, alors que d’autres ont pensé qu’il n’a pu forcer ses amis de voter dans le sens qu’il leur a indiqué. Affaire à suivre.
A la place de la conférence de presse, Me el-Hajj a diffusé une déclaration dans laquelle il a exposé sa position envers la crise qui a ébranlé les Kataëb au cours des dernières années.
“Dès mon élection, a dit le président sortant, ma principale obsession a été de réunifier le parti et la réconciliation de toutes les fractions dissidentes. Aussi, ai-je proposé, à cette fin, une formule basée sur la participation effective de toutes les parties.
“Quand ma tentative a échoué, ma seconde obsession a été de préserver l’existence juridique du parti, ce qui m’a incité à avancer la date des élections pour le renouvellement de la direction centrale.

“Les élections ont eu lieu d’une manière régulière et atteint leur premier objectif, à savoir sauver le parti du danger pesant sur son existence et sa pérennité. Mais le scrutin n’a pu, malheureusement, atteindre son second objectif: constituer un noyau en vue d’une réconciliation ne serait-ce que partielle.
“Toujours est-il que le premier objectif est le plus important, parce qu’il s’agissait de prémunir les Kataëb contre le danger de sa perdition”.
Puis, Me el-Hajj insiste sur le fait que la “lutte pour le pouvoir” au sein du parti, doit opposer deux fronts œuvrant chacun en vue de consolider les assises des Kataëb. “De cette façon, ajoute-t-il, il sera possible de garantir l’avenir du parti en tant que tel et de définir les contours de son action en tant que mouvement efficace ayant des options à défendre et capable de relever les défis auxquels le Liban est confronté”.

PIERRE GEMAYEL:
"LA NOUVELLE DIRECTION DES KATAËB EST ILLÉGALE"
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Quant à M. Pierre Gemayel, député du Metn, il qualifie “d’illégale” la nouvelle direction du parti. “Elle ne me concerne pas, dit-il, et je crois que M. Pakradouni dont le Pouvoir a assuré le succès, est devenu une charge pour le président Emile Lahoud.
“Nous n’avons pas parlé jusqu’ici des dossiers de M. Pakradouni et de son histoire honorable. La LBCI a consacré huit minutes à sa conférence de presse et pas plus de quelques secondes à ma réponse à ses déclarations”.
M. Gemayel s’attend que le nouveau chef des Kataëb s’emploie à s’acquitter de trois tâches prioritaires: Primo, constituer un front politique loyaliste au Pouvoir pour contrer le “Rassemblement de Kornet Chehwan”. Secundo, regrouper le parti “et il échouera dans sa tentative, car la base est dans une vallée et la direction se trouve dans une autre”. Tertio, il essaiera de profiter des deux premiers éléments pour rassembler un front de soutien au président de la République, “mais n’y parviendra pas.”
“Puis, son succès à ces élections me rappelle celui de Nader Souccar qui a posé sa candidature aux dernières législatives à Baalbeck-Hermel au nom des Kataëb et a réussi par les voix du “Hezbollah”.
“Quant à l’autre député phalangiste, Antoine Ghanem, il a été élu sur la base d’une liste de coalition entre les Kataëb et le PSP. C’est le modèle que nous voulons adopter pour assurer une saine représentation du parti et rehausser la qualité de sa direction.”

PAKRADOUNI, RÉFRACTAIRE À LA RÉCONCILIATION
M. Pierre Gemayel soutient que M. Pakradouni est réfractaire à la réconciliation au sein du parti; aussi, désespère-t-il de voir la nouvelle direction réussir dans sa tentative de réunifier les rangs phalangistes. “Sous sa présidence, poursuit-il, le parti perdra son rôle à tous les niveaux, sauf au plan médiatique. Ce rôle se limitera à quelques interviews qu’il accordera de temps à autre. Mais je ne vois pas cette direction capable de réunifier l’opinion publique chrétienne, ni d’engager un dialogue fructueux avec la fraction musulmane, son action devant être restreinte à un domaine très limité”.
Le député du Metn rappelle, ici, que son père, le président Amine Gemayel avait donné son accord pour la formation d’un comité tripartite pour le dialogue et d’un autre formé de dix-huit membres. “M. Pakradouni, précise-t-il, a fait avorter le premier comité. Il n’a pas voulu en faire partie avec Me Rachad Salamé, ainsi que je l’avais proposé.
“Pour toutes ces raisons, dit encore M. Gemayel, Pakradouni et les Kataëb constitueront un fardeau pour l’Etat et leur action poussera vers l’extrémisme, une fraction chrétienne que nous nous employons à entraîner sur le terrain de la modé-ration. D’autant que la nouvelle direction des Kataëb est formée d’anciens responsables “militaires” durant la guerre, entre autres Pakradouni, Georges Kassis, Nader Souccar et Emile Eid.

“La nouvelle direction ne peut parler de modération, car elle est venue aux dépens des modérés. Peut-on dire que Nader Souccar soit devenu plus arabisant? Je le souhaite. Et Pakradouni s’est-il métamorphosé en partisan et propagateur de la modération? J’en doute fort.
“Je n’ai pas compris cet homme, car il a suivi une voie non modèle. Je préfère donc ne pas m’attarder sur la nouvelle direction, parce qu’elle ne signifie rien du tout. Ceux qui la composent ont tout l’air d’une reine de beauté entourée de ses dauphines”.
Du mécanisme de la confrontation que le président Amine Gemayel adoptera face à la nouvelle direction des Kataëb, le parlementaire metniote assure: “Nous ne serons pas un suppléant à cette direction, mais un mouvement libre représentant les Kataëb jouissant de la légalité.
“Nous ne sommes pas des boycotteurs. Au contraire, nous sommes et resterons plus actifs qu’auparavant au plan politique dans notre lutte contre cette violation du parti. Nous ne serons pas les promoteurs de coups d’Etat, car nous ne l’avons jamais été tout au long de notre histoire, mais nous en avons été les victimes”.

NOUS PARIONS SUR LA BASE
Interrogé sur le point de savoir pourquoi le président Gemayel n’a pu convaincre plus de membres du bureau politique de boycotter les élections, M. Pierre Gemayel répond: “Ils n’étaient pas tous des nôtres et le président Gemayel avait son mot au niveau de la base et non de la direction. Comme on le sait, le parti était opposé au retour de l’ancien chef de l’Etat au Liban.
“Notre objectif est de faire tomber cette direction et ce qu’elle représente. Elle peut se maintenir pendant quatre ans ou pas, mais notre pari est sur la base du parti.
“Il existe un perdant et un gagnant après ces élections des Kataëb. A notre avis, le plus grand perdant est l’Etat. Nous qui représentons la ligne modérée, nous sommes blâmés d’être restés sur notre position. Je crois que la messe qui sera célébrée l’année prochaine à l’intention du président Bachir Gemayel se caractérisera par sa dureté et nous ne pourrons rien faire pour apaiser les sentiments des uns et les réactions des autres. Nous ne pouvons pas rassurer qui que ce soit sur la ligne de la modération, les chrétiens considérant que l’Etat traite avec eux d’un complexe de supériorité”.

LIBAN-SYRIE
Des relations avec la Syrie, M. Gemayel rappelle que son père avait tenté d’établir des rapports privilégiés avec Damas et Karim Pakradouni s’est retourné contre lui à cause de cela. “Il a manifesté son hostilité quand le président Gemayel est allé s’entretenir avec le président Hafez Assad, en coordination avec le général Michel Aoun et le Dr Samir Geagea. A l’époque, les structures des Forces libanaises comprenaient Nader Souccar, Emile Eid et Georges Kassis. Le président Amine Gemayel a quitté le Liban pour Paris en 1985. S’ils ne voulaient pas de relations privilégiées avec la Syrie dans les moments difficiles, ils y sont favorables aujourd’hui. Je leur demande de dire la vérité telle qu’elle est au temps de la faiblesse et de la force”.
M. Pierre Gemayel rappelle, d’autre part, que Pakradouni avait “sommé” le président Gemayel de quitter le pays en 1988. Il lui avait transmis un message du Dr Geagea où il le menaçait du même sort que Tony Frangié et sa famille s’il refusait de partir.
“Je regrette de dire qu’il ment d’une manière flagrante et maintenant j’ai peur sur le président Emile Lahoud, car Pakradouni passe d’une position à l’autre. Il a été l’adjoint de Bachir Gemayel; puis, d’Elie Hobeika; avec Georges Saadé après avoir soutenu Samir Geagea.
“Pakradouni dit que les Kataëb étaient en permanence aux côtés de la présidence de la République. En fait, le parti a appuyé les présidents de la République ou s’y est opposé alors qu’il devait faire entendre la voix de la base.
“Enfin, je lui demande de révéler tant de dossiers. Quel a été son rôle dans la condamnation à mort de Lahoud et Zeinoun et s’il n’a pas présidé le “tribunal” qui les a condamnés à la peine capitale?
“Nous connaissons tous les dossiers de cet homme et sommes disposés à les révéler”.

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