Le Bloc national
Un plan d’action et une stratégie pour une étape dangereuse et difficile

Le Bloc national est l’un des partis historiques du Liban. Fondé par le président Emile Eddé, il a constitué un axe fondamental dans la vie politique libanaise, en perpétuel affrontement avec le Destour (parti constitutionnel) du président Béchara el-Khoury. Tous deux avaient la caractéristique de compter dans leurs rangs des membres de toutes les communautés nationales; aussi, ne se prêtaient-ils pas au jeu sectaire ou confessionnel.
Le B.N. était connu pour être le parti des batailles politiques, par excellence. Celles-ci se sont terminées dans les années quarante, plus précisément à la fin du mandat, Emile Eddé ayant accepté de prendre la place de Béchara el-Khoury et du premier gouvernement de l’indépendance. Ceux-ci avaient été mis dans l’impuissance d’assumer leurs responsabilités, pour avoir été incarcérés pendant près de dix jours à la citadelle de Rachaya. Il a fallu de longues années au “amid” Raymond Eddé, pour faire oublier l’erreur commise par son père et effacer l’accusation de traîtrise collée à sa famille.
Mais après le renversement de Béchara el-Khoury, au terme d’une grève générale de trois jours, le chef du Bloc national s’est allié avec le président Camille Chamoun (PNL) et Pierre Gemayel (Kataëb), pour combattre le chéhabisme et, surtout, le Deuxième Bureau pour son ingérence dans la vie politique.
Par la suite et après le déclenchement de la guerre libanaise, le “amid” s’est exilé en France et y est resté pendant vingt ans et jusqu’à sa mort, sans pour autant renier ses principes et les constantes en faveur desquels il n’a cessé de militer à partir de son lieu d’exil.
Après sa mort et les imposantes funérailles qui lui ont été faites à Beyrouth, Carlos Eddé, son neveu, a été élu leader du parti pour un mandat qu’il a voulu temporaire, n’excédant pas une année. Mais la base l’a maintenu à sa tête pour permettre au parti de franchir cette étape difficile et de combler le grand vide laissé par Raymond Eddé.
Le B.N. parviendra-t-il à réactiver son rôle et à consolider sa position dans le monde politique et partisan. Se prêtera-t-il au jeu des axes et de l’équilibre des forces?

Carlos Eddé: Principes et constantes inchangés

photoLes prises de position du parti n’ont pas changé, ni les constantes auxquelles il est resté fermement attaché, déclare M. Carlos Eddé. Celles-ci consistent en son attachement indéfectible à la souveraineté totale, à l’indépendance absolue et à la défense des libertés individuelles et publiques, comme à son souci de conserver à la magistrature son entière autonomie en tant que troisième Pouvoir, sans permettre qu’elle soit un moyen dont se servirait le Pouvoir pour procéder à des liquidations politiques.
De plus, le Bloc national défend l’unité nationale et le désir de vivre en commun des Libanais, luttant à cet effet contre le confessionnalisme et le sectarisme. A cette fin, il œuvre en vue de séparer la politique de la religion, tout en mettant en garde contre le péril sioniste à notre frontière méridionale.

L’ESPOIR DE REDRESSEMENT POLITIQUE S’EST VOLATILISÉ
Qu’est-ce qui a changé dans le parti depuis votre élection?

D’importants changements se sont produits dans le pays depuis ma prise en charge de la présidence du parti, en tête desquels le retrait israélien du Liban-Sud.
Puis, des élections présidentielles ont ouvert la voie à un nouveau régime ayant donné l’espoir quant à l’instauration de l’Etat de la loi et des institutions, à la réforme au double plan politique et administratif et au rééquilibrage des relations libano-syriennes.
Malheureusement, cet espoir s’est volatilisé et le climat s’est assombri d’une manière progressive, au point qu’on a l’impression que le Pouvoir n’est pas libre de ses décisions et est incapable de prendre des initiatives salvatrices.
Je me demande si le non-rééquilibrage des relations avec Damas est dû à des facteurs régionaux, à une mauvaise gestion de l’Autorité ou bien les deux à la fois? Aucune réponse convaincante à ce sujet n’a été donnée jusqu’à ce jour.

Quel rôle le Bloc national peut-il jouer pour contribuer au sauvetage du pays?
Le Liban passe par une étape dangereuse et difficile du double point de vue politique et économique, comme sur le plan intérieur et régional. Mais notre parti ne dispose pas d’une solution magique, ni de la possibilité d’accomplir des miracles.
Notre action vise à éclairer l’opinion publique par un discours politique rationnel, en mettant les citoyens en garde contre les conséquences néfastes du discours confessionnel ou sectaire. Car des parties opérant de l’intérieur et de l’extérieur, projettent de servir des intérêts étrangers et personnels, au détriment de la patrie. Si ces parties parvenaient à leur but, la majorité silencieuse en pâtirait le plus.

Antoine Klimos: Non au jeu politique

photoQuestionné autour de la position du parti au sein des alliances politiques, Me Antoine Klimos, secrétaire général, considère que le parti maintient ses principes.
Le B.N., dit-il, ne s’est pas prêté au jeu politique et se limite au jeu national, à travers le système démocratique libre. Il n’est pas influencé par des intérêts circonstanciels ou des tendances arrivistes. Les ministres du B.N. en particulier Raymond et Pierre Eddé, considéraient le Pouvoir comme un moyen de raffermir des principes et non à tirer des profits. Le B.N. est proche du discours opposant, partant de ses principes nationaux.

Comment évaluez-vous l’étape que traverse le parti après le décès du “amid” Raymond Eddé et l’élection de M. Carlos Eddé?
L’absence de Raymond Eddé a provoqué un choc qualificatif chez les partisans et les alliés, vu sa présence remarquable sur la scène nationale.
Après l’élection du nouveau “amid”, nous sommes en train de restructurer le parti, afin de lui donner l’image attendue par l’opinion publique. Nous avons atteint la fin de l’étape transitoire.
Pourquoi l’option d’héritage familial a-t-elle été adoptée pour l’élection du nouveau “amid”?
Le Bloc national, à l’instar des autres partis libanais, doit sa force à la personnalité de son chef fondateur et, après lui, au “amid” Raymond Eddé, bien qu’il comptait parmi ses membres, des éléments jouissant d’un halo politique, intellectuel qui l’ont accompagné dans les différentes phases de sa lutte. Le départ de Raymond Eddé ayant causé un choc, il était évident que les partisans choisissent M. Carlos Eddé. A part son appartenance familiale, le “amid” Carlos Eddé a une culture politique et des qualités morales l’habilitant à occuper cette position, bien qu’il était éloigné du climat politique libanais.

L’élection de M. Carlos Eddé sera-t-elle la règle?
Je ne crois pas, d’autant qu’il veut remplacer le concept d’héritage politique familial, par celui de la promotion au sein du parti.

DISCOURS FONCIÈREMENT NATIONAL
Le parti dispose-t-il encore de ses bases populaires? Et quels sont ses points forts et faibles sur ce plan?

L’extension du B.N. concerne toute la patrie, d’autant que son discours n’a jamais été confessionnel ou sectaire. Malgré son éloignement, durant les 25 ans passés, du discours politique extrémiste, il préserve encore la solidité de ses bases. Les élections municipales et législatives le prouvent. Des partisans du Bloc ont accédé à la présidence de conseils municipaux ou en sont devenus membres. En revanche, il n’a pas participé aux élections législatives, du fait qu’il opte pour la lutte nationale, alors que d’autres œuvrent en vue d’un intérêt personnel. Le Bloc espère que les prochaines législatives auxquelles il se prépare, se dérouleront dans un climat favorable, que ce soit avec la libération de la décision libanaise ou avec une loi électorale sur la base d’un nouveau découpage des circonscriptions assurant une vraie représentation populaire. Ainsi, le jeu parlementaire se redressera et l’action politique sera en harmonie avec le système démocratique.

Gérard Yaghi: “La défense des libertés publiques en tête de nos priorités”

photoRépondant à une question concernant les transformations au sein du parti et sa position sur la scène politique locale, M. Gérard Yaghi, commissaire à l’information, expose le plan d’action du B.N.:
“Le Bloc national, dit-il, a un registre riche sur le plan des libertés publiques et de la défense de tout ce qui les bâillonne, surtout celles garanties par la Constitution libanaise: la liberté d’expression, d’opinion et de croyance. Et ce, depuis le temps du “amid” Raymond Eddé qui a affronté le règne des S.R. sous le régime chéhabiste. Aujourd’hui, le parti adopte les mêmes positions, à partir des principes auxquels il s’attache et qui sont consacrés dans la lutte nationale à tous les niveaux. Il défend toute plume libre menacée de marginalisation ou réduite au silence. Ce qui est compatible avec son règlement préconisant la défense des droits de l’homme, afin de préserver l’entité libanaise: les libertés et la pratique de la démocratie.

En tant que commissaire de l’information, comment évaluez-vous l’expansion du B.N.?
Le peuple libanais comprend un grand nombre de jeunes, étudiants et universitaires, qui présentent des demandes d’adhésion au parti, dans le but de participer au travail politique à partir du Bloc national.
Dans ce cadre, a eu lieu, il y a un an environ, la prestation de serment de cent nouveaux partisans, de différentes confessions et régions libanaises, après une étude précise des demandes d’adhésion et des motivations ayant poussé ces jeunes à présenter leur candidature.
Actuellement, nous étudions de nouvelles demandes d’adhésion et la date de la nouvelle séance de prestation de serment sera annoncée prochainement. Or, la lutte du parti sur les plans politique et national, l’oblige à élargir le champ de son action et à se restructurer, grâce à ses sections, divisions et les Conseils de circonscription répartis dans les différents mohafazats auxquels la direction du B.N. accorde une importance primordiale.

CRITÈRES D’ADHÉSION
Quels sont les critères adoptés pour accepter ou refuser une demande d’adhésion au B.N.?

Tout Libanais qui croit en la souveraineté du Liban, l’unité de la terre et du peuple, le système parlementaire démocratique libre, mérite d’être dans les rangs du parti. L’adhérent doit être ambitieux et non opportuniste, car l’ambitieux fait tout son possible pour servir sa patrie, alors que l’opportuniste utilise tous les moyens pour arriver à son but au détriment de l’intérêt national.

Pourquoi le parti ne rajeunit-il pas sa base à l’instar des autres courants?
Le B.N. œuvre, démocratiquement dans ce but, par le biais des forces actives de la société civile. Or, le parti est disponible sur toutes les positions quand il le faut, surtout lorsque le pays est en danger. Il n’abuse pas de la rue pour réaliser des profits politiques ou circonstanciels.

Quelle est la relation du Bloc national avec les autres forces politiques d’opposition?
Le B.N. défend des valeurs sûres et l’Histoire a mis la lumière sur leur authenticité, ainsi que sur sa vision futuriste. Certains partis libanais ont participé à la guerre qui nous a amenés là où nous sommes et malgré l’absence d’un jugement populaire, nous avons émis le désir de coopérer avec ces partis aux fins de réaliser la réconciliation nationale, l’unité et de reprendre en mains la décision libanaise libre.

NON À TOUT REGROUPEMENT CONFESSIONNEL
Pour la première fois dans son histoire, le Bloc national adhère à un cadre politique à caractère confessionnel; pourquoi a-t-il participé au Rassemblement de Kornet Chehwane?
Le B.N. a suivi toujours un itinéraire éclairé, car il respecte la volonté des Libanais dans la consolidation de la réconciliation nationale, malgré l’application sélective de l’accord de Taëf.
De plus, les bons Libanais de toutes catégories, sentent qu’on veut les exclure du pays, alors que la démocratie au Liban repose, à notre avis, sur le principe de l’entente entre les différentes parties, ce qu’on appelle la démocratie consensuelle. Or, la vraie démocratie s’est évaporée et elle s’est vidée de son sens; c’est pourquoi, le Rassemblement de Kornet Chehwane a été constitué, en vue de préparer une étape d’entente au niveau national. Mais si l’objectif du RKC était de former un groupe sectaire, le B.N. n’y aurait pas adhéré. Toutes ces raisons l’ont poussé à se rapprocher de groupes politiques avec lesquels il avait eu auparavant des différends à plusieurs niveaux. Actuellement, nous étudions la façon de rectifier les erreurs que le RKC aurait pu commettre.
Le Bloc national considère que, dans l’intérêt du Liban, les forces politiques doivent œuvrer conjointement au sein des différents partis, afin de préserver l’entité libanaise et de renforcer l’interaction humaine, économique et sociale entre ses fils, tout en s’engageant à lutter contre tout ce qui contredit ou menace la souveraineté et la vie en commun.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3868 - Du 26 Octobre Au 2 Novembre 2002
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