13 avril 1975 - 20 mars 2003
Parallélisme entre deux guerres

C’était un dimanche comme cette année. Une journée printanière où les Libanais ont vaqué à leurs activités dominicales comme à l’accoutumée. Puis, tout a basculé... Et le 13 avril 1975 est devenu la date historique retenue du déclenchement de la guerre au Liban. Une guerre qui, en fait, plonge ses racines avec la défaite de juin 67, l’accord du Caire de 1969 et les incidents de 1973... Mais dans les annales de l’Histoire, il y a toujours des dates-clés, tel le 14 juillet 1789, pour le début de la Révolution française. Il en sera ainsi du 20 mars 2003, pour le déclenchement de l’offensive américano-britannique contre le régime de Saddam Hussein. Aujourd’hui, alors que cette guerre se déroule dans un pays de la région, à un millier de kilomètres du Liban et que chacun est en train de la suivre “Live” sur le petit écran, certaines réflexions s’imposent sur le présent conflit et le martyre vécu par le pays des Cèdres durant dix-sept ans d’affilée. Un parallélisme s’impose.

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Le Liban demeurera une terre de liberté dans ses 10.452 km2.

Cette guerre contre Saddam est menée, nous dit-on, par la coalition “pour libérer l’Irak du joug d’un “dictateur”, y instaurer un pouvoir démocratique et débarrasser le monde des armes de destruction massive que le régime pourrait toujours en disposer”.
Au Liban, il n’y a jamais eu d’armes de destruction massive et presque pas d’armes classiques. Les puissances internationales et régionales se sont fait un point d’honneur d’armer à outrance le demi-million de réfugiés palestiniens présents sur le territoire libanais, ainsi que les citoyens pour provoquer cette “guerre des autres”, à mille facettes.

LE PAYS DES CÈDRES ÉTAIT UN MODÈLE POUR LA RÉGION
Le Liban jouissant d’un régime politique parlementaire, était fier de son attachement aux valeurs démocratiques, même si cette démocratie, qu’il était le seul à prôner et à vivre au sein de son environnement arabe, n’était pas parfaite. L’est-elle, d’ailleurs, au sein du monde qui s’en réclame? Les puissances occidentales, alliées ou amies et régionales toutes fraternelles, se sont liées pour détruire la vie démocratique au Liban. Elle dérangeait, sans doute, plus d’un voisin ou ami... Le Liban était unanimement reconnu comme un pays des libertés et s’en flattait. On a fait de tout pour le réduire en un pays où on cherche à opprimer cette liberté. Il était le premier pays de la région à avoir obtenu une indépendance totale dans ses frontières internationalement reconnues de 10.452 km2, le 22 novembre 1943. On lui a arraché de force sa souveraineté, pour le placer sous protectorat syrien avec la bénédiction des Américains.
Pays multiconfessionnel et pluriculturel, ses fils avaient opté en 1943 pour une formule conviviale entre chrétiens et musulmans et constituer, de ce fait, à l’échelle régionale et internationale, un modèle d’un possible dialogue des cultures et des civilisations.
Le jeu des nations en a décidé autrement et au lieu d’aider à consolider et à renforcer ce modèle, on a fait de tout pour le détruire, contribuant, dès la fin des années soixante, à jouer sur la fibre confessionnelle, sachant qu’elle existe, bien sûr, nul ne le nie et il ne s’agit nullement d’occulter la grande part de responsabilité des Libanais dans cette guerre qui a meurtri leur pays.

LA GUERRE DU LIBAN ÉTAIT ÉGALEMENT “PRÉVENTIVE”
Les pacifistes du monde entier ne se sont pas soulevés pour dénoncer ce qui se passait sur cette terre millénaire. Au contraire, les Libanais qui ont eu le courage de porter les armes pour s’opposer à ceux qui voulaient spolier leur terre pour en faire une patrie de rechange, étaient montrés du doigt et placés sur le banc des accusés. Jusqu’à l’heure, la cause libanaise et le drame de tout un peuple demeurent méconnus dans le monde.
Les dissonances sont multiples entre le 13 avril 1975 et le 20 mars 2003, la principale étant, bien sûr, que le Liban n’a pas de pétrole et ne constitue pas une zone d’importance vitale sur le plan de la géostratégie mondiale.
Il y aurait, peut-être, un élément de ressemblance: dans les deux cas, il s’agit de “guerre préventive”, mais en 1975 le terme n’était pas encore évoqué et Spielberg n’avait pas encore tourné son fameux film “Minority Report” où l’on arrête des individus parce qu’on suppose qu’ils portent en eux des germes de criminalité.
On connaît tous les arguments évoqués par les “faucons” de Washington, le théoricien Wolfowitz en tête, pour justifier cette “guerre préventive” en Irak. Aujourd’hui, en remontant le fil du temps, on peut penser que ce qui s’est déroulé sur le sol libanais dès le 13 avril 1975 était, aussi, “une guerre préventive” mais à rebours des arguments invoqués pour l’Irak. Il fallait, absolument, prévenir que le Liban serve de modèle de démocratie, de liberté, de convivialité, de pluralisme aux pays voisins et éveille de telles aspirations chez les peuples de la région. Ces valeurs et principes pouvaient être contagieux; il fallait les étouffer et détruire un pays qui avait osé s’en réclamer et en faire un modèle de vie.

OSER TOUJOURS
Tel le phénix qui renaît de ses cendres, le Liban a survécu à cette longue et dure épreuve qui lui a coûté plus de 200.000 vies humaines (sur 4 millions d’habitants), des destructions massives, une impressionnante émigration de ses fils, un appauvrissement de la population et des problèmes sociaux inextricables... qui s’en soucie?
Le pays des Cèdres a survécu et continue à oser, contre la volonté de tous ses détracteurs, cherchant à se replacer sur la voie de la Démocratie, de la Liberté et de la Convivialité islamo-chrétienne.
Ce n’est, certes, pas grâce aux GI’s, ni aux soldats de Sa Majesté, ni même de l’aide de pays considérés comme amis, que le Liban refait ce cheminement vers ses valeurs ancestrales. S’il continue à oser, c’est grâce à la volonté de résistance pacifique de ceux de ses fils qui croient en la démocratie, en la liberté et les défendent sans relâche, au droit à la différence, au pouvoir du dialogue, au pluralisme culturel, le tout au sein d’un pays pleinement souverain.
Ceux qui se cramponnent à ces principes de vie et de pratiques politiques, sociologiques et culturelles, ne lâcheront pas prise. Au contraire, leur objectif prioritaire est d’entraîner dans leur sillage tous les Libanais pour refaire du Liban, ce “pays-message”, tel que l’a proclamé S.S. Jean-Paul II.

Par Nelly HÉLOU
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3892 - Du 12 Au 19 Avril 2003
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