Une question primordiale, étant donné les implications que va avoir cet attentat ciblé sur le processus de paix israélo-palestinien et sur le retrait unilatéral de Gaza annoncé par Sharon. D’ailleurs, les condamnations unanimes de la communauté internationale ont toutes mis l’accent sur la crainte d’une escalade infernale de la violence au Proche-Orient. Pour le moment, à entendre les menaces mutuelles proférées par les protagonistes, le tableau paraît plus qu’inquiétant. Le Premier ministre israélien, Ariel Sharon est toujours décidé à prendre pour cible tous les autres chefs activistes palestiniens. Et le Hamas est classé dans la catégorie des “ennemis stratégiques” d’Israël. De son côté, le nouveau leader de Hamas à Gaza, l’ultra-radical Abdelaziz Rantissi, affirme dans sa première déclaration publique après sa nomination: “Les Israéliens ne connaîtront pas la sécurité”. Le secrétaire général du mouvement chiite intégriste libanais, le “Hezbollah”, cheikh Hassan Nasrallah, a cru de son devoir d’ajouter son grain de sel à une situation plus qu’explosive, en promettant de “faire payer très cher” à Israël ce crime. Que faire? L’action de la communauté internationale est plus que jamais urgente pour éviter le pire à la région. Miguel Angel Moratinos, ancien délégué de l’Union européenne au Proche-Orient, pressenti comme futur ministre espagnol des A.E., affirme, explicitement: “Le Quartette doit sortir de sa situation d’impuissance et imposer la “feuille de route”. Il faut mobiliser la communauté internationale”. Oui, l’urgence s’impose, d’autant plus que la liquidation de Ahmed Yassine ne signifie nullement la liquidation de Hamas. Preuve en est, 24 heures après cet assassinat, la formation intégriste palestinienne a nommé un successeur à Yassine, Khaled Machaal et à ses côtés, l’ancien porte-parole de Hamas, Rantissi, 56 ans, connu pour son radicalisme. Où cela peut-il mener?
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A l’aube du lundi 22 mars, un raid aérien de “Tsahal” à Gaza, a pris pour cible le chef spirituel et fondateur du mouvement intégriste palestinien, cheikh Ahmed Yassine, alors qu’il sortait de la mosquée de son quartier où il se rend tous les matins, dans son fauteuil roulant poussé par deux gardes du corps. Les trois roquettes tirées à partir d’un hélicoptère de combat, sont radicales. Yassine est tué sur-le-champ. Sept autres personnes périssent dans cette attaque et parmi les quinze blessés, on relève deux fils du dirigeant islamiste.
A peine la nouvelle est connue, qu’une marée humaine déferle dans les rues de Gaza, criant sa colère, sa révolte et promettant vengeance. Les “Brigades Ezzedine al-Qassam”, branche armée de Hamas annoncent, en représailles, un “tremblement de terre”, indiquant dans un communiqué: “Celui qui a pris la décision d’assassiner cheikh Yassine a, en fait, décidé de tuer des centaines de sionistes”. Les “Brigades des martyrs d’al-Aqsa”, groupe issu de Fateh de Yasser Arafat, proclament de leur côté “une guerre sans merci contre le peuple sioniste”.
Les funérailles du leader assassiné ont lieu le jour même à Gaza. Près de 200.000 Palestiniens y prennent part criant, sans arrêt: “Vengeance”. Les activistes de Hamas, le visage caché par des cagoules et armés de fusils, portent la dépouille de l’hôpital “al-Chifa” jusqu’au cimetière des martyrs.
FIGURE EMBLÉMATIQUE
“Il nous a appris le martyre et le sacrifice et nous lui promettons de rester sur cette voie”, clame un des chefs politiques de Hamas. Il faut dire que cheikh Ahmed Yassine (67 ans) était la figure emblématique des intégristes palestiniens. Paralysé depuis l’âge de 12 ans, suite à un mauvais coup reçu à la colonne vertébrale en jouant au football et se déplaçant depuis en chaise roulante, il a mené malgré son infirmité un combat sans merci contre Israël. Père de onze enfants, il faisait partie des réfugiés expulsés lors de la première guerre israélo-arabe, en 1948. Au Caire, où il passe un an à l’université Aïn Chams, il se lie avec les fondamentalistes des Frères musulmans et fonde sa propre organisation en 1970. En 1980, il crée une organisation intégriste encore plus radicale. Mais c’est en 1987 qu’il crée Hamas, acronyme en arabe du “Mouvement de la résistance islamique”.
Il est emprisonné à maintes reprises et entretient, aussi, des relations en dents de scie avec l’Autorité palestinienne.
Sa popularité à Gaza tient à deux faits: d’une part, son intransigeance face aux Israéliens et, d’autre part, son style de vie, simple et l’aide financière et socio-humanitaire que Hamas prodigue aux populations palestiniennes de plus en plus démunies.
Rantissi, désigné nouveau leader suprême de Hamas.
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Grande afluence lors des obsèques
de cheikh Ahmed Yassine à Gaza.
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SHARON SE FÉLICITE
Si pour les Palestiniens le guide spirituel de Hamas était une figure emblématique, Israël ne voyait en lui qu’un “terroriste” qui fomentait des attentats meurtriers contre l’Etat hébreu. Le gouvernement d’Ariel Sharon ne cachait pas, d’ailleurs, sa volonté de l’éliminer. En septembre dernier, il avait échappé, de justesse, à un raid de “Tsahal”. Cette fois, le coup a été fatal et selon la radio israélienne, le Premier ministre a personnellement supervisé ce raid ciblé.
D’ailleurs, Sharon a, sur-le-champ, félicité son armée et justifié l’assassinat en affirmant: “Je tiens à remercier les forces de sécurité pour l’opération de ce matin. La guerre contre le terrorisme ne s’arrête pas là; elle se poursuivra, jour après jour et partout. C’est un combat sans merci et tous les pays du monde libre comprennent qu’ils doivent y prendre part. Le peuple juif, tout comme les autres peuples, a le droit naturel de repousser ceux qui cherchent à le détruire”.
Le ministre israélien de la Défense renchérit, comparant cheikh Yassine à Ben Laden. Le chef d’état-major de “Tsahal” laisse entendre, de son côté, que la détermination israélienne pourrait concerner, aussi, Yasser Arafat, chef de l’Autorité palestinienne, ainsi que sayed Hassan Nasrallah, secrétaire général du “Hezbollah”, parti intégriste chiite libanais.
CONDAMNATIONS UNANIMES
La communauté internationale, autant que le monde arabe, ont unanimement et vivement condamné cet assassinat, non pas tant pour l’acte en lui-même ou pour le personnage qui n’était pas un enfant de cœur, mais bien plus pour les conséquences qui vont en découler, dont un engrenage infernal de la violence au niveau israélo-palestinien et dans la région.
De l’intérieur même d’Israël, Shimon Pérès, leader de l’opposition, n’a pas mâché ses mots, disant: “C’était une erreur”, ajoutant: “J’aurais voté contre cette décision, car cela risque de provoquer une escalade. Ce n’est pas en éliminant les dirigeants qu’on élimine la terreur. Il faut en supprimer les causes”.
Au sein du monde arabe, les condamnations sont fermes et virulentes. Le président libanais Emile Lahoud affirme: “Ce crime sauvage perpétré par Israël sur la personne du guide spirituel de Hamas, ne parviendra pas à dissuader le peuple palestinien à poursuivre sa résistance”.
Le président égyptien Hosni Moubarak dénonce ce qu’il qualifie “d’agression barbare dont les conséquences sont imprévisibles.
“Une telle opération, ajoute-t-il, fait avorter tous les efforts que nous étions en train de déployer pour remettre le processus de paix sur les rails”.
Le raïs décide même d’annuler la participation de l’Egypte aux cérémonies marquant le 25ème anniversaire de la signature du traité de paix de Camp David.
A Bruxelles, l’Union européenne estime que cette exécution a pour effet “d’enflammer la situation au Proche-Orient”.
A Paris, le président Chirac condamne cet acte sans réserve “qui, dit-il, est contraire au droit international”.
Seuls les Etats-Unis n’ont pas condamné directement cet assassinat, se limitant à dire dans une première déclaration officielle qu’ils en sont “profondément troublés”. Par la suite, le porte-parole de la Maison-Blanche a transmis le message du président Bush qui exhorte l’Etat d’Israël à faire preuve de “la plus grande retenue. Il est important, dit-il, que chacun fasse montre de la plus grande retenue, afin de rétablir le calme dans la région (...) Nous voulons que les parties reprennent leur collaboration pour progresser dans le processus de paix”.
SUR LE TERRAIN
En Cisjordanie et à Gaza, Yasser Arafat, dénonce le “crime barbare” et décrète trois jours de deuil. Côté israélien, le spectre des représailles va planer dès l’instant même de cet assassinat ciblé sur l’Etat hébreu. Un bouclage total des Territoires est appliqué et les forces israéliennes ont été placées en état d’alerte avancée. Les mesures de sécurité sont partout renforcées: les bus qui sont souvent la cible d’attentats kamikaze, sont sous haute surveillance et à moitié vides, les gens préférant se déplacer par leurs propres moyens et éviter les lieux publics... Bref, un climat de crainte plane sur Israël, rapportent les correspondants sur place. Selon des sondages, 60% des Israéliens approuvent l’opération contre Yassine, mais 80% prédisent qu’elle va provoquer une nouvelle vague d’attentats en Israël. Au sein du monde arabe et dans les camps palestiniens du Liban, de Syrie, de Jordanie, dans les universités du Caire et partout ailleurs, des manifestations ont lieu pour dénoncer ce crime.
LA RÉACTION DU “HEZBOLLAH”
Au Liban, le “Hezbollah” a réactivé le front de Chébaa, comme si le pays n’avait déjà pas assez de problèmes épineux à résoudre, sur les plans politique et socio-économique. Cela ne semble pas préoccuper outre-mer le chef des “Hezbollahis”, qui, laissant de côté tout autre problème interne, se promet de faire payer “très cher son crime” à l’Etat hébreu.
Les intégristes chiites libanais passent, aussitôt, à l’acte en bombardant des positions israéliennes, dans le secteur des fermes de Chébaa, tirant plus de 65 roquettes et obus de mortiers. L’opération est menée par un nouveau groupe qui porte le nom de “Brigades du martyr cheikh Ahmed Yassine”, “Tsahal” riposte sur-le-champ en bombardant les villages proches de Chébaa. Un autre raid héliporté est mené contre un commando palestinien qui s’apprêtait à lancer des roquettes contre la partie nord d’Israël et deux Palestiniens sont tués. Il faut espérer que l’Etat libanais prendra les choses en mains, empêchera les Palestiniens réfugiés au Liban d’agir à partir de la frontière Sud et appellera le “Hezbollah” à la retenue. |