Chafic Abboud n’est plus
Peintre de talent, son art parle le langage de la vie
Par Nicole MALHAMÉ HARFOUCHE

Il a marqué l’histoire de l’art libanais au XXème siècle. Cet art est, encore une fois, en deuil. Chafic Abboud, l’un des artistes qui ont joué un rôle important dans la renaissance artistique, au Liban, au cours de la seconde moitié du XXème siècle, est décédé à Paris, emporté par un mal implacable.

photo “Marchand de Jellab”, 1998 - Huile sur toile.

photo “Matin” - Huile.

Né en 1926 à Mhaïté (Liban), Chafic Abboud se sent, dès son plus jeune âge, attiré par le dessin et la peinture. En 1946, il décide d’interrompre ses études en médecine et s’inscrit à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, pour suivre des cours de dessin et peinture à l’Ecole de Peinture et de Sculpture.
En 1949, il part pour Paris et fréquente “l’Atelier André Lhote”. En 1995, il suit les cours de Fernand Léger, l’un des plus célèbres peintres cubistes. A partir de 1952 et jusqu’en 1956, il s’inscrit, à titre d’étudiant libre, à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, de Paris, où il suit les cours de peinture à “l’Atelier Ileuse”, les cours de gravures à “l’Atelier Georg” et les cours de lithographie à “l’Atelier Jaudon”.

photo “Une certaine lumière”, 1998 - Huile sur toile.

photo “Une partie de campagne” - Huile.

UNE ŒUVRE PENSÉE ET SENTIE
Artiste de talent dès les années 50, Chafic Abboud s’impose sur le plan national et international. Jusqu’aujourd’hui, il a organisé plus de quarante expositions individuelles de ses œuvres, au Liban, en France, en Europe, aux Etats-Unis et a participé à plus de cinquante expositions collectives: salons, biennales, FIAC, etc.
Ses œuvres font partie de nombreuses collections officielles et privées, locales et internationales entre autres: ville de Paris, Fond National d’Art contemporain - Paris, ministère des Affaires étrangères - France, Direction des Beaux-Arts-Paris, ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur libanais, ministère libanais de la Culture.
En 1961, il obtient le prix “Victor Choquet” - ministère des Finances - Paris et en 1964, le Prix du Musée Nicolas Sursock.

photo
“Frondaisons”, 1997 - Tempera/Journal.

LA MARQUE DE L’ÉPHÉMÈRE ET DU PERMANENT
L’œuvre de Abboud présente une complexité que ne laisse pas supposer son apparente simplicité qui tient probablement au fait que l’artiste dans sa vie, comme dans son art, est à tous les moments accordé à son temps.
Comme une sorte de miroir, il renvoie au monde, à travers son art, sa sensibilité, son intelligence, son âme et le meilleur de lui-même.
Il actualise les symboles de l’univers en laissant parler le langage de la vie. Le spectateur y découvre sa propre humanité, sa valeur éthique et y introduit ses propres concepts. Ainsi son art, réflexe de survie, apparaît-il comme la meilleure manière de transmettre le choc émotionnel qu’il éprouve.
La qualité de sa peinture vient de sa puissance de symbole; elle libère une énergie telle qu’elle apporte une force supplémentaire à son langage plastique.
Une “constante” qui, comme une “phrase” dans une sonate revient à intervalles plus ou moins réguliers, dans l’œuvre de cet artiste, révèle sa personnalité profonde et sa voix intérieure. Et si les peintures les plus anciennes sont directement apparentées aux plus récentes, le stimulant chez cet artiste a été la perpétuelle découverte et l’expérimentation de moyens nouveaux par crainte de se répéter. Ce côté expérimental est dû autant au besoin de diversifier les techniques, qu’à la richesse de l’inspiration. Si on sait la lire, son œuvre révèle complètement le caractère de l’homme, parce qu’elle est intensément pensée et sentie avant d’être créée.

UN ART OÙ PEINTURE ET POÉSIE SE CONFONDENT
Dans une certaine mesure, l’art de Chafic Abboud saisit le caractère à la fois éphémère et permanent du sujet. Si sa peinture y trouve toute sa dimension, ce n’est pas par intention d’immortaliser mais, au contraire, pour découvrir ce qu’il y a de stable dans cette ambiguïté.
Ce sont les thèmes et leur atmosphère qui portent, à la fois, la marque de l’éphémère et du permanent.
La traduction des sujets, au niveau des structures, suggère un ordre optique de la peinture qui ne dépend pas d’un modèle ou d’une règle, mais davantage d’un rapport établi entre l’imaginaire et la perception.
L’espace voulu par Chafic Abboud est une création qui lui est propre, car il s’y montre indépendant des autres conceptions spatiales, même lorsqu’il semble leur emprunter quelques-uns de leurs procédés.
Dans ses compositions, il adopte souvent une dominante de lignes, de formes et, ainsi ordonne rythme, construit l’ensemble, structure l’espace en transposant dans son coloris tous les thèmes qu’il choisit et qui deviennent, sous son pinceau, des réalités exaltantes. Il imagine un nouvel espace, trouve des formes nouvelles fondées sur une vision très spéciale de la réalité.
Abboud est un visionnaire ayant exploré le monde de l’âme. Un mélange particulier de spontanéité, d’expression et d’un contrôle logique de ses émotions fait le grand intérêt de son œuvre.
Artiste de très grand talent, il a créé un monde dont la poésie se situe au cœur des problèmes actuels de l’art et marque, par sa production, l’histoire de l’art libanais au XXème siècle.


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