Jadis, il y a longtemps, très
longtemps, j’avais entendu l’un de mes professeurs parler
de “l’Arabie Heureuse”. Pour moi, cela évoquait
un monde de beauté qui ne devait, dans mon imagination, qu’être
le paradis perdu par la faute d’Adam et d’Eve et retrouvé
par les Arabes. Plus tard, j’appris que c’était un
des hauts lieux de l’humanité, un univers riche en Histoire
et une source de civilisation. Et ce, avant, pendant et après l’ère
islamique, en passant par les merveilleux royaumes d’Andalousie,
de Bagdad et les bâtisseurs d’empires qu’ont été
les Omeyyades.
L’Arabie Heureuse, ce n’était pas seulement un lieu
géographique du Yémen. C’était surtout, les
hommes qui ont fait la grandeur des Arabes. Cette magnifique cohorte de
philosophes, de poètes, de savants, d’inventeurs, de découvreurs,
d’architectes, de musiciens, d’artistes dont l’influence
continue à se faire sentir jusqu’à nos jours.
C’était Ibn Sina (Avicenne) et son génie universel;
Al-Birouni qui demeure une référence en astronomie; Abou-Moussa
Djaber qui joue pour la chimie le même rôle qu’Hippocrate
pour la médecine. C’était Al-Farghani qui, le premier,
calcula les longitudes terrestres; Al-Razès, l’un des plus
grands cliniciens du monde, qui fut une référence dans ce
domaine jusqu’au milieu du XIXème siècle. C’était
Al-Battayni, astronome de génie, qui découvrit la précession
des équinoxes et fut le créateur de la trigonométrie
moderne; Avenzoar (Ibn Zouhr) qui découvrit, lui, le cancer de
l’estomac et demeure le précurseur de la médecine
expérimentale. C’était Ibn Rouchd (Averroès),
Al-Farabi, Khawarizmi, Al-Djaloubi. C’était une foule d’hommes
d’Etat dotés d’une stature devant laquelle l’Histoire
même s’inclinait. C’était la plus belle moisson
de puissance, de savoir et de gloire qu’un grand peuple ait jamais
apporté à une grande nation.
Et c’est aujourd’hui le spectacle lamentable d’une poussière
d’Etats bavards et tartarinesques qui parodient - et parodient mal
- “Les Fourberies de Scapin”.
C’est la région la plus riche de la planète et les
peuples les plus pauvres du monde. Ce sont des dirigeants mal assis, mal
tolérés, mal dans leur peau, qui mendient les faveurs de
ceux dont les porte-avions, les chars, les blindés, les B52 ne
seraient qu’un tas de ferraille sans le pétrole qu’ils
leur fournissent, la mine déconfite et l’oreille basse.
Ce sont les sommets de la peur, de la dissension, de la soumission et
de l’impuissance; les voix discordantes, les crocs-en-jambe, l’injure
et les invectives au sommet.
C’est le Libyen traitant le Saoudien d’usurpateur et d’allié
du diable et le Saoudien cinglant le Libyen d’un “Tes mensonges
te suivent et la tombe t’attend”. C’est l’Irakien,
au faciès simiesque qui ne trouve rien de mieux que de qualifier
le Koweïtien de “singe”.
Que c’est triste les Arabes au temps des valeurs mortes (que Charles
Aznavour nous permette de le pasticher). Oui, bien tristes ces empoignades
de portefaix et ces querelles d’enfants inconscients et mal élevés,
dans une cour mal famée!
Et n’est-ce pas navrant le spectacle de ce dictateur sanguinaire
et psychopathe qui terrorise l’Irak depuis plus de trente ans et
n’a ni le courage, ni la décence de s’en aller pour
empêcher un autre psychopathe de transformer son pays en terrain
de super-bowl et d’amonceler les cadavres des civils irakiens, afin
de mieux leur apprendre l’exercice de la démocratie à
la “Far West”.
Ils étaient 4 millions à Madrid, 3 millions à Rome,
2 millions à Londres, d’autres millions à travers
l’Europe, même aux Etats-Unis et jusqu’en Australie,
pour manifester contre la guerre. Combien étaient-ils dans le monde
arabe?
Et quelle est la voix qui s’est élevée le plus fort
pour condamner la guerre? Est-ce celle d’un dirigeant arabe? Non.
C’est la voix de Jean-Paul II, le pape de Rome. Et la voix du Vatican
porte loin et fait réfléchir. Car, fini le temps où
Staline demandait “Le pape? Combien de divisions a-t-il?”
Aujourd’hui, les analystes politiques répondent sans hésiter:
“Le pape est devenu en réalité le leader de la deuxième
puissance mondiale: l’opinion publique”.
Quant aux Arabes, ils s’en vont clamant partout qu’ils ne
se déroberont pas, qu’ils honoreront leurs obligations, leurs
engagements et leurs promesses. Mais comme à leur habitude, ils
s’en acquitteront en monnaie de singe. C’est là une
expression peu flatteuse il est vrai, mais qui ne fait que traduire la
triste réalité, quoique certains esprits mal tournés
puissent y voir une référence à la théorie
de Darwin.
|