ENTRETIEN EXCLUSIF DE S.M. MOHAMED VI DU MAROC
AVEC MELHEM ET SAËR KARAM

Nous soutenons l’initiative saoudienne,
car elle correspond à nos options et à nos convictions

photoC’est un leader jeune qui se distingue par l’endurance et la ténacité face aux défis du monde moderne. Entouré d’une équipe dynamique de technocrates et de conseillers qui déploie un effort soutenu dans chacune de ses missions, le souverain marocain dirige son royaume avec une grande acuité politique. Sa Majesté aspire à édifier un Etat moderne et puissant tourné vers l’innovation et le génie créatif d’un peuple riche de traditions et de culture millénaires. Chef spirituel et temporel, S.M. Mohamed VI, roi du Maroc, est un homme de vérité, défenseur des grands principes humains et moraux. L’héritier de la famille prophétique a su insuffler un élan nouveau à la généalogie démocratique marocaine. Aussi, les branches des libertés publiques et des droits de l’homme se sont-elles multipliées et le Maroc est devenu cette oasis verdoyante où se manifeste une renaissance économique et sociale globale à travers des chantiers permanents et de grands projets d’envergure. De là, nous pouvons déduire que l’Histoire sera équitable envers le jeune monarque à l’avenir prometteur, qui entretient ses rêves et ceux de sa nation et les dispense à ses sujets et au monde. C’est dans son bureau du palais royal, à Marrakech, que Sa Majesté Mohamed VI a répondu aux questions de Melhem et Saër Karam.

NOUS APPROUVONS L’INITIATIVE DE S.A. LE PRINCE ABDALLAH D’A. SAOUDITE
Melhem et Saër Karam: Après l’annonce de l’initiative saoudienne pour le règlement global et définitif de la crise du Proche-Orient, quelle est votre position à l’égard de cette initiative? Attendez-vous des résultats efficients du sommet arabe de Beyrouth? Quel rôle joue le Maroc pour concilier entre les différentes initiatives et, particulièrement, celle des Nations Unies, sachant que le Royaume a joué un rôle fondamental et efficace et continue à le faire pour le rapprochement des parties?

S.M. le roi Mohamed VI: Notre position a été claire et nette au sujet de l’initiative de notre frère Son Altesse Royale Abdallah Ben Abdel-Aziz, prince héritier du royaume d’Arabie saoudite. Nous l’avons bénie et soutenue immédiatement, car elle correspond fondamentalement à nos options et à nos convictions, basées sur une paix juste et globale impliquant le retrait d’Israël de tous les territoires arabes.
L’initiative a réaffirmé, comme vous le savez, une position arabe constante. Notre vénéré père, S.M. le roi Hassan II, que Dieu ait son âme, a joué un rôle fondamental pour promouvoir cette position, en joignant systématiquement l’acte à la parole. Ceci a conféré à mon pays un capital de crédibilité auprès de l’ensemble des parties dans la région et ailleurs.
Le Maroc a donc été et demeure encore un carrefour important pour la convergence des points de vue de toutes les parties et a joué un rôle essentiel pour concilier entre toutes les initiatives, à condition que soient réunies la bonne volonté et l’intention sincère, qui sont assurément disponibles chez la partie arabe. Le sommet arabe de Fès de 1982, qui a révélé une concordance et une coordination des positions du Maroc et de l’Arabie saoudite, avait montré en effet, à travers un projet arabe de paix, que la Nation arabe était mue, depuis lors, par une volonté sincère de mettre fin au conflit dans la région du Proche-Orient sur des bases constantes et solides, ayant pour fondement et pour référence la légalité internationale.
Concernant les résultats auxquels pourrait aboutir le sommet arabe de Beyrouth, nous sommes confiants que les résultats de ce sommet, que le Liban s’apprête à accueillir seront importants, tant les intentions de la partie arabe sont saines et sincères. Aussi, tenons-nous à dire au monde que nous avons le droit de notre côté et que nous sommes des partisans de la paix. Je crois que c’est là l’essence même de l’initiative saoudienne.
Nous ne devons pas, également, perdre de vue que l’équation au Proche-Orient a deux éléments: l’un, arabe, fait de son mieux pour mener la région vers la sécurité et, l’autre, Israël, qui doit s’inscrire dans cette orientation arabe et saisir cette occasion historique et importante pour l’ensemble des peuples de la région.
Pour ce qui est des Nations Unies. Nous estimons, dans la conjoncture délicate, que leurs responsabilités leur dictent d’assumer un rôle accru. Lorsque nous nous attachons, nous les Arabes, à la légalité internationale, cela veut dire que les Nations Unies constituent la référence et la partie qui doit être associée aux efforts pour mettre fin au conflit. A cet égard, nous nous félicitons de la dernière résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU qui mentionne, de manière explicite, l’Etat de Palestine dans le cadre d’une vision confortant son existence à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, aux côtés d’Israël. Il s’agit là d’une initiative louable qui laisse croire fermement que le rôle des Nations Unies est, désormais, nécessaire et de plus en plus important.

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S.M. Mohamed VI entouré de Melhem et Saër Karam.

NOUS SOMMES SOUCIEUX D’ÉVITER LA JUDAÏSATION DE JÉRUSALEM
Melhem et Saër Karam: En votre qualité, Majesté, de président du Comité Al-Qods et étant donné le rôle important qui est le vôtre dans ce domaine, quelles sont les dispositions et les mesures urgentes que Votre Majesté propose pour empêcher la judaïsation de Jérusalem?

S.M. le roi Mohamed VI: En notre qualité de président du Comité Al-Qods, notre souci a été et demeure toujours de mener une action continue et persévérante pour sauver du danger de judaïsation, Al-Qods, berceau des religions. Nous sommes aujourd’hui davantage soucieux de cela.
Concernant les mesures pratiques pour empêcher la judaïsation de la Ville Sainte, je me réfère, à cet égard, aux nombreuses dispositions qui ont été prises, que ce soit au niveau islamique ou arabe. Dans le cadre du Comité Al-Qods, il a été procédé à la création de l’Agence Beit Mal Al- Qods qui a inscrit parmi ses objectifs principaux de contrecarrer la politique de judaïsation israélienne. Lors du sommet arabe extraordinaire du Caire en octobre 2000, il a été procédé à la création d’un autre Fonds, sur proposition du royaume d’Arabie saoudite, baptisé “Fonds Al-Aqsa” visant à financer des projets dans la ville d’Al-Qods, destinés à préserver son cachet arabe et islamique qui fait l’objet d’une vaste campagne de judaïsation sur les plans démographique et urbanistique.
Des contacts politiques continus sont, également, menés avec les grandes puissances qui ont une influence sur le cours des événements au Proche-Orient et que nous exhortons à œuvrer pour la préservation d’Al-Qods, en tant que symbole de tolérance et de coexistence entre les religions. Il s’agit là, comme vous le constatez, d’un train de mesures aux objectifs nobles. Nous souhaitons que ces Fonds soient alimentés des dons nécessaires pour nous permettre d’assumer pleinement les tâches qui nous incombent à tous pour stopper l’avancée des implantations qui encerclent la ville et menacent la population d’Al-Qods et ses habitations.
La préservation d’Al-Qods est le devoir de l’ensemble des musulmans et des Arabes qui n’y renonceront jamais, quel que soit le cours pris par les événements.

NOUS REJETONS TOUTE FORME DE TERRORISME
Melhem et Saër Karam: Après les événements du 11 septembre dernier et leurs répercussions internationales, quelle est la position du royaume du Maroc sur la guerre contre le terrorisme? Quels sont, Majesté, les mécanismes qui peuvent être proposés pour prévenir la poursuite de cette guerre? Au cas où l’Irak était la cible d’une frappe américaine, quelle serait la réaction de Votre Majesté?

S.M. le roi Mohamed VI: Comme chacun le sait, la position de principe du Maroc est le rejet catégorique de toute forme de terrorisme. Nous avons toujours été des partisans de la paix, de la coexistence et du dialogue conformément aux préceptes de notre sainte religion islamique qui rejette la violence et l’atteinte à la vie des innocents.
Aussi, avons-nous condamné les actes terroristes, perpétrés contre les Etats-Unis d’Amérique, en même temps que nous avons annoncé notre soutien à un combat sans merci contre toutes formes de terrorisme, mais sur la base d’une approche globale mettant à contribution, sur un pied d’égalité, tous les instruments politiques et économiques, y compris le sécuritaire pour extirper le fléau du terrorisme et en éliminer les causes.
Autant nous sommes soucieux de cela, autant nous insistons pour que la campagne internationale contre le terrorisme maintienne sa cohésion autour de l’objectif qui doit cibler les véritables auteurs, au lieu de viser d’autres pays.
Nous refusons, catégoriquement, qu’un pays arabe, que ce soit l’Irak ou un autre, soit la cible de cette campagne, car rien ne justifie une telle action qui, certainement, ne sera ni dans l’intérêt de la région, ni dans celui des parties internationales qui aspirent à la stabilité dans cette région.

Les résultats du sommet arabe de Beyrouth seront importants, les intentions étant saines et sincères

NOUS AVONS COOPÉRÉ AVEC L’ONU POUR RÉGLER LE CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL
Melhem et Saër Karam: Après le dernier rapport présenté par le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, concernant la question du Sahara, il paraît que ce dossier se trouve aujourd’hui dans une impasse, surtout après la proposition de l’Algérie de partager les provinces sahariennes entre le Maroc et le Polisario? Comment voyez-vous l’aboutissement à une solution consensuelle entre les deux parties, sachant que le royaume du Maroc a exprimé, au nom de toutes ses composantes institutionnelles, politiques, syndicales, sociales et par une unanimité sans égale, son attachement à l’unité nationale? A moins de deux mois qui restent pour parvenir à cette solution et avant que le Conseil de Sécurité prenne sa décision définitive à ce sujet, quelle est, dans ce contexte, la position des pays membres permanents du Conseil de Sécurité vis-à-vis du conflit au Sahara?

S.M. le roi Mohamed VI: Votre question comporte une réponse suffisante, c’est que le Maroc, avec toutes ses composantes, politiques et sociales, est attaché à son unité territoriale et à sa souveraineté sur ses provinces du Sud. Il n’est point disposé à céder le moindre pouce de ses terres, car l’unité territoriale est pour lui une cause sacrée. Sur la base de cette unanimité, le Maroc a toujours montré sa disposition à coopérer avec l’Organisation des Nations Unies et l’envoyé personnel de son secrétaire général pour parvenir à une solution politique et définitive à ce dossier artificiel qui entrave, dans la réalité, la marche de l’Union du Maghreb arabe et retarde les efforts de développement commun au sein de l’organisation.
Ce que je voudrais affirmer, c’est que le Maroc n’a pas conduit ce dossier vers l’impasse et ne le fera jamais, parce qu’il a traité dans un esprit positif sincère avec le secrétaire général des Nations Unies et son envoyé personnel et a accepté, malgré certaines réserves, l’accord-cadre proposé par M. James Baker - à qui nous témoignons toute notre considération pour les efforts qu’il déploie - afin de trouver une solution politique à cette question.
Le Maroc a consenti beaucoup d’efforts pour aboutir à une solution pacifique, en prônant la voie du dialogue pour parvenir à cette fin. La responsabilité de l’impasse dont vous parlez incombe à l’autre partie et à ceux qui sont derrière elle, qui cherchent à compromettre tous les efforts et initiatives visant à mettre fin à ce conflit. Pour ce qui est de l’idée de partition à laquelle vous avez fait allusion et qui a été présentée par l’Algérie et que le Maroc a accueillie avec un grand étonnement, je voudrais dire très clairement qu’elle a fait tomber tous les prétextes et alibis que présentait l’Algérie pour justifier sa position à l’égard de ce dossier et sa soi-disant défense de ce qu’elle appelle l’autodétermination.
Notre souhait est de voir triompher la raison et privilégier la logique de l’intérêt commun et de l’avenir des générations des pays du Maghreb arabe sur l’intérêt étriqué et immédiat qui a conduit à la situation que nous vivons actuellement.
Pour ce qui est du volet de la question relatif à la position des pays membres du Conseil de Sécurité, je peux vous assurer que ces pays sont conscients des tenants et aboutissants de ce dossier et connaissent clairement la position du Maroc à ce sujet, tout comme ils n’ignorent pas ce qu’il y a derrière les attitudes des autres parties. Nous nourrissons l’espoir de voir les discussions qui auront lieu au Conseil de Sécurité durant les prochaines semaines, déboucher sur la décision judicieuse et utile propre à mettre fin à ce conflit artificiel et à confirmer la marocanité de nos provinces du Sud, afin que nous puissions nous consacrer entièrement aux défis du développement et aux enjeux de l’avenir que nous sommes appelés à relever pour être au niveau des attentes des peuples de l’UMA.

NOUS VEILLONS À CE QUE NOS RELATIONS AVEC L’ALGÉRIE SOIENT EMPREINTES DE RESPECT
Melhem et Saër Karam: Après votre dernière visite au Sahara marocain et votre rencontre avec ses habitants, comment voyez-vous, Majesté, les relations maroco-algériennes, dans la conjoncture actuelle et sous le mandat du président Abdelaziz Bouteflika? Et qu’en est-il de la question du tracé des frontières entre les deux pays?

S.M. le roi Mohamed VI: Il est tout à fait naturel que le roi du Maroc rende visite à ses fidèles sujets dans toutes les provinces, au Nord comme au Sud et il s’agit d’une visite que nous avons pris l’habitude d’effectuer afin de connaître de près les préoccupations et la situation de nos citoyens. C’est une ancienne tradition que nos glorieux ancêtres ont toujours suivie. C’est pourquoi, notre visite dans nos provinces du Sud a pour signification essentielle d’entretenir les contacts et la communication avec nos sujets.
Pour ce qui est de nos relations avec l’Algérie sœur, nous essayons toujours de faire en sorte qu’elles soient empreintes de respect et à l’abri des calculs étroits, car les liens existant entre les deux pays nous portent à espérer que ces relations soient à la hauteur des ambitions des deux peuples. Les potentialités des deux pays, si elles étaient utilisées dans le sens du développement, changeront la configuration de la région, du point de vue économique et social. Au Maroc, nous sommes les partisans du dialogue et du respect des principes de bon voisinage et, à plus forte raison, si ce voisin est un frère.
La question des frontières entre le Maroc et l’Algérie est en réalité un héritage de l’époque coloniale et le Maroc n’avait nullement l’intention de faire de cette question, un sujet conflictuel. La vision du Maroc est, au contraire, de faire de ces frontières des espaces de rencontre et d’échanges.

Nous refusons, catégorique-ment, qu’un État arabe - l’Irak ou tout autre - soit la cible de la campagne antiterroriste

LE MAROC EST ATTACHÉ À L’UMA
Melhem et Saër Karam: La création de l’Union maghrébine a eu lieu à l’initiative de Sa Majesté le roi Hassan II. Croyez-vous, Majesté, que cette Union puisse être ressuscitée à la lumière des développements de la question du Sahara?

S.M. le roi Mohamed VI: La création de l’UMA était une revendication des peuples maghrébins depuis l’époque coloniale et cette ambition est restée vivace après l’indépendance. Je puis vous assurer que le Maroc est attaché à cette option que nous croyons être le gage de l’avenir de cette région car les dénominateurs communs entre les cinq pays du Maghreb sont multiples et constituent une force d’impulsion pour l’émergence d’une union maghrébine forte et efficiente. Nous œuvrons dans ce sens avec certains de nos frères parmi les dirigeants du Maghreb arabe dans le sens - je ne dirai pas de la résurrection de l’Union, car elle existe, elle est structurée et elle dispose d’un cadre clair -, mais nous cherchons à la dynamiser pour mieux répondre aux ambitions de nos peuples.

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NOUS ESSAYONS DE DÉPASSER AVEC L’ESPAGNE LES SÉQUELLES DU PASSÉ
Melhem et Saër Karam: Le Maroc connaît une autre crise diplomatique avec sa voisine l’Espagne, après le rappel de l’ambassadeur marocain, il y a quelques mois et nous ne voyons se profiler à l’horizon aucune amélioration des rapports tendus entre les deux pays, malgré les relations amicales, voire quasi familiales qui lient Votre Majesté au souverain espagnol. Comment voyez-vous, Majesté, une issue à cette crise que le Maroc vit à l’Est et au Nord?

S.M. le roi Mohamed VI: Le Maroc et l’Espagne sont des pays voisins liés par des intérêts multiples. Hélas! ces relations ont traversé dernièrement des circonstances particulières et le Maroc, en toute sincérité, n’a pas été derrière ces circonstances, pas plus qu’il n’en est responsable. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est que nous sommes convaincus et nous œuvrons à ce que notre relation soit marquée par le respect mutuel et un comportement conforme aux principes du bon voisinage. Nous essayons toujours de dépasser avec l’Espagne les séquelles du passé et de faire valoir de nombreux éléments positifs nous liant au peuple espagnol, de favoriser la prise de conscience d’une réalité fondamentale qui est l’existence d’intérêts vitaux liant le Maroc à I’Espagne et d’œuvrer à transcender les considérations conjoncturelles et la vision condescendante.
Comme je l’avais dit auparavant, nous sommes partisans d’un dialogue équilibré prenant en compte les intérêts et les valeurs du Maroc, tout comme nous sommes attentifs aux intérêts d’autrui.

Conflit arabo-israélien: Nous avons le droit de notre côté et nous sommes des partisans
de la paix

NOS RELATIONS AVEC L’AFRIQUE SONT FONDÉES SUR LA COOPÉRATION ET LA SOLIDARITÉ
Melhem et Saër Karam: Majesté, vous avez pris une louable initiative sur le plan africain, il y a quelques jours, celle de réunir les chefs d’Etat de Guinée, de Sierra Leone et du Liberia, en vue du règlement du différend qui les oppose en tant que riverains du fleuve Mano et ce, malgré le fait que le royaume du Maroc ait quitté, il y a vingt ans, l’Organisation de l’Unité Africaine. Cela suscite l’étonnement de tous les observateurs. Comment expliquer cela, Majesté?

S.M. le roi Mohamed VI: Comme vous le savez, le Maroc fait partie, géographiquement, du continent africain et a des liens solides avec l’Afrique qui remontent loin dans le temps, liens où s’imbriquent les dimensions spirituelle, culturelle et sociale, particulièrement avec l’Ouest du continent. La politique du Maroc envers ses frères africains est fondée sur la solidarité et la coopération et, de ce point de vue, nous avons pris l’initiative d’aider les pays que vous avez cités à transcender certains différends qu’ont connus leurs relations.
Le Maroc était, comme vous le savez, l’un des fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine au début des années soixante du siècle passé. Même s’il s’est retiré de cette organisation après que celle-ci ait admis en son sein une entité fictive, le Maroc a su garder des relations bilatérales privilégiées avec la majorité des pays africains. Il n’est donc point étonnant que le Maroc assume le rôle qui lui est connu historiquement, contribue au règlement des questions africaines et se soucie des préoccupations de ce continent, mettant à sa disposition ses moyens, aussi modestes soient-ils, au service des causes africaines.

Je suis confiant
en les capacités du peuple libanais qui suscitent chez nous, admiration et fierté

L’ÉDIFICATION DE L’ÉTAT DE DROIT EST LA BASE ET L’OBJECTIF DE MON RÈGNE
Melhem et Saër Karam: Le royaume du Maroc a connu après l’accession de votre Majesté au trône, il y a moins de trois ans, un saut qualitatif en matière de démocratie et ce, à travers l’élargissement du champ des droits de l’Homme et des libertés publiques après la libération des derniers détenus politiques, le retour des personnes restées en exil et l’annonce faite par Votre Majesté du nouveau concept de l’autorité, ce qui fait du Maroc l’un des rares havres de démocratie dans le continent africain. Quelles sont les prochaines étapes pour la consécration du climat de démocratie au Maroc? Etes-vous, Majesté, satisfait de l’action du gouvernement d’Abderrahmane Youssoufi?

S.M. le roi Mohamed VI: J’ai fait du parachèvement de l’édification de l’Etat de droit et de la consécration de la démocratie, dans le cadre de la Monarchie constitutionnelle, la base et l’objectif de mon règne. La démocratie étant une construction permanente et une culture dont la propagation, aux plans de la pensée et de la pratique, requiert une dimension économique et sociale au risque de demeurer formelle et d’être menacée dans ses composantes politiques, j’ai pris la résolution de mener une action de terrain pour la dynamisation de la solidarité sociale, par le biais de la Fondation Mohamed V pour la Solidarité que je préside personnellement et dont je supervise, de façon effective, les activités. Cette institution est une locomotive pour l’action de la société civile dans les domaines social et humanitaire au profit des démunis et des catégories sociales les plus vulnérables et en particulier les enfants de la rue et les femmes, ainsi qu’en matière de lutte contre l’analphabétisme et la pauvreté et d’aide à l’intégration sociale et au développement.
J’œuvre, également, à travers les orientations que je prodigue au gouvernement et aux opérateurs économiques, à promouvoir l’investissement, l’initiative privée et la libération des énergies pour la création de nouvelles richesses permettant une vie décente aux personnes se trouvant dans le besoin, particulièrement les jeunes, afin qu’ils aient la ferme conviction que la démocratie est la meilleure voie pour le développement et pour la prévention de toutes les formes d’extrémisme et de fanatisme. Parallèlement, je suis déterminé à redoubler d’efforts pour renforcer les acquis dans le domaine de la démocratie, particulièrement en réunissant toutes les garanties pour le déroulement d’élections honnêtes, la promotion de la situation de la femme et de l’enfance et la mise en place des mécanismes à même d’assurer la protection des droits de l’Homme à travers les nouveaux textes de loi relatifs aux libertés publiques et à la procédure pénale, la création de l’institution “Diwan Al Madhalim” et l’installation prochaine du conseil consultatif des droits de l’Homme dans sa nouvelle version où la consolidation de la démocratie constituera la meilleure prévention contre les abus et les violations du passé.
Nous nous penchons, en outre, sur l’élaboration d’une nouvelle loi sur les partis politiques qui constituent la véritable école de démocratie, ainsi que sur la création d’instances spécialisées garantissant la liberté et la pluralité des moyens de communication audiovisuels. Le plus important pour moi reste le renforcement de la démocratie de proximité locale, de la régionalisation et de la décentralisation.
Concernant l’action du gouvernement, j’ai travaillé avec toutes ses composantes, le Premier ministre en tête, dans une parfaite coordination et dans le respect total des attributions constitutionnelles de chaque institution.
En ma qualité de roi de tous les Marocains, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition et compte tenu de l’influence que pourraient avoir mon évaluation et ma vision des choses sur les citoyens, il me serait difficile d’émettre un jugement de valeur sur l’action du gouvernement à quelques mois des élections, auxquelles, du reste, je n’ai pas le droit de participer, laissant les électeurs s’exprimer en toute liberté sans orienter leurs opinions.

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LA SOLUTION RÉSIDE DANS UNE PLUS JUSTE RÉPARTITION DES RICHESSES
Melhem et Saër Karam: L’économie est le moteur principal du développement de tout pays. Majesté, quelle est votre vision pour la dynamisation de l’économie marocaine et quelles sont les mesures que vous estimez appropriées pour sortir le Maroc des problèmes du chômage, de l’émigration clandestine, de l’endettement? La politique de régionalisation et de décentralisation est-elle la solution efficiente à ces problèmes?

S.M. le roi Mohamed VI: J’avais bien souligné, au lendemain de mon accession au trône, que je ne disposais pas d’une baguette magique pour résoudre tous les problèmes du pays. Tout ce dont je dispose, c’est l’unanimité du peuple autour de ma conduite des affaires de l’Etat et notre volonté commune de travailler avec sérieux dans le cadre de la démocratie, de la solidarité sociale, de l’optimisation de nos potentialités et de l’économie libérale pour laquelle le Maroc a opté depuis une longue date pour la réalisation du développement durable.
J’ai porté un intérêt particulier au décollage économique et à la solidarité sociale qui sont les piliers de la démocratie politique, comme je vous l’ai dit.
A cette fin, la solution réside dans la création de plus de richesses avant de réfléchir à leur répartition. Le débat était faussé puisqu’il s’articulait sur la répartition des richesses avant même de réfléchir à leur création. Or, la création de nouvelles richesses et d’opportunités d’emplois ne peut se concevoir que par l’affranchissement de l’initiative privée de toutes les entraves, l’encouragement de l’investissement privé et la rationalisation de la gestion des établissements publics ou leur privatisation, car l’Etat n’est pas toujours un bon gestionnaire en matière économique.
Dans ce contexte, j’invite le gouvernement et le parlement à œuvrer à la levée de tous les obstacles entravant l’investissement et ce, à travers la réforme de l’administration, de la fiscalité et de la justice et l’élaboration d’un Code du Travail incitatif à l’investissement et à la production.
A ce titre, nous avons franchi d’importantes étapes en créant des centres d’investissements régionaux en guise de guichet unique qui va permettre à l’investisseur de démarrer son projet dans le plus bref délai possible qui pourrait se réduire à quelques heures.
En illustration de la confiance dont jouit le Maroc, grâce à sa stabilité politique, son système démocratique et son engagement réel dans la voie de la libéralisation de l’économie, nous avons réalisé cette année plus de trois milliards de dollars d’investissements directs extérieurs.
Notre proclamation de l’actuelle décennie comme priorité nationale pour la réforme du système d’éducation et de formation devra aussi contribuer à alimenter l’économie en ressources humaines qualifiées pour réaliser les objectifs de développement global. En même temps, nous allons nous concentrer sur les secteurs prometteurs de l’économie nationale, notamment le tourisme, la pêche maritime, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’agroalimentaire et l’artisanat, en l’occurrence des secteurs où nous disposons d’une forte compétitivité.

Mon objectif: Parachever l’édification de l’État de droit et consacrer la démocratie, dans le cadre
de la Monarchie constitu-tionnelle

J’ŒUVRE EN VUE DE RENDRE JUSTICE À LA FEMME MAROCAINE
Melhem et Saër Karam: Le royaume du Maroc a connu d’intenses débats concernant l’amendement du code de statut personnel (Moudouwana), en vue d’améliorer la situation de la femme et son statut dans la société marocaine. Vous avez, Majesté, constitué, à cet égard, une commission chargée de cette question. Comment peut-on, selon Votre Majesté, concilier entre les ambitions de la femme marocaine et ses aspirations à un devenir meilleur dans le cadre des enseignements de la Chariaa?

S.M. le roi Mohamed VI: Œuvrer à rendre justice à la femme, à lever toutes les formes de discrimination qu’elle endure, a été parmi mes premières initiatives, convaincu en cela qu’une société qui marginalise la moitié de sa population que sont les femmes, ne peut escompter aucun développement.
Outre ces initiatives prises pour que la femme soit investie de hautes responsabilités dans les domaines politique, économique et culturel, j’ai pris sur moi, en ma qualité d’Amir AI Mouminine, de donner suite à un mémorandum qui m’avait été adressé par l’ensemble des organisations féminines marocaines, tous courants politiques, culturels et associatifs confondus.
Et puisque l’objectif de rendre justice à la femme est d’une telle noblesse, qu’il doit être placé au-dessus de toute exploitation électoraliste et politicienne étroite, j’ai constitué une commission consultative, pluridisciplinaire, pour l’examen d’un projet de réforme fondamentale et globale du code de statut personnel. Toutefois, que ce soit lors de l’installation de cette commission ou à l’occasion des différentes séances de travail que j’ai présidées aux fins de suivi et d’évaluation, j’ai tenu à ce qu’elle fasse son travail dans la célérité mais sans précipitation. Nous étions devant deux choix: ou bien réaliser une réforme partielle de la Moudouwana, ce qui allait nécessiter un temps court, certes, mais qui devait nous amener à entreprendre une autre réforme après quelques mois ou quelques années, ou bien d’élaborer une nouvelle Moudouwana, dans le fond et dans la forme, ce qui a été retenu, mais cela nécessitera un peu de temps qui, dans les cas extrêmes, ne devra pas dépasser l’année en cours.
En outre, étant convaincu de l’utilité d’une action en profondeur, car un travail superficiel et précipité me rebute, particulièrement sur des sujets qui constituent un facteur déterminant dans un projet de société démocratique et moderniste que je m’attache à édifier pierre par pierre, j’ai opté pour la seconde voie.
En ma qualité d’Amir Al Mouminine, je suis convaincu que la Charia et la tradition du Prophète, mon aïeul, que le salut soit sur Lui, qui rend hommage à la femme, peut, par les temps présents, à travers l’ouverture de la voie à l’Ijtihad et à la jurisprudence et en rejetant tout repli sur soi, toute étroitesse d’esprit, nous permettre de rendre justice à la femme dans le cadre de la Charia et en conformité avec ses nobles finalités. Ceci ne doit pas nous empêcher, pour autant, de procéder à une mise à niveau de notre système judiciaire par la création de tribunaux spécifiques à la famille qui seront installés progressivement.

Sahara: Le Maroc n’est point disposé à céder le moindre pouce de ses terres, car l’unité territoriale est pour lui une cause sacrée...

JE M’ATTENDS À CE QUE LES PROCHAINES ÉLECTIONS EXPRIMENT LA VOLONTÉ DES MAROCAINS
Melhem et Saër Karam: Le Maroc connaîtra dans le courant de septembre prochain, des élections législatives, dont on dit qu’elles seront les premières élections honnêtes du royaume. Est-ce que Votre Majesté s’attend à ce que ces élections créent un changement dans le paysage politique marocain? D’après vous, quelle sera la part des islamistes?

S.M. le roi Mohamed VI: Comme je l’ai souligné maintes fois, je m’attends à ce que les prochaines élections expriment, avec toute sincérité, liberté et honnêteté, les courants de l’opinion publique et qu’elles fassent émerger une élite profondément imprégnée des principes servant l’intérêt général et qualifiée à ériger les instances élues en puissant levier pour le progrès économique et social, dans le cadre d’un paysage politique rationnel, constitué de pôles homogènes. Quant à la part revenant à ce parti ou à un autre, c’est le libre choix des électeurs qui va en décider.

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Un moment de détente lors de l’interview, dans les jardins du palais de Marrakech.

Melhem et Saër Karam: L’Algérie fait face au problème de l’amazigh où cette revendication linguistique est accompagnée de doléances politiques plus profondes qui confinent au droit à l’autonomie. Quel est le point de vue de Votre Majesté concernant la question de la langue amazigh au royaume du Maroc?
S.M. le roi Mohamed VI: Mes principes, ma culture et mon éthique politique m’interdisent de m’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays étranger. Qu’en serait-il, alors, quand il s’agit d’un pays frère et voisin auquel je souhaite tout le bien, la stabilité, le progrès et la prospérité.
S’agissant de mon pays, l’amazigh est la propriété de tous les Marocains; c’est un patrimoine national et une composante fondamentale de l’identité nationale plurielle et sa promotion s’inscrit dans le cadre du projet démocratique moderniste, consacrant l’unité nationale, laquelle est riche par la diversité de ses affluents amazigh, arabo-islamique, andalou et saharo-africain. Comme c’est le cas pour toutes les grandes questions nationales, j’ai entrepris la création d’un Institut Royal pour la Culture Amazigh et j’ai nommé à sa tête une personnalité académique nationale qui œuvre, aux côtés d’un comité quadripartite, à la proposition des membres du conseil d’administration de cet Institut qui aura en charge la promotion de la culture amazigh et son développement dans tous les domaines, tout en ayant présent à l’esprit la dimension nationale de cette culture qui est une source de fierté pour tous les Marocains, en tant que question culturelle nationale, qui ne relève ni d’un cadre régional, ni d’un courant politique déterminé.

... L’Algérie a fait tomber
tous les prétextes et alibis qu’elle présentait pour justifier sa position à l’égard de ce qu’elle appelle l’autodéter-mination

LE MAROC SE DISTINGUE PAR SON PLURALISME CULTUREL
Melhem et Saër Karam: Le Maroc est l’un des rares pays arabes où vit une communauté juive ayant une représentation politique et dont les membres jouissent du droit de citoyenneté. Y a-t-il une crainte que cette communauté fasse l’objet d’une action hostile de la part d’activistes intégristes marocains?

S.M. le roi Mohamed VI: Le Maroc se distingue par son pluralisme culturel fondé sur des idéaux de tolérance, de modération et d’ouverture sur toutes les civilisations. Les Sultans du Maroc avaient accueilli les Juifs qui étaient persécutés en Andalousie. Ils ont trouvé dans mon pays un espace fertile pour la liberté, la tolérance, la modération et la coexistence dans le respect mutuel entre les fils d’Abraham, que le salut soit sur Lui. Partant de ce référentiel historique, qui s’est manifesté à travers la protection accordée, par feu mon grand-père Sa Majesté le roi Mohamed V, que Dieu ait son âme, aux Juifs, en butte aux lois du régime de Vichy, allié des Nazis et l’action d’avant-garde de mon regretté père, que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde, dans le processus de paix au Proche-Orient en direction des Juifs marocains et non-marocains, épris de paix et de par ma qualité de roi de tous les Marocains, garant constitutionnel des droits de toutes les communautés et de tous les individus, le Maroc ne connaîtra jamais ce que vous venez d’évoquer, car les Marocains ont toujours promu la paix et la coexistence et n’ont jamais été enclins à la violence. Celle-ci n’a jamais été un trait de caractère chez les Marocains, quelles que soient leurs sensibilités. Ceci est, chez nous, une vérité et une réalité tangible et non une vue de l’esprit.

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S.M. Mohamed VI à Melhem Karam: “J’ai retardé mon mariage, pour coopérer au succès du Sommet de Beyrouth”.

LES RELATIONS LIBANO-MAROCAINES SONT ENRACINÉES ET NE SE SONT JAMAIS LIMITÉES À LA DIPLOMATIE
Melhem et Saër Karam: Les relations libano-marocaines ont toujours été des relations privilégiées et ont connu dernièrement une évolution notable, particulièrement après la visite de Son Excellence le président Emile Lahoud au royaume du Maroc. Comment, Majesté, voyez-vous ces relations? Que proposez-vous pour les développer? Et quand allez-vous effectuer au Liban, votre deuxième patrie, une visite officielle en réponse à l’invitation qui vous a été adressée par votre frère le président Emile Lahoud?

S.M. le roi Mohamed VI: Les liens entre le Maroc et le Liban sont enracinés et ne se sont jamais limités à l’aspect diplomatique traditionnel, puisque s’étendant aux aspects social et culturel. Nous avons beaucoup de choses dont la plus importante, outre l’appartenance à la Nation arabe, est l’appartenance à la culture méditerranéenne qui se distingue par son ouverture sur toutes les civilisations. Ceci est un facteur important qui distingue les peuples libanais et marocain. L’intérêt accordé par le Maroc à ses relations avec le Liban s’est traduit dans l’action que mon défunt père, que Dieu ait son âme, a déployée pour circonscrire la guerre civile qu’a connue le Liban. Ce pays commence à renouer avec son rôle d’avant-garde dans plusieurs domaines. Je suis confiant en les capacités créatives du peuple libanais qui suscitent chez nous, admiration et fierté à la fois. J’aspire à rendre visite à ce pays qui nous est cher en réponse à l’invitation que nous avons reçue de Son Excellence le président Emile Lahoud et quand il sera convenu de la date de cette visite, nous allons l’annoncer en temps opportun, Incha’ Allah.

Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3837 - Du 23 Au 30 Mars 2002