Après les maronites, les autres communautés
se sont exprimées vendredi, élevant la voix pour reconnaître
aux maronites et exiger d’eux un rôle pionnier et des réalisations
encore plus lourdes, faisant de ladite communauté “le véritable
levain du Liban et du Proche-Orient”. En effet, c’est à
l’adresse de l’Eglise et de la communauté maronites
qu’ont été formulées les demandes suivantes,
toutes plus difficiles à concrétiser les unes que les autres:
réaliser l’unité du Liban, instaurer le dialogue avec
l’Islam, défendre la liberté religieuse, rester fidèle
à Rome, tout en s’ouvrant sur le monde anglo-saxon et sur
l’Orient, unifier les Eglises maronite et syriaque-catholique, édifier
avec les musulmans et les druzes, une société civile cohérente
qui renforcerait l’immunité politique...

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LES MARONITES UN MESSAGE
Tout cela conformément à un nouveau slogan lancé,
cette fois, à partir des affirmations du pasteur Habib Badre, représentant
de la communauté évangélique:
“Tout comme le Liban est plus qu’un pays, dit-il, les maronites
sont plus qu’une communauté. Ils sont un message. Sans ce
message, le Liban ne serait pas non plus un message, ce qui les place
devant une responsabilité historique”. Cependant, il reproche
aux maronites “de considérer les protestants non pas comme
une Eglise, mais comme une “communauté écclésiale”.
Pour sa part, Mgr Antoine Baylouni évêque des syriaques-catholiques,
a proposé, à l’étonnement de tous, d’unifier
son Eglise avec l’Eglise maronite. “Nous sommes une seule
Eglise avec deux présidences. Il faut les unifier”, dit-il,
posant comme condition pour la réussite de ce projet, “le
rapprochement de l’Eglise maronite de ses racines syriaques, de
sorte qu’elle devienne plus syriaque que maronite”.
Empêché de venir au Liban par la tenue du synode annuel de
l’Eglise grecque-catholique qui vient de s’ouvrir en Syrie,
Mgr Salim Ghazal, représentant l’Eglise melkite, a demandé
aux musulmans dans son intervention lue par son porte-parole, “leur
participation à l’édification de la “patrie
définitive” que le Liban devra devenir aux yeux de tous ses
fils”.
M. Nabih el-Awar, délégué de la communauté
druze, abonde dans le même sens.
“Ce dont les Libanais ont le besoin le plus urgent, souligne-t-il,
c’est de confiance réciproque, de réconciliation,
de franchise et de courage”.
Sœur Angèle Saliba, supérieure des religieuses des
Saints-Cœurs, déléguée du conseil des supérieures
générales des Ordres religieux, a rendu hommage à
l’initiative synodale, mais considéré que ceux qui
la perçoivent comme un signe d’espoir pour leur présence
politique se trompent.
Mgr Jean Teyrouz, vicaire patriarcal et délégué des
Arméniens-catholiques, a estimé que la démarche synodale
est un signe d’espoir pour son Eglise dispersée partout dans
le monde.
LA CONVIVIALITÉ POUR TOUS
Le Dr Ali el-Hassan, pédiatre, a lu le discours de cheikh Abdel-Amir
Kabalan, vice-président du conseil supérieur chiite, qui
a appelé à la tenue d’un sommet interreligieux et
invité le synode “à fuir le désespoir”
et à considérer la convivialité au Liban comme “la
propriété du monde entier et non seulement du Liban”.
M. Mohamed el-Sammak, délégué de Dar el-Fatwa, a
appelé l’Eglise maronite à prendre conscience du nouveau
Proche-Orient qui se profile à l’horizon après la
guerre contre l’Irak, exaltant les ethnies et les religions; un
danger pour l’Eglise maronite: “C’est à l’Eglise
maronite, soutient-il, que revient la tâche de défendre l’unité
du Liban, non seulement parce que les chrétiens libanais ont un
rôle capital à jouer pour maintenir le moral de leurs coreligionnaires
du monde arabe et de contribuer, efficacement, à en assurer la
présence et en consacrer le témoignage”.
Par ailleurs, il observe que l’Eglise maronite, répandue
à travers le monde, est “une forme, par excellence, de présence
du Liban... L’Eglise maronite a joué le rôle principal
dans l’avènement du Liban, le synode patriarcal devant s’inscrire
dans cette ligne et jouer un rôle fondamental dans l’édification
d’un Liban meilleur. Son succès, a-t-il conclu, sera un succès
pour le Liban”.
Si le révérend Habib Badr (représentant les évangélistes)
a, dans son intervention, conseillé aux maronites de s’ouvrir
sur la culture et le monde anglo-saxons, tout en restant attachés
à Rome, le R.P. Joseph Nassar, délégué des
supérieurs des Ordres religieux a, pour sa part, pleinement plaidé
en faveur du rattachement et de la fidélité à la
capitale de la catholicité.
Dernier à prendre la parole, Mgr Youhanna Yazigi, délégué
de l’Eglise byzantine-orthodoxe, s’est prononcé en
faveur d’un rapprochement des Eglises orientales les unes des autres,
à partir d’un triple enracinement arabe, byzantin et syriaque.

Le patriarche Sfeir à la fin de la session. |
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Les RR.PP. Abou Kassem et Daccache en compagnie de l’archevêque
Béchara. |
MESSE ET COMMUNIQUÉ FINAL SAMEDI
Le synode patriarcal a clos sa première session de travaux (deux
semaines de réunions et une semaine de retraite) par une messe
solennelle célébrée par S.Em. le cardinal Nasrallah
Boutros Sfeir et un communiqué final rendu public par l’archevêque
de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, qui a clairement énoncé d’une
part, que “convivialité et liberté sont les deux conditions
indissociables pour la pérennité du Liban authentique”.
Et affirmé, d’autre part, que “l’Eglise maronite
n’a jamais voulu être une Eglise nation”. Il a souligné
qu’il s’agit là “d’une Eglise ouverte,
œuvrant avec tous les fils de ce pays et ne s’étant
jamais arrogé un rôle de tuteur sur le pouvoir politique”.
Une façon de répondre à ceux qui ont reproché
à l’Eglise maronite durant la guerre, de souhaiter la partition.
Le communiqué final a énuméré les circonstances
de la tenue du synode et ses principales motivations à savoir:
le “printemps d’après Vatican II”, le “synode
pour le Liban”, auquel a appelé S.S. Jean-Paul II et l’Exhortation
apostolique de mai 1997, le Jubilé de l’an 2000 et l’annonce
du troisième millénaire; enfin, la nécessité
pour les maronites de se réunir pour discuter ensemble de l’entité,
de l’identité et du devenir de leur Eglise, notamment après
son expansion à tous les pays d’émigration.
UNE ÉGLISE PATRIARCALE ORIENTALE D’ANTIOCHE
L’identité de l’Eglise maronite a été
définie par le communiqué final comme une “Eglise
patriarcale orientale d’Antioche”. Ledit communiqué
a, par ailleurs, passé en revue les principaux thèmes intéressant
l’Eglise et la communauté maronites d’aujourd’hui
face aux défis du siècle, les débats et les conclusions
qu’ils ont adoptées, concernant la famille, les jeunes, le
code des canons des Eglises orientales, la formation des prêtres,
le renouveau des personnes et, surtout, le rôle de l’Eglise
maronite dans la vie politique du Liban et la citoyenneté entière
de ses fils ainsi que leur appartenance à ce pays. Un sujet extrêmement
délicat abordé par le synode qui a fixé comme suit,
les orientations de l’Eglise au niveau politique.
“La mission de l’Eglise maronite dans le domaine de la politique
et de la société est enracinée essentiellement dans
sa vérité spirituelle, comme on peut le déduire des
constantes de son action à travers l’Histoire. L’Eglise
maronite n’a jamais envisagé d’être, sur le plan
politique, une Eglise nation et sa vocation n’a jamais été
de s’emparer d’un territoire qui lui appartiendrait exclusivement.
Par contre, sous l’inspiration divine, sa mission a toujours été
de partager un même destin avec d’autres, dans le cadre d’une
même entité politique. Mais cette orientation spirituelle
ne signifie pas que ses fidèles ont renoncé à leurs
droits légitimes de citoyens, ni qu’ils ne sont pas attachés
à la terre ou respectueux de sa valeur sacrée.
“En ce qui concerne la présence de l’Eglise au Liban,
nous avons réaffirmé que le choix des maronites est celui
de la coexistence, de la convivialité. Et nous avons réaffirmé
que le Liban n’a pas de valeur ou d’existence, sans la liberté.
La convivialité et la liberté sont les deux conditions indissociables
pour que le Liban demeure fidèle à lui-même. C’est
sur cette base que nos regards se sont portés vers la réalité
libanaise actuelle. Le retour à la normale est lent et bloqué.
La participation totale aux responsabilités tarde à se concrétiser.
Un exercice plénier de la liberté attend de se traduire
dans une saine pratique démocratique. C’est pourquoi, l’invitation
de l’Eglise à embrasser les valeurs de participation et de
liberté pour restituer au Liban toutes les composantes de sa souveraineté,
de son indépendance et de son autonomie de décision, s’adresse
à tous et se fait au bénéfice de tous, afin que le
Liban remplisse sa mission, qui est d’être “un message
de liberté et un modèle de pluralisme pour l’Orient
et l’Occident”, selon les termes du souverain pontife (Message
du 8 septembre 1989, 6).
“(...) Ce qui vaut pour les services rendus par les maronites au
Liban vaut aussi pour les services qu’ils ont rendus au monde arabe
dans lequel ils vivent, auquel ils appartiennent et aux valeurs humaines
dont il a été le dépositaire au cours de l’Histoire
et auxquelles ils sont associés. Dans cet environnement, l’Eglise
maronite a été un apôtre de la modernité dans
son sens positif. Elle a contribué à sa renaissance littéraire
et intellectuelle et a été témoin, en son sein, des
valeurs de la démocratie et des droits de l’être humain.
Avec toutes les forces vives qui s’y trouvent, les maronites sont
invités à se solidariser aujourd’hui, pour la justice,
la liberté et le développement dont jouiraient les générations
nouvelles et pour des solutions justes aux causes de ses peuples et de
ses Etats et d’abord en Palestine. Dans le reste du monde, il a
échu aux maronites d’être des éléments
de rencontre entre les religions et les civilisations. Leur contribution
au succès de cette rencontre pourrait être particulièrement
précieuse, car ils ont porté et portent dans leurs nouvelles
patries l’expérience unique et collective de la convivialité
et du dialogue de vie, qui en font des apôtres de la concorde entre
les peuples. Car ils transmettent par leur culture la preuve irréfutable
qu’un mal mortel se cache dans le choc des civilisations et que
seul le dialogue entre elles garantit un avenir prometteur pour l’humanité
entière.”

L’abbé Athanassios Jalkh et Mgr Roland Abou-Jaoudé.
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Mgr Béchara Raï,
archevêque de Jbeil.
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Mgr Khalil Abi-Nader.
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LE LIBAN EST AUX MARONITES CE QUE ROME EST AUX
CATHOLIQUES
Concernant les relations de l’Eglise maronite du Liban avec les
Eglises, filles, dans les pays d’émigration, considérées
comme l’un des motifs de ce synode, le patriarche Sfeir les a résumées,
ainsi: “Le Liban est aux maronites ce que Rome est aux catholiques”.
Quant au communiqué final, il affirme à ce sujet:
“La situation des maronites répandus dans le monde a été
examinée sous tous les aspects, pour la première fois peut-être
avec autant de clarté.
“Une étape historique première où l’on
pouvait parler des relations entre le Liban résident et le Liban
émigré est désormais révolue. L’état
d’émigré a cessé d’être un état
provisoire pour ceux qui ont quitté leur pays dans l’espoir
d’y rentrer rapidement. Il s’est transformé en une
nouvelle présence pour eux dans de nouveaux pays et à une
nouvelle expérience humaine de vie ecclésiale et de la présence
de l’Eglise maronite dans le monde.
(...) “Une nouvelle phase de la vie de l’Eglise maronite répandue
dans le monde a commencé, poursuit le communiqué. Nous sommes
en présence d’une Eglise unie par le patrimoine, les relations,
les saints, l’appartenance au Machrek, l’appartenance au Liban,
sa patrie spirituelle et l’attachement au patriarche résidant
à Bkerké, garant de son unité passée, présente
et à venir. Elle est universelle par l’extension géographique,
le rôle et la mission au service de la rencontre avec autrui quel
qu’il soit, car sur les pas du Christ son maître et sur les
chemins du monde, elle est devenue experte en convivialité auprès
de tous les peuples. Tout comme l’Eglise du Christ est une, sainte,
catholique et apostolique, selon une expression du pape Paul VI, “experte
en humanité” dans le monde entier. Toutefois, à l’heure
de la mondialisation, l’Eglise du Liban est la garante des évêchés
maronites dans le monde, sans laquelle ils se transformeraient en autant
de maronités distinctes.”
Conclusion
Dans la conclusion, le communiqué final a notamment fait état
de “l’espoir béni que le synode a renforcé dans
nos cœurs à tous” et “des prières ardentes
des maronites à l’intention de cette terre d’Orient
sur laquelle ils se trouvent, afin qu’il y soit mis fin aux guerres
et aux conflits et pour la paix dans le monde”.
Homélie du patriarche Sfeir
Faisant plus que jamais preuve de tolérance et de sagesse, deux
qualités qui le caractérisent, le cardinal-patriarche a,
dans son homélie de la messe de clôture, rappelé que
le Christ avait annoncé à ses disciples qu’ils seraient
persécutés, tout comme Il l’a été et
qu’Il a tenu à leur donner, avant de quitter ce bas-monde
pour retourner à son père céleste, une leçon
d’amour et d’humilité: “Aimez-vous les uns les
autres: c’est ainsi que vous serez reconnaissables”. Et Il
leur a lavé les pieds, tout en leur faisant comprendre qu’Il
est la vigne et eux les rameaux qui, s’ils venaient à être
coupés, c’est-à-dire à s’éloigner
de Lui, ils mourraient, ne porteraient plus de fruits et tomberaient dans
le désespoir”.
RENDEZ-VOUS EN OCTOBRE 2004
La première session des travaux du synode s’est donc achevée
le 21 juin, sur l’engagement de réfléchir, au courant
de l’année, sur certains sujets demeurés en suspens
et sur la reformulation des textes déjà examinés.
Sachant que des formulaires portant les mentions “approuvé”,
“non- approuvé” et “suggestions” avaient
été distribués aux personnes présentes pour
voter et exprimer une dernière opinion sur les thèmes débattus.
La deuxième session du synode se tiendra en octobre 2004, les travaux
synodaux devant se poursuivre jusque-là, en commission. Au terme
de la deuxième session, les documents approuvés par vote
deviendront des documents synodaux officiels.
Un synode exemplaire
Tous ceux qui ont suivi les travaux du synode, ne se sont pas privés
d’exprimer leur admiration pour ce synode et son importance “puisque
réunissant, pour la première fois, les maronites du Liban
et du monde”; pour son président, le patriarche Sfeir toujours
présent et à l’écoute; pour l’organisation
parfaite; pour la transparence la concision et la clarté des interventions
et leur traduction simultanée en quatre langues arabes; français,
anglais, espagnol, pour la démocratie, l’objectivité
et l’esprit de franchise qui ont prévalu; pour l’acharnement
au travail des équipes d’ecclésiastiques et de laïcs
qui ont introduit, dans les textes, les amendements proposés; enfin,
pour la modernité et la technologie mises au service de ce synode,
disposant d’un site Internet et d’une informatisation totale
des travaux.
Pour l’espoir, enfin, qu’il a fait naître dans les cœurs.
En souhaitant que les maronites puissent être, dans les années
à venir, à l’image de leur synode: un exemple à
suivre! |