Rencontre avec la Première Libanaise Mme Andrée Emile Lahoud
“... Je suis prise par la volonté de servir plus que par celle de paraître”

A notre première rencontre, son époux était commandant en chef de l’Armée; depuis, elle n’a pas changé. Discrète, simple, on peut dire que la Première Libanaise, Mme Andrée Lahoud, aura marqué l’histoire des épouses de chefs d’Etat, par son travail dans l’ombre auprès du président, lui laissant toute la gloire de la fonction, l’épaulant dans ses faits et gestes de grand cœur. De mère russe, de père libanais et de grand-père arménien, elle a hérité de cet amalgame génétique un savoir-faire et une touche euro-libanaise, qu’on retrouve chez elle en toute chose: de la décoration du palais présidentiel aux finesses délicieuses, à son accueil chaleureux et à l’éducation de ses enfants, qu’elle a tous menés à bon port. De la petite fille Andrée Amadouny, élève des Sœurs franciscaines, elle a gardé un cœur d’enfant qui vibre pour “les oubliés de la course du monde en marche”.
“Servir” est sa devise; c’est ainsi, qu’elle définit sa mission et qu’elle l’accomplit sans tambour ni trompette. Converser avec elle est un plaisir, une invite à rendre hommage à une Libanaise pure et dévouée, à l’âme sensible, au regard nostalgique des bons moments passés dans sa cuisine à mijoter les petits plats de sa maisonnée mais, aussi, au verbe sûr, philosophique, voire poétique et fascinant. La rencontrer, c’est découvrir la femme aux facettes malléables, s’harmonisant et s’adaptant aux réalités de son temps, de son devoir et de ses aspirations nationales.

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Être Première Dame n’est pas une fonction en soi
Mme la Présidente, cela fait environ quatre ans que vous occupez les fonctions de Première dame du Liban; de 1998 à 2003, qu’est-ce qui a changé pour vous?
C’est le don qui compte. Les années passent et je pense toujours à donner davantage. Etre Première dame n’est pas une fonction en soi, d’ordre politique ou administratif, mais un dévouement humain au nom d’un peuple et d’un pays auxquels vous appartenez et au nom desquels vous donnez le meilleur de vous-même. C’est un tout, comme une poésie qu’on compose ou comme une musique qui vous change sans savoir ni comment, ni pourquoi. Mais c’est un don, dis-je, qui vous va droit au cœur. C’est là l’essentiel.

Est-ce difficile d’être épouse de président de la République?
Que serait-ce être épouse? En somme, c’est savoir se dévouer à une vie de famille qui compte pour l’essentiel, tout comme savoir soutenir une cause humaine et lui donner la totalité d’un sacrifice consenti, voulu et partagé. Entre ceci et cela, je trouve qu’être épouse d’un homme public, a fortiori chef d’Etat, me permet d’assumer une responsabilité d’autant plus présente à tant d’appels.

La différence, à votre avis, entre les fonctions que vous remplissez et celles des autres épouses de présidents que vous avez rencontrées dans le monde...
La différence réside, sans doute, dans le mode de vie différent et particulier, relativement à chaque pays. La responsabilité, pour nous toutes, demeure la même. Dans une société qui s’éprend des élans du monde en marche, il nous importe d’être à l’écoute des oubliés de sa course, des éprouvés par son allure et des marginalisés. Je pense que chacune a su offrir à ceux-là, ne serait-ce qu’un sourire; de ce fait, la vie sera au rendez-vous de nos espoirs.

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Entre passion et dévouement
Etre épouse du président ou du général Emile Lahoud, où va votre préférence?
Certes, il existe une différence au niveau des responsabilités, ainsi qu’aux plans de la disponibilité. Pour une épouse d’un commandant en chef de l’Armée, c’est le cercle d’amitiés restreint, connu, jalonné de soucis communs, repérables même dans un quotidien quasi-semblable.
Par contre, être épouse d’un chef d’Etat, c’est se dévouer à un cercle inattendu, en permanent élargissement d’horizons et d’éventualités, où la sensibilité, devenant plus grande, également, contribue à lui tracer des rendez-vous avec le pluriel. Toujours est-il qu’entre les deux, ma préférence est la même, toujours motivée par une charge pour laquelle je me suis vouée à remplir, aussi parfaitement que possible. Dans les deux cas, n’avez-vous pas remarqué qu’il existe le mot chef? Etre épouse d’un chef, c’est en somme, entre passion et dévouement, être fière de son devoir.

Menez-vous un train de vie luxueux?
Je n’ai jamais été attirée par cette vie virtuelle, de people hors normes, avec ses lumières, ses illusions, et ses regrets. Pour moi, la vie est plus qu’une sérénité de toujours, plutôt une conviction affirmative d’instants voulus en toute simplicité. Que serait-elle autre que cela? Caprice d’une manie réfutée.

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La Première Libanaise avec Mme Nadine Farra Zakhem.

Rendre à l’enfance la capacité de rêver
L’enfance est votre domaine privilégié; que représente pour vous l’enfance libanaise? Et quels sont les problèmes auxquels elle se trouve confrontée actuellement?
Je n’ai jamais pensé à une enfance libanaise qu’épanouie, sereine et paisible. D’autant plus qu’il est de notre mission de lui assurer cette effervescence dont se doivent de jouir les enfants d’un nouveau millénaire. Mais il est pénible de ressentir à quel point notre enfance endure toujours les séquelles de la guerre et les traumatismes des adultes. S’il m’est permis d’adresser un appel, c’est en vue de lui rendre la capacité de rêver et de réaliser ses rêves. Vaste programme? Je dirai plutôt: légitime ambition!

La femme, aussi, vous lui consacrez beaucoup de votre temps; êtes-vous pour sa promotion, militez-vous pour la voir un jour ministre et, pourquoi pas, de votre temps? Que pensez-vous de la condition de la Libanaise, est-ce que le quota ou la parité pourrait lui garantir une accession aux postes de décision?
Il n’existe de meilleur garant des droits de la femme, que la femme elle-même. Dans les domaines du présent et du devenir, la femme est seule capable de prouver ses capacités de conviction et d’être. Certes, la parité en soi ne garantit que le droit au nombre et l’équilibre de répartition. Mais qui est en mesure d’assurer la qualité de cet équilibre? S’il est de notre devoir d’œuvrer, c’est dans cette direction, en vue d’assurer à la femme libanaise non le rang qu’elle a su tracer en y excellant, mais la plénitude des horizons ouverts à pareil rang. Personne ne pourrait le faire à sa place. S’il est un honneur qui se doit de lui revenir, c’est celui de prouver qu’en politique, comme en culture ou en éducation, elle a le même don de créativité.

Ne pensez-vous pas, à l’instar d’autres épouses de présidents, à institutionnaliser vos œuvres caritatives et à créer, par exemple, une fondation portant votre nom et que pensez-vous de celles déjà existantes?
Pour le moment, je suis prise par la volonté de servir, plus que par celle de paraître différemment. Il m’importe de donner plus encore et de laisser, au moment venu, l’idée d’une continuité sous un label différent. C’est l’essentiel dans mon action: servir au présent pour édifier ensemble l’avenir.

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La petite Andrée à l’âge de douze ans.

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Jeune fille à dix-huit ans.

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Le couple présidentiel libanais entouré de M. et Mme Boutros Boutros-Ghali et M. et Mme Jacques Chirac, le jour de l’ouverture du sommet de la Francophonie en 2002.

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Le président Emile Lahoud avec sa fille, Karen Elias Murr.

photoMme Andrée Lahoud en compagnie de son fils Emile Jr, sa bru Sabine, et ses petits-enfants: Michel, Maria et Emile Murr.
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La Première dame avec les enfants du couvent Mar Semaan à Wadi el-Karm, Baskinta.

photoLa présidente est entourée de son benjamin Ralph, son ami Serge Akl, le neveu du président, Imad Nasri Lahoud et sa petite-fille, Maria.

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Mme Andrée Lahoud et son fils Ralph.
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Une grand-mère complice et affectueuse avec Maria et Emile Murr.

La présidence me paraissait une projection quasi-impossible
Tout au long de votre vie conjugale, aviez-vous jamais cru ou pensé que la vie vous projetterait ainsi sur le devant de la scène et que votre époux occuperait un jour le poste de commandant en chef de l’Armée; puis, la magistrature suprême?
Pour un officier ayant servi loyalement sa patrie, être commandant en chef de l’Armée est l’honneur suprême, celui d’être au service de son pays et des hommes qui, en son nom, sont prêts à se sacrifier pour sa sauvegarde. Au général Emile Lahoud, il a été donné, davantage, la mission de réédifier l’Armée nationale, sur des bases non confessionnelles, ni partisanes. Ce fut un honneur rarissime. Toujours est-il que le voir accéder à la magistrature suprême me paraissait comme une projection quasi-impossible. Le jour où elle a eu lieu, c’était plus qu’un couronnement de carrière, plutôt une mission en plus, en vue de réaliser l’aspiration de tous les Libanais: édifier un Etat de droit et des institutions, garantissant leur devenir. Mission à laquelle il s’est attelé dans la logique de sa pensée, avec toute assiduité, confiant dans la fidélité à son intuition de réussir.

Consultez-vous les astres ou les voyants à l’instar des grands de ce monde?
Si je crois aux forces de l’esprit qui inspirent le monde, je ne peux consentir ni à l’astrologie, ni aux impulsions des astres nous guidant avec nos yeux clos. Pour moi, l’homme est volonté et comme tel, il est maître de son avenir. Toutes ces histoires de voyances me paraissent comme des balivernes portant plaisir aux ambitions désœuvrées.

La politique, une victoire de l’esprit
Aimez-vous la politique?
Serait-elle un art d’opter, volontairement, pour le bien, la politique est une victoire de l’esprit. Sinon, éprise de satisfaire des intérêts, voguer sur les dissensions ou manipuler l’exacerbation des fanatismes de tout bord, là, elle devient récrimination et objet de mon rejet. Pour distinguer ces deux facettes, n’avait-on pas parlé de politique politicienne? Je pense que les Libanais ont payé, sévèrement, le prix d’une telle politique et ils n’en veulent plus.

Monsieur le Président vous consulte-t-il pour les affaires d’Etat?
Globalement, il lui arrive de m’en parler. Je place cela dans le cadre de concertations, plus que de consultations. On ne consulte qu’à titre officiel et pour des questions assez précises et assez limitées. De toute évidence, l’utilité d’un avis est qu’il peut aider à formuler bien des décisions. Sans doute, en matière de l’esprit d’une conduite, le président Lahoud a toujours fait preuve d’une vision globale, dont les angles de vue reflètent un sens poussé de concertations.

Comment concevez-vous votre relation de couple: êtes-vous son amie, sa complice, ou simplement son épouse et la mère de ses enfants?
Je pense qu’il s’agit d’un tout qu’il serait, pratiquement impossible de concevoir en tranches. Toute vie conjugale réussie est une répartition de tâches, dont la moindre ne peut être conçue conceptuellement et dans une seule direction. Conjointement, nous avons veillé sur notre famille. Pour nous deux, elle a toujours été notre préoccupation majeure, grâce à laquelle notre vie a revêtu un sens sublime et, je pourrai dire même, que ce sens n’a cessé d’être conjoint, au point que je ne saurai concevoir une relation de couple où la femme ne serait épouse, mère, amie et complice, à la fois. Cela la comble d’un respect inouï et d’une fidélité de sa conscience de femme qui lui confère une stature et lui impose tant de devoirs.

Quel projet aimeriez-vous concrétiser en tant que Première Libanaise et que vous n’avez pas encore réalisé...
C’est plus un pari qui tient au cœur de tant de Libanais; introduire à fond l’instruction civique et ce, dès les classes maternelles, non comme une corvée ou un acte de mémorisation, mais comme une réalité admise et vécue comme telle. Il m’arrive souvent de me rendre dans certains établissements scolaires et de m’informer des programmes. Je m’étonne du fait que parler du Liban et évoquer un comportement national relèvent plus d’un acte de nostalgie poétique, que d’une action qui doit se poursuivre tout au long d’une vie. J’espère faire triompher ce pari de donner à la passion du Liban cette dimension d’être chez nos enfants.

Édifier l’État des institutions
Le projet que vous aimeriez voir le Président réaliser...
Dans son discours d’investiture, le président Lahoud a promis aux Libanais, d’œuvrer avec eux pour l’édification de l’Etat des institutions et du droit. Je pense que nous partageons tous cet espoir pour une meilleure vie nationale. Je pense qu’une telle tâche attend de nous tous une contribution des plus efficaces, afin de surmonter les faiblesses du laxisme et les contraintes de trop de parts.

Votre Liban à vous, comment le concevez vous?
C’est sans aucune réserve, celui d’une jeunesse heureuse d’y vivre. Nos jeunes ont vécu doublement les traumatismes de la guerre, en subissant ses affres, certes, mais aussi en y perdant une majeure partie de leur vie. Il est de notre devoir de leur assurer le meilleur pour l’avenir, non en compensation mais, surtout, en garantie de ce meilleur. Et cet avenir n’est autre que la réflexion accomplie de ce que nous voulons. Voici ce que nous sommes et ce vers quoi nous travaillerons ensemble.

Comment résumez-vous une de vos journées?
Elle se résume, tout simplement, par la disponibilité: celle de l’écoute et de l’action. Ceci constitue l’authentique rapport de mon train de vie.

Le Liban ne peut assurer sa pérennité sans sa jeunesse
Envers les jeunes Libanais qui émigrent faute de travail, que ressentez-vous et que leur conseillez-vous?
Je comprends leur décision, mais je ne pourrais me résigner face à une telle probabilité. Le Liban ne pourrait perdurer sans l’esprit des jeunes et leur disponibilité. J’ai toujours cru que l’esprit d’une nation ce sont les jeunes qui l’entretiennent et je garde toujours confiance en cette jeunesse libanaise, même si l’enthousiasme manque, lorsqu’on sent que nos rêves ne s’accomplissent pas de la manière que nous voulons. Heureusement, que le temps de l’espoir est toujours agissant, notamment en période de difficultés. N’a-t-on pas dit que, souvent, les ombres stimulent la lumière?

Si vous aviez à refaire votre vie, choisiriez-vous le même itinéraire?
Pourquoi dois-je changer d’itinéraire? Lorsque la vie vous a comblé d’une famille, de rendez-vous et d’opportunités, pourquoi devons-nous nous plaindre? Il est des moments difficiles que nous aimerions oublier; d’autres meilleurs que nous aimerions garder. La vie ce sont des souvenirs et des rappels. Pourquoi, alors, souhaiter d’autres tentations?

Les “petits riens” du quotidien me manquent
Epouse, mère, grand-mère et Première dame, arrivez-vous à assumer tout cela à la fois?
Plutôt qu’assumer un pareil dessein, je suis satisfaite que j’arrive à maîtriser une destination dans laquelle je me complais et où la vie me comble du meilleur. A voir la vie ainsi perpétuée à travers de nouveaux visages et de nouveaux sourires se confirme, pour moi, l’espoir de tracer des voies du devenir et d’autres promesses encore.

Ce qui vous a manqué le plus depuis que vous êtes présidente?
Ce sont, surtout, les petits riens du quotidien, comme faire la cuisine, par exemple; chose qui comptait dans mes préoccupations, comme pour toute femme libanaise, d’ailleurs.

Y aurait-il des épouses de présidents de par le monde que vous admirez et auxquelles vous aimez vous identifier?
Je ne peux m’empêcher de saluer le courage de nombreuses parmi elles pour les domaines de la mission qu’elles se sont choisies. Je rends hommage, également, au dévouement de certaines dépassant et de loin le cadre de leur pays. Dans les deux cas, je me retrouve dans cet élan qui nous anime toutes et nous permet de confirmer que le monde attend de nous ce souffle de cœur qui rend son esprit encore plus pénétrant. Un signe de vie, dirais-je...

Un dernier mot aux Libanais.
Je resterai toujours fière de la manière dont ils maîtrisent leur devenir. Ayant subi les pires épreuves, ils ont su garder leur unité en dépit des années difficiles. Le meilleur est à venir et je suis sûre qu’il sera à l’image de leur volonté. C’est en quoi ils resteront un message.

NADINE FARRA ZAKHEM
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3901 - Du 14 Au 21 Juin 2003
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