COMMENT SURVIVRE A UN CRASH?
UN LIBANAIS DU NIGERIA RELATE SON EXTRAORDINAIRE ODYSSEE...

Comment est-il arrivé sur terre? De cela, Najib Ibrahim Abdel-Nour n’a aucune idée. Quelques secondes plus tôt, il se trouvait à bord d’un avion en feu (BAC 111500) et la dernière pensée qu’il se rappelle avoir eue en tête, était destinée à sa mère, se demandant comment elle réagirait à sa mort dans un crash!

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A la demande du président nigérian, une équipe européenne a entamé des investigations à la recherche de la boîte noire.

Quelques secondes après, il se retrouvait sur la terre ferme, sain et sauf, à part quelques égranitures et brûlures infimes, alors qu’à une cinquantaine de mètres plus loin, l’avion explosait, entraînant la mort de tous les passagers en plus des victimes recensées sur les lieux de la chute du “Boeing”.
Incrédule, il voyait la scène se dérouler sous ses yeux et n’arrivait pas à saisir comment cela s’était passé. Un peu plus tard, entouré de centaines de Nigérians attroupés sur les lieux de l’accident, il se rendait compte qu’un autre passager, un général de l’armée nigériane avait survécu au drame mais souffrait de graves brûlures. A-t-il été propulsé par l’air venant de l’extérieur comme lui. Peut-être. Il ne saurait rien affirmer.
Etabli depuis cinq ans au Nigeria, Najib Abdel-Nour travaille pour une société rattachée à Faddoul Group (Nigeria PLC). De ce fait, il est habitué à effectuer plusieurs voyages par an entre les différentes régions. “J’aime voyager en avion; d’ailleurs, j’y suis habitué; mon travail exige que je me déplace souvent. Mais cette fois, je n’arrivais pas à distinguer entre le rêve et la réalité”.

JE ME RETROUVE SUR LE TOIT D’UN IMMEUBLE
“Me rendant à Lagos via Kano, dit-il, je me souviens qu’au décollage à l’aéroport, on a entendu un bruit bizarre provenant du réacteur; puis, plus rien. Cependant, je me suis rendu compte, un peu plus tard, que le pilote avait de la difficulté à faire décoller l’avion qui ne cessait d’osciller et de piquer vers le bas. Quelques secondes après, l’avion s’écrase contre un immeuble et prend feu. Tout est devenu noir à l’intérieur et je crois que beaucoup de gens sont morts suffoqués. Moi-même aveuglé, j’ai protégé ma tête avec ma chemise pour mieux respirer. Lorsque je me suis retrouvé à l’extérieur, je ne savais plus si c’était l’aile détachée ou la porte de secours. Je me rappelle avoir desserré ma ceinture et changé de place; puis, quelques instants plus tard, je me retrouvais sur le toit d’un immeuble. Echappé à cet enfer, je ne me rappelais plus comment je suis revenu sur la terre ferme six mètres plus bas. L’idée de prendre les escaliers ne m’a sûrement pas effleuré!
Sur terre, ébranlé et secoué, Najib Abdel-Nour n’a pas reçu les premiers secours médicaux, ni autres. Aucune équipe médicale, et les autorités n’ont dépêché personne pour s’assurer de la présence de survivants sur les lieux du sinistre et de s’occuper d’eux. D’ailleurs, Najib a été déclaré mort et ce n’est qu’après son apparition dans une interview sur la CNN, qu’un démenti a été publié et que la Presse s’est intéressée à lui.

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Najib Abdel-Nour avec sa famille.

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Au Nigeria, où il travaille depuis cinq ans.

ABANDONNÉ À SON SORT
Abandonné à son propre sort, Najib Abdel-Nour décide de prendre les choses en main. Hélant un taxi, en l’occurrence une motocyclette, il lui demande de l’emmener à l’hôpital le plus proche. Souffrant, il craignait, en effet, une hémorragie interne. Ce dernier, après maintes tergiversations pour s’assurer que Najib pouvait bien le payer, le conduit dans un hôpital public surchargé.
Méconnaissant la région, il lui redemande de le conduire dans la région où se concentre la diaspora libanaise. Arrivé à “Beirut Road”, Najib Abdel-Nour s’arrête dans une pâtisserie appartenant à un Libanais. Exposant son problème au propriétaire, ce dernier, méfiant et ne réalisant pas sans doute l’ampleur du drame, refuse de l’aider, mais lui indique quand même la clinique la plus proche.
Arrivé à bon port, Najib rencontre un médecin libanais qui le prend en charge; il se sent sécurisé. Apaisé, il appelle son frère à Lagos et lui raconte sa mésaventure. “J’ai eu beaucoup de mal à convaincre mon aîné que je ne risque rien; profondément émus, mes deux frères n’arrivaient pas à croire que je n’ai pas été touché”.
Sa société alertée, la clinique fut envahie par plus de 250 émigrés libanais venus à la rescousse. “J’ai été touché par l’attention dont m’ont entouré la diaspora libanaise, ainsi que les membres de l’ambassade du Liban au Nigeria: l’ambassadeur, le consul, de même que M. Haïtham Joumaa, directeur général du ministère des Emigrés qui était au Nigeria et avec lequel j’ai participé à une conférence de presse”.
Najib Abdel-Nour a été touché, en particulier, par l’accueil que lui a réservé l’équipage de l’avion de la MEA qui l’a ramené au Liban. Eh! oui, il n’a pas hésité une seconde à reprendre l’avion, malgré que le lendemain de l’accident, il a dû entreprendre sous l’insistance de son directeur un voyage de douze heures en voiture jusqu’à Lagos. Et c’est sur l’insistance de son directeur aussi qu’il est rentré au Liban pour se reposer parmi ses proches.

ACCUEIL POPULAIRE
A Kfaraaqa à Koura comme à l’aéroport de Beyrouth, un bain de foule devait l’accueillir. Tambours, cloches des églises As-Saïdé et Saint Georges, se mélangeaient aux vivats des parents, amis et connaissances célébrant son retour. Parmi cette foule, un père et une mère qui, malgré les appels répétés de leur fils pour les rassurer, s’affolaient à l’idée que celui-ci aurait pu mourir. “A l’aéroport, dit-il, je m’attendais à ce que mon fils soit estropié ou sur une chaise roulante. Je ne cesse de remercier la Sainte Vierge de l’avoir sauvé”, dit Afaf Abdel-Nour.
De son côté, son père Ibrahim estime que Dieu dans sa grande miséricorde, a voulu que son fils échappe à la mort le jour de la Résurrection. Est-ce un miracle! Sans doute, existe-t-il dans cet accident une part de miracle. Rares sont ceux, à qui la vie accorde une deuxième chance.
A la fin de ce mois, il retournera au Nigeria pour reprendre son travail, comme à l’accoutumée. Pour le moment, intenter un procès à la compagnie d’aviation ne lui vient pas à l’esprit. “L’important, dit-il, est de garder sa foi, de se rapprocher de Dieu, qui, Lui, choisira le moment de nous rappeler à Lui!

Par Micheline ABI-KHALIL
Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3845 - Du 18 Au 25 Mai 2002