Dahech
Ange ou démon?

Illusionniste, prestidigitateur, charlatant, sorcier ou Prophète? Que fut “Dahech”, l’homme-phénomène étonnamment puissant qui suscita entre les années 40 et 80 du siècle dernier tant de polémiques autour de sa personne et de ses “prodiges”?

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Un pseudo-dieu? Un pseudo-diable? Toujours est-il qu’il marqua son temps, dérangea l’Etat sous le mandat du président Béchara el-Khoury qui le poursuivit et le fit arrêter, considérant qu’il portait atteinte, par sa présence et ses agissements, tant à la République qu’à la famille de Georges Haddad, beau-frère du président el-Khoury - les deux hommes ayant épousé les sœurs de Michel Chiha, respectivement Marie et Laure - Georges, Marie et leurs enfants devenant tous des adeptes du “Docteur Dahech”, au grand dam de la famille Khoury. “Docteur Dahech” (ainsi l’appellent ses adeptes) ou Salim Achi, un nom qui sema le trouble dans les esprits et préoccupa les gens dans les années 40, au point qu’il donna lieu à maintes légendes souvent difficiles à croire. Ses actes furent si bouleversants qu’on le dit sorcier, qu’il pouvait aller chez le coiffeur, lui laisser sa tête et rentrer chez lui; qu’il s’y faisait raser la barbe et qu’elle repoussait à l’instant sous les yeux du barbier, ébahi...
On dit qu’il invitait les gens à déjeuner ou à dîner, dressait sous leurs yeux, en quelques instants, une table d’une variété et d’un raffinement inouï... qu’ils se gavaient et que soudain, la table disparaissait et leur satiété avec: ils avaient faim, à nouveau. On dit encore que le fils du Dr Georges Khabsa aurait perdu la raison à cause de lui... Que Magida Haddad se serait suicidée, éperdue d’amour pour lui... Qu’il avait vécu aux crochets des Haddad et leur avait soutiré leur argent... Qu’il était un démon auquel rien ne résistait... Dahech ne laissa personne indifférent; il fut haï et adoré, méprisé et vénéré, chassé par certains, chaleureusement accueilli par d’autres... Entre ceux qui le prenaient pour un imposteur et ceux qui le prenaient pour un illusionniste, il y a aussi ceux qui l’ont pris au sérieux, ses adeptes, les “Dahechistes” qui croient en lui “comme à un messager venu sauver l’humanité de l’égarement, lui réapprendre le véritable message de Dieu et son esprit qui réside, selon eux, dans les trois livres saints révélés par Dieu, la mission de Dahech étant, disent-ils, d’unifier la Parole de Dieu”. Hérésie? C’est ce qui fait peut-être que l’Eglise l’a toujours considéré d’un œil défavorable. On raconte encore un fait particulièrement marquant: son emprisonnement ordonné par Béchara el-Khoury et, bien que dûment surveillé par ses gardiens, on le retrouve réuni avec les siens. De même, sa mise à mort et son exécution par balles, à Azerbaïdjan, en 1947 filmée et dûment rapportée par les autorités iraniennes au gouvernement libanais et sa réapparition, plus tard, à Beyrouth. Comment? “C’est seulement l’une de ses personnalités qui a été exécutée; il en a six autres. Elle est d’ailleurs ressuscitée”, répondent les Dahechistes convaincus. Ahurissant. Ceux qui l’ont connu et accompagné nous reçoivent dans la maison-même où ont eu lieu tant de “prodiges”. Ils sont cinq: Moussa Maalouf, l’avocat Khalil Zaatar, Zeina Haddad, Kassem Chucr, Hassan Baltagi.

photo la maison de Georges Haddad où vécut Dahech.

photo La chambre tendue de satin violet... garde jalousement son souvenir.

VISITE À LA RUE KANTARI
Nous voici à la rue Kantari. Face à la tour Murr, une grande et vieille maison se dresse qui, de loin, semble avoir eu ses heures de gloire. En effet, ce fut la demeure de Georges Haddad, beau-frère du président Béchara el-Khoury, aujourd’hui habitée par sa fille Zeina et où résida Dahech. Aujourd’hui, la pierre paraît grisâtre; les volets, cassés, sans couleur définie, sont fermés pour la plupart; d’autres, ouverts, battent au vent. Une vitre laisse apercevoir de la rue, une lampe allumée dans la lumière déclinante d’une fin d’après-midi.
On se retrouve devant une vieille porte d’entrée qui s’ouvre à l’ancienne, comme d’elle-même, par un fil attaché quelque part, à l’étage supérieur de la maison. La peinture des murs est écaillée. Un long escalier de marbre, à la balustrade en fer forgé noir nous mène à nos hôtes au premier étage. Là le mobilier est sommaire. Un grand portrait de Dahech trône sur le mur du petit salon où on nous reçoit au-dessus d’un énorme bouquet de fleurs artificielles. Une chambre attenante laisse voir les murs tendus de satin violet. Au milieu, une longue table rectangulaire recouverte de satin de la même couleur sur le haut de laquelle est couchée, comme un oreiller, l’étoile à cinq branches (en fleurs de mauve) de la Dahechiya. Sur les murs, extraits d’une histoire riche en péripétie: des photos, des “prières” dahechistes bien sûr, des articles de presse, mais, également des photos des parents de Dahech, de ses premiers adeptes et des textes de Gebran Khalil Gebran qui aurait “ressemblé physiquement, selon les Dahechistes au Docteur Dahech, surtout dans la photo figurant au tout début du “Prophète” de Gebran. De même, disent-ils, par ses pensées et croyances”. La chambre est sombre, triste, sans autres fioritures. Aucune trace du faste d’antan.
Mais ici, les gens comme les murs foisonnent de souvenirs. Ils ont été témoins de l’incroyable. Ils racontent.

photo Les parents de Dahech:
Moussa et Chmouni Achi.

photo Moussa Maalouf, Zeina Haddad, Khalil Zaatar et Hassan Baltagi.

QUI EST DAHECH: d’où vient-il?
Moussa Maalouf, époux de la nièce de Dahech, est professeur de littérature arabe depuis plus de cinquante ans. Il a enseigné dans plusieurs écoles du Liban.
Interrogé: Qui est Dahech, d’où vient-il?, il répond: “Dahech est né à Jérusalem en Palestine le 1er juin 1909. Son père, Moussa Alichi, (en référence au prophète Alycha’a ou Elysé) et sa mère Chmouni, fille de Hanna Mrad Canoun, vivaient tous deux en Irak avant leur mariage et étaient de rite syriaque-orthodoxe.
“Le couple se convertit au protestantisme; puis, émigre en Palestine. Là, le nom se transforme en Achi. La famille s’installe donc à Jérusalem, en 1906, avant de débarquer, en 1911, à Beyrouth avec ses trois filles et son fils et d’élire domicile à Mousseitbé. L’enfant s’appelle Salim, diminutif de Soleiman, prénom qui fut, dit-on, divinement suggéré au père. Son père, Moussa, a travaillé à l’imprimerie américaine avant la Première Guerre mondiale”.
Le “Dr Dahech” (ses adeptes ne le citent jamais sans son titre), aurait pris ce nom original qui signifie “l’Etonnant” et le titre de “docteur” en 1929, suite à un tirage au sort, également, “inspiré”, disent les Dahechistes. M. Maalouf précise par ailleurs que le Dr Dahech aurait obtenu un doctorat honorifique de la Société française de psychologie en reconnaissance de ses nombreux “prodiges”.
Me Khalil Zaatar est, également, présent. Avocat depuis 1970 au Barreau de Beyrouth, c’est un adepte de Dahech depuis 1963 et l’auteur d’un ouvrage intitulé: “Le crime du XXème siècle”, une étude juridique documentée sur ce que les Dahechistes appellent “la “persécution” de Dahech sous le mandat du président Béchara el-Khoury (1942 - 1952)”.

Un homme extraordinaire
A la question: Que fut Dahech: un homme aux pouvoirs extraordinaires, un devin ou un prophète?, il répond: “C’était un homme comme les autres, doté cependant d’une force surnaturelle lui permettant d’accomplir des “miracles”, ou des phénomènes visant à ramener les gens à la foi en cette époque matérialiste. Je citerai au nombre de ses prodiges, le mort qu’il a fait parler à la morgue-même de l’Hôtel-Dieu, en l’occurrence un parent au poète, Halim Dammous. C’était en 1942-43, raconte Me Zaatar. Le poète a mis sous la tête du mort le symbole de la “Dahechiya”, une étoile à cinq branches et une prière qu’il a élevée à Dieu après l’avoir écrite et brûlée, un symbole que lui avait donné le Docteur Dahech. Le mort s’est “animé” sur-le-champ et lui a parlé, répondant à une question qui intéressait particulièrement Dammous. Puis, il a de nouveau sombré dans le sommeil éternel”.

GUERRE CONTRE LES CHARLATANS?
Peut-on dire qu’il n’a commis que de “bonnes” actions?

Ce qu’il faisait n’avait rien à voir avec la magie. Dahech a mené une guerre contre les magiciens et les charlatans, notamment ceux qui pratiquaient l’hypnotisme. Mais la propagande faite contre lui a occulté son œuvre en faveur de l’humanité, fait de lui un vil séducteur de femmes, un magicien et un imposteur. Tout cela, en raison de la persécution du président Béchara el-Khoury et de la Presse qui a contribué, hélas! à ternir sa réputation.
Ainsi, tout ce qui était contre Dahech était publié. Tout ce qui était en sa faveur fut interdit; la censure a joué; les autorités politiques et religieuses se sont liguées contre lui et l’ont combattu. L’objectif de Dahech était, pourtant, d’unifier les trois religions monothéistes dont l’origine est la même: Dieu. Il appelle chacun à rester sur sa religion, chrétien soit-il, musulman ou juif, mais à effacer le fanatisme existant entre les communautés. Me Zaatar ajoute: Dr Dahech affirme que ces trois religions sont les mêmes en dépit des divergences apparentes dont celle qui veut que les musulmans croient que le Christ n’a pas été crucifié, alors que pour les chrétiens, il l’a été et ceci est à la base de leur religion. L’islam, lui, ne peut l’admettre et dit: “Choubbiha bihi”. Autrement dit, l’homme crucifié ressemblait au Christ. Dahech a expliqué cela par le concept des “personnalités” avec lesquelles il est en contact. Il en a lui-même six qui sont la copie-conforme de Dahech et peuvent apparaître ensemble ou chacune seule, dans des lieux différents. Certaines de ses personnalités existent ailleurs que sur Terre et sont soumises au système des planètes sur lesquelles elles vivent”, dit Me Zaatar.
Et Moussa Maalouf de poursuivre: “L’esprit est dans le monde des esprits. Tout être humain a une âme et un corps qui sont un moyen d’expression des forces psychiques de l’homme. L’âme est constituée d’un ensemble de forces appelées “fluides”. Chaque “fluide” est doué de discernement, conscient et responsable, ce qui signifie que chaque partie de l’être humain sera jugée sur ses pensées et sur ses actes. Ce sont ces fluides qui s’incarnent en ce bas-monde et prennent la forme qu’ils méritent en se réincarnant: être humain, animal, végétal ou chose inanimée. Nous croyons à l’éternité de l’âme, à l’unité des religions dans le fond qui, toutes, découlent d’une seule personne divine dont sont issus les prophètes. Ceux-ci se sont succédé et ont été connus des sociétés humaines tout au long des multiples époques, conformément au besoin des gens sur Terre. Les hommes ont besoin d’être orientés à un moment précis de l’Histoire. Nous croyons, également, à la réincarnation et avons de multiples preuves sur cela, celle-ci ne niant pas l’éternité de l’âme: c’est, dit-il, la miséricorde divine. La personnalité du “Docteur” Dahech est, précisément, cette personnalité spirituelle, venue pour unifier toutes les religions à travers les vérités essentielles qu’elles révèlent”.
“Le Dr Dahech appelle à l’amour, à la justice, à l’égalité, au pardon, au repentir et à l’union des fils de Dieu. Nous croyons à l’inspiration.” Et d’ajouter: “Pour revenir au Dr Dahech, c’est l’une de ses personnalités qui a été “crucifiée”, celle venue d’Ailleurs. C’est elle qui a souffert quand il a été arrêté; puis, éloigné, emprisonné et exécuté... C’est l’autre personnalité qui a subi tout cela. C’est ce que, d’ailleurs, Dahech avait lui-même déclaré à la revue “Al-Ousbouh al-Arabi”, en 1947”.

LA “DAHeCHIYA”, UNE RELIGION?
La “Dahechiya” est-elle un mouvement, une secte ou une religion? Dr Maalouf répond:
Franchement, c’est une religion dans le fond. Elle est écrite, renferme des vérités et on peut se procurer les livres y relatifs lors des expositions et des foires de livres.
Les dons du Dr Dahech sont-ils, d’après vous, divins ou proviennent-ils d’un héritage personnel, ou d’une science quelconque?
C’est un don divin en reconnaissance de ses mérites dans ses vies antérieures. Il n’a suivi aucun enseignement en Inde, comme certaines rumeurs l’ont rapporté. Il n’a visité l’Inde que dans le cadre d’une tournée, l’ayant mené dans de nombreux pays, suite à laquelle il a publié une série de 21 tomes intitulée: “Les voyages dahechistes autour du monde”. Il avait près de 70 ans, en 1981, lorsqu’il se rendit en Inde.
Comment est mort le Dr Dahech et où a-t-il été enterré?
Il est mort le 9 avril 1984 aux Etats-Unis où il est enterré, affirment les Dahechistes.
Croyez-vous qu’il reviendra ou qu’il est éternel?
Le Dr Dahech a retrouvé son monde spirituel comme tout un chacun. Mais il demeure éternel dans ses différents mondes et, peut-être, reviendra-t-il sur Terre, plus tard, dans sa véritable “personnalité”.
Et Me Zaatar d’enchaîner: “En 1947, quand le Dr Dahech a été exécuté, toute la Presse a rapporté la nouvelle de son décès, même les journaux libanais. Egalement, l’ambassadeur d’Iran à l’époque, a publié un communiqué à l’occasion et l’a envoyé au ministère libanais des Affaires étrangères, confirmant l’exécution du Dr Dahech par balles à Azerbaïdjan pays qui relevait, alors, de l’Iran.
Citez-nous quelques “miracles” ou prodiges accomplis par le Dr Dahech.
Il y en a des dizaines de milliers et des livres entiers à ce sujet. Ceux qui en furent témoins ne sont pas des dahechistes. Je nommerai feu le président Sabri Hamadé, Chafic Sardouk, toujours vivant, les magistrats Mahmoud Békaï, Mahmoud Naaman... et bien d’autres. Békaï et Naaman étaient en possession d’un billet de loterie perdant qui s’est transformé, par une parole du Dr Dahech, en un billet gagnant.
De même, des coupures de papier blanc se sont transformées en papier-monnaie et, les piastres, en livres-or. Le journaliste Hafez Ibrahim Khaïrallah en a, d’ailleurs, parlé dans le quotidien “An-Nahar”, en 1968. Dahech avait mis les coupures dans une enveloppe et prononcé la phrase suivante: “Au nom de Dieu et de son prophète et convertisseur chéri (c’est-à-dire Dahech) (Bismillah wa nabiyihi al-habib al hadi), faites que ces coupures deviennent des livres libanaises.
Le Dahechiste conserve-t-il sa religion initiale?
Certainement. Le chrétien reste chrétien, mais devient le frère, tant du musulman que du juif. Les divergences que nous connaissons disparaissent. Naît, alors, une unité religieuse dans tout le sens du terme.
Avez-vous des rites particuliers?
Moussa Maalouf répond: “Nous avons des prières (voir la “prière de Dahech”), des réunions que nous espérons voir se généraliser, afin que les gens sachent que le Dr Dahech fut une grâce pour le monde et non seulement pour ses adeptes”. Puis, il donne lecture du message de Noé à la Terre qui, estime-t-il, n’est connu de personne avant de poursuivre: “Nous avons d’autres lettres qui, lorsqu’elles seront publiées, permettront à l’humanité de prendre conscience de ses erreurs, de son égarement et des grâces qu’elle a perdues, dont la grosse perte pour le Liban qu’a constitué le départ du Dr Dahech. Les Libanais ayant été persécutés parce qu’ils ont persécuté un messager spirituel, venu sur Terre pour sauver l’humanité. Mais hélas! ils l’ont accusé, emprisonné, persécuté, ce genre d’iniquité étant le sort de tous les prophètes”, dit-il résigné.
Quelles accusations furent portées contre lui?
Maalouf répond: “Les accusations ont été lancées par le président Béchara el-Khoury, beau-frère de Georges Haddad, dont la famille entière se convertit au dahechisme. Ce qui poussa le président el-Khoury à les incarcérer, car il ne pouvait admettre que sa belle-sœur, la fille Chiha de sang-bleu issue de l’aristocratie libanaise, puisse adopter le message dahechiste et suivre Dahech. Marie Haddad, son mari et le poète Halim Dammous furent emprisonnés”.
Maalouf donne, ensuite, lecture de la prière de Dahech, une sorte de Pater Noster “hand made” de la Dahechiya (voir la prière en arabe) dont voici la traduction:
“Mon Père et le Père des hommes, Aie pitié de notre faiblesse héréditaire. Renforce nos cœurs afin que nous croyions en Ta puissance et que nous parlions de Tes prodiges.
Sème en nous les graines de l’amour, de la pitié, de la miséricorde et de la tendresse.
Eloigne de nous les tentations dont le but est de nous plonger dans les ténèbres du péché.
Raffermis nos pas sur la voie de la vérité, de la lumière et de la certitude. Eloigne de nous les viles pensées et ne leur permet pas de nous approcher.
Tu es le Créateur des hommes, Ta miséricorde et Ta tendresse contiennent tous les êtres, connus et inconnus.
Aie pitié de nous, ô Allah...”
Et Maalouf de commenter admiratif: “Trouvez-moi une seule prière dans toutes les religions exprimant aussi bien ces vérités: la tendresse, le pardon, l’amour, la foi, la lumière; il a réuni tout cela dans sa prière”.
Aurait-il oublié les religions monothéistes, notamment le Christianisme?!

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3954 - Du 19 Au 16 Juin 2004
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