Irak: quel châtiment pour Saddam?
Par Jean DIAB

Une semaine après la capture du président irakien déchu, on se perd toujours en conjectures sur les sources ayant conduit à sa cachette. Saddam Hussein a-t-il été “donné” par un de ses proches, lui-même arrêté la veille de la prise, comme l’affirme le commandement américain ou bien a-t-il préalablement été drogué par un de ses gardes du corps pour faciliter sa reddition sans résistance, selon la presse jordanienne favorable à un autre scénario, complètement différent de la version américaine? Le mystère demeure entier. Par contre, une chose est certaine c’est que Saddam Hussein sera jugé en Irak par des juges irakiens. Tous les membres du Conseil de gouvernement sont d’accord sur ce fait. Confirmation a été donnée par l’administrateur civil américain Paul Bremer qui a déclaré que l’ancien dictateur “serait jugé par des tribunaux irakiens quand ceux-ci seront opérationnels”. Enfin, pour le porte-parole du Conseil de gouvernement provisoire irakien, les membres de ce Conseil discutent actuellement de la formation du tribunal et que les juges seraient choisis “au plus vite”. Une démarche qui va poser un problème de légitimité de ce tribunal désigné par un Conseil transitoire lui-même nommé par les Américains. A moins que la nomination des juges n’intervienne qu’après la tenue d’élections en Irak et que ce choix émane du Conseil supérieur de la magistrature irakienne qui aurait alors été réinstitué. Ce qui est peu probable et nécessiterait un long délai de plusieurs mois.

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L’impossible exhumation de tous les charniers
rend les chiffres des victimes invérifiables.

“Il s’agit d’un dictateur irakien, il s’agit de victimes irakiennes, il s’agit de crimes commis sur le territoire irakien. Tout naturellement, c’est aux Irakiens de juger Saddam Hussein”, comme l’a souligné l’ancien ministre français de la Justice, Robert Badinter, avocat et ancien président du Conseil constitutionnel. Selon lui, “le droit international ne permet pas de déférer à une justice de vainqueurs la connaissance de crimes commis avant l’occupation à l’encontre de citoyens occupés”. Donc, le précédent du tribunal de Nuremberg ne peut pas s’appliquer au cas de Saddam Hussein. Toutefois, c’est le sort judiciaire du président irakien déchu qui divise la communauté internationale provoquant une controverse autour de la peine de mort. Elle fut déclenchée par le président Bush qui a déclaré que l’ancien dictateur mérite la “justice ultime”. Un point de vue partagé par le président du Conseil de gouvernement transitoire irakien Abdel Aziz Hakim, en visite à Paris, qui a annoncé que Saddam Hussein serait jugé par le tribunal pénal que le Conseil vient d’instaurer et qu’il risquait la peine de mort. Quant au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, il a déclaré que la question de la participation de l’ONU à un tel procès n’était pas prévue. M. Annan a tenu à rappeler que les Nations unies “n’étaient pas en faveur de la peine de mort”. D’autres voix comme celle de Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003, ainsi que celle du Prix Nobel de la paix 1984, Desmond Tutu, ancien archevêque anglican du Cap, ont affirmé la nécessité d’un procès de l’ancien dictateur devant une juridiction internationale. Le dirigeant chiite irakien Ahmed Chalabi, membre du Conseil du gouvernement transitoire, affirme quant à lui: “Notre législation comprend la peine de mort. En conséquence, Saddam pourrait être condamné à la peine capitale pour les crimes horribles qu’il a commis pendant les trente dernières années”. En revanche, le chef kurde irakien Jalal Talabani souhaite que l’ex-dictateur soit condamné à la prison à perpétuité. “Je veux qu’il souffre quotidiennement en réalisant combien les gens le haïssent. Montrons-lui comment nous construisons un nouvel Irak libéré de sa poigne malfaisante”. De Londres à Madrid, en passant par Berlin et Paris, les pays de l’Union européenne sont, eux, hostiles à la peine de mort, une position de principe qui n’est pas liée à la personne de Saddam Hussein.

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Bremer: “Saddam sera jugé
par des tribunaux irakiens”.

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Annan: non à la peine de mort.

LE GIBET OU LE POTEAU D’EXÉCUTION?
Selon des sources du Conseil de gouvernement provisoire irakien, Saddam Hussein pourrait être poursuivi pour crimes d’extermination, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ainsi que pour dilapidation de fonds publics. Pour les victimes du régime baassiste, la question n’est pas de savoir si Saddam doit être passible de la mort mais de quelle manière la peine capitale doit être appliquée? Le dictateur doit-il être pendu haut et court sur la place publique ou passer devant le peloton d’exécution. Selon un haut responsable de “l’association des prisonniers libres”, principal mouvement de défense des victimes de la répression du parti de Saddam Hussein, il ne faut pas choisir entre le gibet et le poteau d’exécution mais “il faut le tuer lentement pour qu’il souffre”. Une soif de vengeance sans pitié anime les victimes de Saddam. Ils verraient bien une mise à mort en direct à la télévision. Elle pourrait “se dérouler sur l’esplanade des festivals”, le lieu des cérémonies à grand spectacle de l’ancien régime. “Il serait installé sur l’estrade d’où il tirait en l’air au fusil pendant les défilés”, propose l’ancien prisonnier du régime, Abdelfatah Raouf. “Dimanche, j’étais heureux de voir ce type qui se prenait pour un géant, enfin, faible et écrasé”, s’exclame-t-il. Arrêté en 1986 en raison de ses liens avec l’ex-mouvement clandestin chiite “Dawa”, Raouf a subi des séances de torture à l’électricité et a été pendu comme un poulet à un crochet. Quant à un dignitaire religieux de l’Assri, l’imam Ali Moussaoui, il se déclare d’avance “ravi” d’une condamnation à mort de Saddam et il estime qu’en attendant l’application de la sentence, l’ex-dictateur pourrait être exposé sous haute protection dans une cage du parc zoologique de Bagdad. Et d’ajouter: “Le problème avec Saddam, c’est qu’un jugement de mort n’est pas suffisant pour payer ses forfaits”.
Ainsi, le problème est, avant tout, d’organiser un procès irréprochable. Car au-delà de la haine féroce et de la soif de vengeance, les millions d’Irakiens touchés par la terreur baassiste ont une exigence de vérité et de reconnaissance des souffrances infligées et endurées. L’association compte se porter partie civile au procès. Les plaignants réclament une reconnaissance morale et financière du préjudice subi. On comprend, dès lors, tous les espoirs placés dans un jugement équitable et sévère qui aiderait les Irakiens à extirper les racines de trois décennies de dictature brutale. Selon les organisations internationales de défense des droits de l’homme, plus d’un demi-million d’Irakiens sont morts dans des massacres, exécutés ou portés disparus. Les partis politiques irakiens annoncent des données deux fois plus importantes. Mais l’impossible exhumation de la totalité des charniers rend les chiffres invérifiables.

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Saddam (ici avec Ahmed Chalabi):
absence de coopération totale avec les enquêteurs.

Arrestation d’un général proche de Saddam
“La capture de Saddam Hussein et les renseignements que nous avons obtenus de lui sont un pas important dans la marche irrésistible de l’Irak vers la démocratie”, a déclaré le général Richard Meyers, chef d’état-major interarmes américain, qui a révélé sur plusieurs chaînes de télévision américaines qu’environ deux cents combattants auraient été arrêtés au cours de la semaine écoulée dont un général proche de Saddam Hussein dimanche. Il a précisé qu’un certain nombre d’informations actuellement examinées par les services de renseignements américains provenaient d’une malette retrouvée dans la cachette de Saddam au moment de sa capture. Le général Meyers a fait valoir que les meilleurs enquêteurs avaient été chargés d’interroger Saddam sous la supervision de la CIA. Mais il a admis: “Les dernières informations dont je dispose font état d’une absence de coopération, de la part de Saddam Hussein” et il y a encore “beaucoup à faire” avant de mettre un terme aux attaques de la guérilla perpétrées sur le sol irakien.
En effet, les installations pétrolières d’Irak ont subi depuis trois jours, une série d’attaques de la guérilla, aussi bien contre les oléoducs alimentant les raffineries locales que la ligne d’exportation vers la Turquie, aggravant encore la pénurie chronique de carburant dans le pays. Et cela parce que la capacité de production des raffineries a été divisée par 2, en raison de ces attaques à répétition.
Enfin, le rôle de l’ONU en Irak est réclamé par l’Exécutif provisoire irakien qui souhaite par la voie d’un de ses membres M. Pashashi que “l’ONU joue un rôle central dans un proche-avenir en Irak, car nous avons besoin de l’expérience que peuvent nous apporter les Nations unies concernant l’organisation des élections et du processus constitutionnel”. Répondant ainsi favorablement à une récente initiative dans ce sens du secrétaire général Kofi Annan.
De même, le grand ayatollah chiite Ali Sistani réclame quant à lui des élections générales immédiates, sauf si un comité de l’ONU arrivait à la conclusion que leur tenue était impossible.

photoSaddam Hussein avec son épouse Sagida, en 1963.

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Détente et pique-nique avec ses proches collaborateurs près de Bassorah en 1979.
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Le président irakien faisant ses prières lors de la guerre de 1991.

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... Et avec Fidel Castro, en 1978.
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Accolade chaleureuse avec Yasser Arafat.

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Pratiquant la natation dans le Tigre accompagné d’un garde du corps.
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Rencontre avec Jacques Chirac, en 1976...

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Avec son fils Oudaï.
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Lors d’une partie de chasse dans le désert.

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Saddam Hussein donnant le coup d’envoi aux festivités du Eid el-Fitr, dans un village près de Bagdad.
Article paru dans "La Revue du Liban"
N° 3929 - Du 27 Decembre 2003 Au 3 Janvier 2004
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