Ultime hommage à Geneviève Gemayel

Geneviève Gemayel, veuve de Pierre Gemayel, fondateur et leader des Kataëb durant près de cinquante ans, mère de deux chefs d’Etat: Bachir et Amine, grand-mère de deux petits-enfants martyrs du Liban aussi, s’est éteinte le lundi 17 mars, à l’aube, à l’âge de 95 ans. Elle qui a connu les deux Grandes Guerres mondiales du XXème siècle, les guerres régionales du Proche-Orient et le conflit qui a meurtri le Liban durant plus de 15 ans, a préféré, sans doute, s’en aller avant que le IIIème millénaire pâtisse d’une nouvelle déflagration. Tous ceux qui ont connu celle qu’on appelait avec respect et affection la “cheikha”, garderont d’elle le souvenir d’une femme petite de taille, portant toujours le chignon, habillée de façon sobre, conduisant sa “Coccinelle”, mais solide, présente et efficace, parfaite épouse, mère et aïeule. Notre consœur de L’Orient-Le-Jour, Maria Chakhtoura qui lui a consacré un ouvrage sous le titre: “La Gardienne du Clan”, écrit dans l’épilogue: “Dans les moments de gloire, comme aux jours de grandes douleurs, elle semblera toujours d’humeur égale, solide, lucide, imperturbable, quels que soient les événements, indéchiffrable dans son intériorité jusqu’au désarroi des autres”.
D’imposantes funérailles nationales lui ont été faites mercredi 19 mars en la cathédrale maronite Saint Georges, au cœur même de la capitale.

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Geneviève Gemayel, une jeune fille
intelligente, pleine de dons et de charme

BIOGRAPHIE
Fille d’un grand commerçant libanais, Elias Kange Gemayel, Geneviève est née le 23 janvier 1908, en Egypte, dans la ville de Mansoura, où les Gemayel possédaient un négoce de tabac et de coton. La famille nombreuse de douze enfants, tel que c’était le cas autrefois, partageait son temps entre Mansoura, le Caire et Bickfaya où elle passait régulièrement l’été, dans la maison patriarcale. Avant de connaître un destin peu commun, Geneviève Gemayel a eu une enfance heureuse. Ses frères et sœurs iront étudier au Caire, à Alexandrie ou à Beyrouth. Elle préfère rester près de ses parents à Mansoura et fréquentera le collège des sœurs de la Sainte Famille. “J’ai été élevée en enfant unique, dira-t-elle. Mes parents s’étaient habitués à ma présence et ne voulaient pas se séparer de moi”.
Elève remarquable, douée tout particulièrement pour les mathématiques, elle avait, aussi, de nombreux talents, dont la grande habilité de ses dix doigts pour les travaux manuels: crochet, tricot, couture, etc... Elle se passionne pour le piano, la photographie, le repoussage du cuivre, la chasse, dont elle a tiré un manteau de renard et la peinture, étant l’élève de César Gemayel, un de nos grands peintres. Elle était espiègle et une joie de vivre émanait d’elle.
Son habileté manuelle fait qu’elle aura un stand individuel dans les expositions collectives de fin d’année. Elle reçoit, même, le prix du roi Fouad des propres mains du monarque égyptien.
Elle fut, aussi, une des premières femmes du Proche-Orient à obtenir un permis de conduire, alors qu’elle n’avait que 16 ans et fut, également, pionnière dans l’aviation, obtenant son brevet de pilote à 20 ans.

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Toute la famille autour de l’aïeule, lors du mariage
de son petit-fils Pierre Amine Gemayel à Chypre

L’ÉPOUSE TOUJOURS PROCHE DE SON MARI
En 1934, Geneviève et sa sœur Marie, épousent à Bickfaya leurs deux cousins, les frères Pierre et Gabriel Gemayel.
Le mariage fut célébré à Bickfaya, dans la demeure des parents de Geneviève. La cérémonie s’est déroulée dans la plus stricte intimité et le seul étranger à la famille présent, était Hussein Séjean, ami inséparable de Pierre Gemayel et membre du parti Najjadé qui regroupait l’élite sunnite de Beyrouth.
La jeune mariée se laisse spontanément emporter dans la spirale d’activités de son sportif d’époux. Tous les dimanches après-midi, elle l’accompagne à ses matches de foot, même si elle était loin d’être une “fana” de ce sport.
Très vite, cependant, deux ans après le mariage, Pierre Gemayel plonge dans la politique avec la fondation, en 1936, du parti Kataëb et les responsabilités qui en découleront. Viendront, ensuite, les charges ministérielles qu’il a successivement occupées jusqu’à la fin de sa vie, en 1984.
Mais, la politique happera non seulement son époux, mais la famille entière que Sitt Geneviève soutiendra en silence, avec un courage et une dignité remarquables.

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Epouse attentive avec cheikh Pierre

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- Le président Chamoun et son épouse Zalfa recevant M. et Mme Pierre Gemayel

UNE MÈRE ATTENTIONNÉE
Pierre et Geneviève Gemayel auront six enfants: Madeleine, Claude, Jacqueline, Arzé, Amine et Bachir. Elle sera une mère affectueuse, attentive et omniprésente, s’occupant des moindres détails de la vie, de l’éducation des enfants et de leurs loisirs, d’autant plus que cheikh Pierre était absorbé par le parti et la vie politique.
Pour ses quatre filles, elle a tenu à ce qu’elles suivent leurs études au collège de la Sainte Famille française où elle avait elle-même été éduquée. Elle n’a jamais eu l’ambition d’en faire des intellectuelles ou des universitaires, considérant que la place de la femme est avant tout au foyer, en tant qu’épouse et mère.
Par contre, les garçons étaient harcelés à la moindre mauvaise note et elle surveillait de près leurs études. A tous, elle a surtout inculqué les bons principes et le sens des responsabilités.

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- Avec le président Rachid Karamé

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A Bkerké, en compagnie du patriarche Sfeir

PRÉSENTE MAIS DISCRÈTE
Femme de leader politique, mère de deux présidents de la République: Bachir et Amine, elle ne fera jamais la “une” des journaux. On ne l’entendra jamais faire une déclaration, ou donner son avis en public sur aucun événement et restera en marge du parti et de la politique. Pourtant, son intuition en ce qui concerne les hommes et les événements ne se trompait jamais.
Par ailleurs, sa maison de Beyrouth et la résidence ancestrale de Bickfaya seront toujours ouvertes et accueillantes, vu les multiples obligations de cheikh Pierre; puis, des deux fils présidents. Elle témoignera d’une disponibilité à toute épreuve pour les siens et pour les autres. Son sens des responsabilités, son tempérament opiniâtre font qu’elle s’accommode parfaitement de décisions délicates.
Le leader des Kataëb est amené souvent à recevoir des officiels pour des réunions de travail suivies de déjeuners et de dîners. Sitt Geneviève les organise minutieusement, sans jamais y figurer, s’ingéniant à chaque fois à trouver de nouveaux décors pour la table et la salle à manger, à dresser de nouveaux menus.
Aux côtés de son époux, elle fut témoin de réelles pages de l’Histoire du pays et a connu et reçu de nombreuses personnalités libanaises et étrangères.
En 1943, alors que son mari était arrêté par les autorités du mandat français, elle a cousu le premier drapeau libanais.

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Avec le président Amine Gemayel et sœur Arzé

L’ÉPREUVE ET LE SILENCE
Rien n’est plus dur au cœur d’une mère que de perdre son fils. Une plaie béante qui ne se cicatrise jamais.
En août 1982, Bachir le plus jeune de ses enfants, est élu président de la République à l’âge de 33 ans. Vingt jours plus tard, le 14 septembre 1982 à 16 heures, il est assassiné au cœur même d’Achrafieh.
La matinée, elle avait vu son fils pour la dernière fois, au couvent de la Croix, où sœur Arzé Gemayel, donnait en l’honneur de son frère, Bachir, président élu, un déjeuner officiel. Sitt Geneviève raconte: “Après son discours, à l’issue du repas, je l’ai embrassé de toutes mes forces, comme à chaque fois que je pouvais le faire en me frayant un passage parmi la foule. C’était la dernière fois...”.
Amine Gemayel est élu président de la République et prend ses nouvelles fonctions en charge, le 23 septembre 1982. Sa mère craint pour son second fils placé aux postes de responsabilité. Mais la “cheikha” assumera sa profonde douleur, ses craintes dans la plus grande dignité et le silence. Elle avait déjà été éprouvée par le martyre de deux de ses petits-enfants: Amine Assouad, fils de Madis, tombé en 1976, à l’âge de 17 ans, sur le front des grands hôtels; et de Maya Bachir Gemayel, premier-né de la famille, tuée à l’âge de vingt mois, à Achrafieh, dans l’attentat d’une voiture piégée visant son père.
Après la mort de Bachir, suivie deux années plus tard du décès en août 1984, du compagnon de sa vie, Pierre Gemayel, Sitt Geneviève se parera d’une robe noire jusqu’à la fin de sa vie.
Ses dernières années s’écouleront dans la simplicité, dans son appartement à Dora, au milieu d’une somme de souvenirs.
Tout au long d’une longue vie ponctuée de joie et de peine, elle a su être digne, réservée et toujours disponible.

Adieux officiels et populaires à Geneviève Gemayel
Sfeir: “Elle était toujours la même face au revers et au succès”

D’imposantes obsèques officielles et populaires ont été faites, mercredi, en la cathédrale maronite Saint-Georges au centre-ville, à la regrettée Geneviève Gemayel, veuve de Pierre Gemayel, fondateur du parti Kataëb; mère des présidents Bachir et Amine Gemayel.

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De jeunes phalangistes
portant le cercueil de la défunte.

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L’église Saint Georges
encombrée de monde.

L’office funèbre a été présidé par S.Em. le cardinal Nasrallah Sfeir, assisté de plusieurs membres du clergé, en présence d’une foule compacte, en tête de laquelle avaient pris place: MM. Pierre Hélou, ministre d’Etat; Abbas Hachem, député et Michel Pharaon, ministre d’Etat représentant, respectivement, les présidents Lahoud, Berri et Hariri.
On notait, également, la présence des représentants du roi Abdallah II de Jordanie; du président libyen Moammar Kadhafi et de Yasser Arafat, chef de l’Autorité palestinienne, en plus des anciens chefs du Législatif et du gouvernement, d’anciens ministres, députés, comme des parlementaires de l’actuelle législature; des représentants des Ordres des professions libérales; des associations civiles, des organisations non gouvernementales, des syndicats et des membres des corps diplomatique et consulaire, de hauts gradés de l’institution militaire et des délégations populaires venues des différentes régions libanaises.

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La famille de la défunte
recevant les condoléances.

SFEIR: “UN EXEMPLE À SUIVRE”
Dans son oraison funèbre, S.B. le patriarche Sfeir a retracé l’historique de la famille Gemayel qui avait fui l’occupation ottomane pour s’établir à Mansoura sur les bords du Nil, où elle a œuvré en faveur de l’indépendance du Liban, l’un de ses membres éminents, cheikh Antoun Gemayel, ayant dirigé durant de nombreuses années, le quotidien égyptien “Al-Ahram”.
De la “cheikha”, le cardinal-patriarche a cité Geneviève Gemayel en exemple, “car elle s’était distinguée durant sa vie par les grandes vertus théologales: la foi, l’espérance et la charité”.
Il a, également, dit que la défunte qui a connu le succès et le revers, est restée la même dans les bons moments comme dans l’adversité. “Vivant à l’ombre de son conjoint, qu’elle a soutenu avec autant de discrétion que de sagesse, elle a été une mère de famille parfaite. Témoin des pages de l’Histoire du Liban qu’elle a vécue intensément, elle a cousu de ses mains le premier drapeau libanais en 1943, alors que cheikh Pierre Gemayel était prisonnier de l’autorité mandataire”.
A la famille Gemayel et à ses alliés, en particulier au président Amine Gemayel, “La Revue du Liban” présente ses sincères condoléances et les prie de trouver ici l’expression de sa sympathie émue et de son affection.

Par Nelly HÉLOU
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3889 - Du 22 Au 29 Mars 2003
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