Nouvel ambassadeur du Maroc Ali Oumlil:
“Le Liban réussira parce qu’il dispose d’atouts humains considérables”
Par Jeanne MASSAAD

Intellectuel chevronné, auteur de plusieurs publications sur la globalisation et la démocratie, la pensée arabe, le droit à la différence, le pouvoir intellectuel et le pouvoir politique, M. Ali Oumlil, nouvel ambassadeur du Maroc au Liban, s’est dit très heureux, quant à la bonne nouvelle de sa nomination. Connaissant le Liban qu’il a visité à maintes reprises à titre privé en y participant à des conférences culturelles, il nous confie avoir accompagné le Liban dans sa lente montée, pour dépasser les années difficiles de la reconstruction, non seulement en terme urbain mais aussi national. Il a présenté ses lettres de créance le 26 janvier 2004.
“Je comprends, dit-il, les blessures et les difficultés du passé, mais j’ai l’impression que le Liban est en train de dépasser, d’une manière irrévocable, cette phase pénible de son Histoire. Le pluralisme au Liban est un atout; car ce pays est pluriel non par décision, mais par son Histoire, sa culture et l’aspect composite de sa société. Maintenant que tout le monde en parle, comme une manière de vivre ensemble en terme d’avenir, le pluralisme y est déjà une réalité. Je suis convaincu que ce pays réussira à l’avenir, parce qu’il dispose d’atouts considérables et, en premier lieu, la qualité humaine des Libanais.

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Comment qualifiez-vous les relations entre le Maroc, d’une part, le Liban et le monde arabe, d’autre part?
Les relations sont excellentes, seulement ce niveau de relations ne se traduit pas encore dans la réalité de notre coopération, notamment sur le plan économique. Nous essayons de les promouvoir et de préparer, actuellement, la réunion de la haute Commission présidée par nos deux Premiers ministres. Elle se tiendra au Maroc pour établir le cadre juridique de notre coopération mutuelle, notamment dans le domaine de l’enseignement, de la culture, certains domaines économiques et, aussi, dans le tourisme. La date n’étant pas encore fixée définitivement, cette réunion pourrait avoir lieu en septembre ou au début de l’année prochaine.
En ce qui concerne le monde arabe, nous avons, bien entendu, une coopération bilatérale presque avec tous les pays. Nous sommes des membres très actifs au sein de la Ligue arabe, engagés dans le processus de sa restructuration, afin de lui donner un nouveau souffle, vu le changement radical intervenu dans la région et dans le monde.
Rabat est-il favorable à la tenue, du sommet arabe à Tunis et souscrit-il à son ordre du jour?
Le Maroc regrette le report du sommet. Il considère que sa tenue est nécessaire dans les circonstances actuelles. Cependant, le Maroc considère que, vu la charte de la Ligue arabe elle-même, la Tunisie est en plein droit d’accueillir le prochain sommet, sauf si les Etats membres et en accord avec la Tunisie décident sa tenue en dehors de la Tunisie.

Pour une solution politique au Sahara
Où en est le conflit sur le Sahara occidental opposant le royaume chérifien au Polisario? Le gouvernement marocain approuve-t-il le plan de règlement préconisé par l’ONU?

Il faut dire que le plan du règlement qui envisageait un référendum est dépassé par les décisions mêmes du Conseil de sécurité. Ce dernier parle, maintenant, d’une solution politique négociée. Le Maroc recherche une solution politique qui écarte, à la fois, les options de l’intégration et de l’indépendance! Il s’oriente vers un processus de négociation dont l’ultime finalité est une dévolution des compétences tenant compte des spécificités du Sahara marocain, lequel permet aux populations locales de gérer, d’une manière démocratique, leurs affaires locales à travers des institutions régionales élues.
Quel est l’état des rapports entre Rabat et Alger? Les deux capitales ne peuvent-elles parvenir à un accord autour du Sahara, en tant que membres de l’Union du Maghreb arabe? Qu’est-ce qui retarde la réactivation de l’UMA, ce qui lui permettrait de résoudre les questions litigieuses qui se posent à ses membres?

La charte de Marrakech qui a constitué l’union du Maghreb, affirme le respect de l’intégrité territoriale de chaque Etat membre. Or, la position de l’Algérie et de ses activités de soutenir le “Polisario” par tous les moyens, est contraire à cette clause.
Cette question du Sahara et les agissements de nos voisins, sont un obstacle pour la mise en valeur de l’Union du Maghreb arabe. La dernière résolution du Conseil de sécurité opte pour une solution politique négociée à ce problème. Les membres importants du Conseil, tels la France, les Etats-Unis, la Russie, l’Espagne et le Danemark, invitent l’Algérie à engager avec le Maroc des négociations directes. Or, l’Algérie refuse toujours et considère qu’elle n’est pas directement intéressée par cette question contrairement à la réalité. Car celle-ci figure en tête des préoccupations d’Alger qui engage ses moyens diplomatiques, politiques et autres pour faire campagne en faveur du “Polisario” qui est une créature algérienne.

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M. Ali Oumlil recevant notre collaboratrice Jeanne Massaad.

Progrès par rapport aux droits de l’homme
Amnesty International a inauguré à Rabat le siège, pour le Maghreb, de l’Organisation pour la défense des droits de l’homme. Quelle est la situation de ces droits au Maroc?

Il faut signaler le dernier rapport d’Amnesty International concernant le Maroc, où cette organisation fait état du progrès considérable des droits de l’homme. Il faut se référer aussi à ce que disent les ONG internationales des droits de l’homme attestant des libertés de la presse, du mécanisme d’alternance entre l’opposition et la majorité et de la situation de la femme. Il faut signaler la réforme du code de la famille que beaucoup considèrent comme une réalisation radicale sur la voie de l’égalité et de l’acquisition par la femme de ses droits.
Le royaume chérifien qui comptait beaucoup de juifs autrefois, comment conçoit-il le règlement du conflit israélo-arabe?

Nous considérons que la culture judéo-marocaine est une composante de la culture marocaine. Les juifs marocains vivant dans beaucoup de pays à l’étranger, gardent des liens étroits avec le Maroc, leur pays d’origine. Ils assurent, entièrement, leur marocanité.
Quant au problème israélo-palestinien, la position du Maroc est aux côtés du droit international, le droit à l’auto-détermination et l’application des résolutions du Conseil de sécurité. Le Maroc garde avec tous les pays arabes, y compris les Palestiniens, des rapports confiants qui lui permettent de jouer un rôle pour la plupart inaperçu, en vue de la solution de ce pro-blème qui entrave le progrès dans cette région du globe. Dans aucune région du monde, un conflit n’a duré plus d’un demi-siècle, dont les répercussions menacent la stabilité et le développement, non seulement dans la région, mais dans le monde.

Curriculum vitae

  • Doctorat ès-Lettres, Sorbonne (1977).
  • Ambassadeur de Sa Majesté le roi du Maroc au Liban.
  • Ambassadeur de Sa Majesté le roi du Maroc en Egypte (2001-2003).
  • Professeur de philosophie politique à l’Université Mohamed V, Rabat.
  • Président de l’Organisation Arabe des Droits de l’Homme (Le Caire, 1997-1998).
  • Secrétaire général du “Forum de la Pensée Arabe” (Amman, 1993-1996). Membre de son comité directeur.
  • Président du Groupe Euro-Arabe pour la Recherche Sociologique (Tunis, 1986-1988).
  • Président de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (A.M.D.H.) et directeur de son journal “Solidarité” (1979-1986).
  • Cofondateur de l’Institut Arabe des Droits de l’Homme et membre de son Comité directeur (Tunis, 1987-1996).
  • Président de l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme (O.M.D.H.), 1990-1992.
  • Membre du Secrétariat général de la Société arabe pour la Traduction (Beyrouth).
  • Membre du secrétariat général du Conseil culturel arabe (Beyrouth).
  • Prix du Livre (Maroc, 1997).
  • En décembre 2002, un colloque a eu lieu à l’Université du Caire sur le thème: “Ali Oumlil et la pensée politique arabe contemporaine”, auquel ont participé des universitaires d’Egypte, d’Algérie, du Liban, du Maroc, de Jordanie, de Tunisie et de Syrie. Les travaux de ce colloque sont sous-presse.
    Publications (en arabe):
  • Globalisation et démocratie (Amman, 1998).
  • Pouvoir intellectuel et pouvoir politique (Beyrouth, 1996).
  • La pensée arabe et le droit à la différence (Rabat, 1990).
  • Patrimoine et dépassement (Casablanca, 1986).
  • Réformisme arabe et Etat national (Beyrouth, 1985).
  • Le discours historiographique: Méthodologie d’Ibn Khaldoun (Rabat 1979, Beyrouth 1997).
    En Français:
  • L’Histoire et son discours (Rabat - 1979).
  • Islam et Etat national (Casablanca - 1988).

Rabat veut préserver l’identité de Jérusalem
Le Comité Al-Kods que préside S.M. Mohamed VI, fait de moins en moins parler de lui; pourquoi?
On ne peut pas séparer la question d’“Al-Kods” de la question palestinienne, en général, laquelle connaît actuellement une régression. Cependant, Sa Majesté déploie des efforts pour maintenir l’identité de la “Cité Sainte” et la centralité de la question d’“Al-Kods” dans toute solution négociée.
Le royaume a opté pour le multilinguisme: que représente pour lui la langue française par rapport aux autres langues et quelle place occupe-t-elle par ordre d’importance?

Selon notre Constitution, la langue officielle est l’arabe. La langue “amazigt” “berbère”, reconnue comme langue nationale, est enseignée depuis deux années dans les écoles publiques.
Néanmoins, le français garde encore une importance, notamment dans certaines administrations surtout techniques, dans le secteur de l’économie et des médias. Nous considérons que la langue française constitue un apport culturel indéniable et le Maroc qui a opté pour le pluralisme culturel, considère que tout confluent enrichissant contribue au renforcement d’une identité nationale solide et ouverte.

Pour un statut privilégié auprès de l’U.E.
S.M. Mohamed VI ambitionne de faire du Maroc une “nation ouverte et moderne”. De plus, il souhaite se rapprocher de l’Union européenne. Quel Etat membre de l’UE votre pays prend-il comme modèle pour atteindre ces objectifs?

Nous sommes en train de négocier un statut situé entre le partenariat et le statut de membre à part entière de l’Union européenne. Nous pensons que le Maroc, par ses intérêts économiques considérables avec les pays de l’Union européenne, par la forte présence de la communauté marocaine dans les pays européens et, aussi, par l’affinité démocratique, considère l’UE comme un partenaire stratégique; le Maroc vise à avoir auprès de lui un statut privilégié.

Le terrorisme, un crime contre l’humanité
Le Maroc combat-il et, par quels moyens, le terrorisme, fléau qui me-nace le monde? Est-il confronté à des problèmes inhérents au racisme, à l’extrémisme et à la violence?

Le Maroc considère que le combat contre le terrorisme est un combat pour la stabilité, le développement et la démocratie dans le pays. Il y a, bien entendu, une dimension internationale dans ce combat, mais il concerne essentiellement chaque pays dont les moyens sont des moyens juridiques, sécuritaires mais, également, culturels.
Le problème sécuritaire ne peut pas résoudre lui seul, le problème du terro-risme et de l’extrémisme, car il faut dessécher les sources culturelles de ces fléaux. C’est pourquoi, des réformes s’imposent dans le domaine de l’enseignement, de l’information et du discours religieux. C’est une nécessité qui émane d’une logique et des besoins internes. Et qu’on ne vienne pas nous dire, que là, nous nous soumettons au diktat des puissances étrangères. Il faut répandre la culture des droits de l’homme et de la démocratie, celle qui forme les esprits tolérants acceptant la différence, disponibles au dialogue, ouverts sur les autres. Bien sûr, la dimension économique explique la production du terrorisme; là-aussi, des efforts doivent être réalisés pour réduire les inégalités sociales, la marginalité des jeunes et la pauvreté. Cela dit, le terrorisme est un crime contre la nation et l’humanité.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?

Je préfère vous parler plus tard de cette question, car je garderai du Liban d’excellents souvenirs.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3945 - Du 17 Au 24 Avril 2004
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