Entre Elias Rahbani et la chanson française, une longue histoire d’amour

Pour le IXème sommet de la francophonie, Elias Rahbani a composé “Hymne du Liban à la francophonie”, sur des paroles de Jean-Claude Boulos. Il lance, aussi, un autre CD: “L’amoureux de Paris” et a composé des chansons d’opéra, à l’intention de sa nouvelle découverte, le ténor Ernie Chammas. Dans le cadre de cette interview qui s’est déroulée dans ses studios à Naccache, ce musicien, compositeur, directeur d’orchestre et souvent parolier, évoque avec sa verve naturelle et beaucoup d’humour, son attachement à la chanson française.

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Elias Rahbani et le ténor Ernie Chammas.

Dès sa plus tendre enfance, il a été marqué par la musique. A l’âge de 4 ans, dit-il, l’enfant ne se demande jamais d’où viennent la pluie et la nuit, le soleil et la musique. Le son du piano qui parvenait à travers les fenêtres d’une école des sœurs Antonines jusqu’à notre humble maison, m’a transporté vers un monde féerique”.
“Un peu plus tard, ajoute-t-il, deux morceaux pour piano, en vogue à l’époque: “Vagues Argentines” et “Reproche d’amour”, ont dessiné mon destin musical”.
Dans la ville de Bickfaya où adolescent il passait l’été avec les siens, une petite discothèque diffusait les chansons de Charles Trenet, Lucienne de Lyle, Jacqueline François, Line Renaud, Yves Montand, Edith Piaf, Patachou... “Dans les rues où filles et garçons flânaient sans soucis, ces refrains nous parvenaient, à travers une brume transparente, mêlés aux amours naissantes de la jeunesse d’alors.
“Depuis, Paris et Bickfaya, sont devenus le soleil de mon imagination”.
Ses professeurs de piano seront, aussi, des Français: Bertrand Robillard et, surtout, Michel Bourgeot avec qui il a fait huit ans de piano.
Un problème à la main gauche l’empêche de poursuivre une carrière de pianiste, tel qu’il le souhaitait intensément. Avec sa verve, il raconte: “Pour avoir une profession en main, j’ai décidé de m’inscrire à des cours de comptabilité. Pour la dactylo, je tapais avec rapidité, mais quand le professeur a commencé avec les cours de crédit et de débit, j’ai rien compris et je suis parti”.

PROMOTEUR DE LA CHANSON FRANÇAISE DANS LA RÉGION
Un soir, une mélodie a jailli et les horizons se sont ouverts. Son troisième essai musical sera une chanson française: “Je te jure”. “C’était la première chanson française composée au Proche-Orient (musique et paroles) par un Libanais et chantée par un Libanais, Manuel, qui a vendu plus qu’Aznavour. Nous étions au début des années soixante”.
Elias Rahbani est fier d’affirmer qu’il a été le promoteur de cette vague de la chanson française composée et chantée par des Libanais, dans la région. Jusqu’à l’heure, on passe ses chansons sur FM au Liban, en Egypte et ailleurs dans le monde arabe, telles: “Que sera ma vie sans toi?” - “Valse la valse” - “La dernière danse”, sans que les gens se rendent compte qu’il en est le compositeur. Car, souvent, on retient le nom du chanteur et non celui du compositeur ou du parolier.
Il lance plusieurs chanteurs libanais en langue française: Manuel, qui a remporté le prix de la chanson en Grèce; Tony Valière, Eddy Kev... Mario Haddad produisait les disques. C’était la belle époque d’avant-guerre.
Il relate cette boutade: “Eddy Kev était le nom de chanteur que j’avais choisi pour Krikor Khatchérian. Dans les “parties”, les jeunes filles se pâmaient: Jeannette, as-tu entendu le nouveau chanteur franco-russe?
“Mais Krikor n’a pas su retenir sa langue. Lors d’une interview accordée à “La Revue du Liban”, il a révélé son identité. Le charme était rompu”.
Nostalgique, il reconnaît qu’il aurait souhaité faire carrière à Paris, mais “les vents ne soufflent pas toujours dans la direction souhaitée”.
Qu’importe, il a fait une belle carrière au Liban et s’est affirmé comme compositeur et directeur d’orchestre dans le respect d’une musique authentique non bâtarde qui refuse les solutions de facilité.
Pour rendre hommage à la France et au IXème sommet de la francophonie qui se tient à Beyrouth, il a composé “l’Hymne du Liban à la francophonie”. Les paroles sont de Jean-Claude Boulos et ce bel hymne est chanté par le ténor Edgard Aoun avec la participation de la chorale de NDU. Ce CD sera distribué aux participants au sommet.
Pour la Ville-Lumière qu’il a toujours chérie, il a sorti un second CD: “L’amoureux de Paris” comportant douze morceaux entre chansons et musique instrumentale. Ces deux CD ont été enregistrés dans ses propres studios et réalisés avec l’assistance de la fondation Hariri.
Infatigable, Elias Rahbani lance un troisième CD de huit chansons d’opéra, dont trois en français, qu’il a composées à l’intention, dit-il, “d’un ténor à la voix exceptionnelle”: Ernie Chammas. Je voudrais le faire connaître, non seulement au Liban, mais en France et partout au monde”.
Ernie qui a fait des études musicales aux Etats-Unis, a participé à des opéras en Italie. Il enseigne, à l’heure actuelle, à Kaslik et à l’école de musique de Ghassan Yammine.
“Travailler avec lui était un bonheur pour moi, affirme Rahbani. Lorsqu’il donne le plein de sa voix, on est réellement impressionné et, en studio, l’enregistrement se fait avec lui si facilement. On a pu enregistrer quatre chansons en une heure et demie. il a un souffle qui tient et peut chanter un couplet sans respirer. “Ernie Chammas est, pour moi, une réelle découverte”.
Revenant à la charge en ce qui concerne la chanson française, Elias Rahbani confie un peu amer: “Moi qui ai tant fait dans ce domaine, je crois que je suis le seul Libanais à n’avoir jamais été invité à la Résidence des Pins.
“Pourtant, je souhaiterai collaborer, intensément, avec la Mission diplomatique française pour redonner de la vitalité à la chanson française au Liban et dans la région. Car la musique est le meilleur véhicule culturel, puisqu’elle ne connaît aucune frontière.
“Dans l’ex-URSS, les jeunes ont adopté les rythmes américains: rock, twist, etc... et cela a façonné tout un mode de vie qui a contribué à la chute du rideau de fer.
“Aujourd’hui, dix chansons françaises par an et des vidéo-clips rendraient le meilleur service à la francophonie au Proche-Orient”.

L’Hymne du Liban à la francophonie

Musique: Elias Rahbani.
Paroles: Jean-Claude Boulos.

Ouverture
Couplet I

On vient des quatre coins du monde,
Animés d’une foi profonde,
Francophonie
Tu réunis
Toutes les races
Toutes les classes.
Couplet II
Dans le dialogue des cultures,
Nous parlons la langue la plus pure,
Langue d’histoire
Pleine d’espoir
Langue éternelle
Universelle
Refrain
Francophonie ta langue d’or
Langue de Molière, langue de Senghor
Francophonie des cent cultures
Notre dialogue pour le futur
Couplet III
Vivons ensemble nos différences
Francophones de toutes tendances
Tous solidaires
D’une nouvelle ère
Dans l’harmonie
Qui nous unit
Refrain
Francophonie ta langue d’or
Langue de Molière, langue de Senghor
Francophonie des cent cultures
Notre dialogue pour le futur.

N. H.
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3867 - Du 19 Au 26 Octobre 2002
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