Village historique du Mont-Liban
Abey, sérieusement menacé!

Voilà quatorze ans que la guerre au Liban est finie. Pourtant, il existe une région au Mont-Liban “Chahar el-Gharbi”, (caza d’Aley), qui a été ravagée et où la réconci-liation n’a pas encore eu lieu.

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Cette région comprend, notamment, cinq villages: Abey, Aïn Drafil, Benay, Kfarmatta et Dakoun. Les habitants druzes et chrétiens attendent, impatiemment, le retour des déplacés. Abey, possède un patrimoine historique et culturel très riche. Déserté de ses habitants, ce patrimoine est en péril, spécialement le château des princes Tannoukh. De promesse en promesse, on se demande s’il n’est pas tombé dans l’oubli.

ABEY A GOUVERNÉ BEYROUTH ET LE LITTORAL
De par sa situation géographique et son histoire, Abey est un village typique donnant une image-miniature du Liban. Les habitants, de confessions et de cultures différentes, ont toujours cohabité en paix. De la période des princes Tannoukh jusqu’à la Première Guerre mondiale, Abey a joué un rôle important dans l’histoire du Liban.
Situé à 800 m d’altitude et à 22 km de Beyrouth, lieu de villégiature au paysage rocheux, à l’abondante végétation, ce village jouit d’un climat doux et tempéré. A cause de la guerre, de ses 5.000 habitants, il en reste à peine 2.000. Village presque fantôme, ses habitants sont-ils morts, déplacés ou ont-ils émigré?
Ce n’est pas, par hasard, que les premières tribus Tannoukh, venues d’Arabie, se sont implantées à Abey au milieu du VIIIème siècle, pour protéger la côte libanaise de la flotte byzantine. Puis, vers la fin du XIème siècle, les princes Tannoukh ont combattu les Croisés. En 1110, Beyrouth tomba entre les mains de ces derniers et fut annexée au ro-yaume de Jérusalem. Les Tannoukh se retirèrent, alors, dans la montagne et firent de Abey, leur capitale.
En 1187, le sultan Salaheddine, “sultan des terres”, assiégea Beyrouth avec l’aide des Tannoukh qui retrouvèrent leur droit de contrôle sur la capitale et le littoral. Le plus puissant des princes Tannoukh, Nassereddine Hussein Ben Khodor, édifia le château de Abey au XIVème siècle. Cet émir consolida le pouvoir des Tannoukh. Il construisit plusieurs bâtiments, mosquées et hammams, disposant de l’eau courante. Il est important de savoir que la princesse Nassab, sœur du prince Safieddine Tannoukh, qui naquit au château d’Abey, épousa un prince Maan et donna naissance à l’émir Fakhreddine à Istanbul en 1633. Abey fut assailli par les Maan et les Tannoukh furent massacrés par Ali Alameddine.
Ainsi, leur dynastie prit fin. Les seuls vestiges de Tannoukh, qui demeurent jusqu’à nos jours au Liban, sont le château d’Abey (classé monument historique) qui appartient, actuellement, à la famille du Dr Jamil Kanaan et la mosquée de l’émir Mounzer à Beyrouth. Les Chéhab succédèrent aux Tannoukh. L’émir Melhem Haïdar Chéhab; puis, son fils l’émir Kaadan, s’installèrent au château des Tannoukh et firent plusieurs rajouts dans le style de l’époque.
Ces émirs étaient en perpétuel conflit avec l’émir Bachir II le Grand. Durant la période du “Moutassarifieh” au Mont-Liban, Abey devint le siège du “Directorat du Chahar”.

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ABEY, CENTRE CULTUREL ET RELIGIEUX
Abey devint un centre culturel, scientifique et religieux dès le temps des Tannoukh. En effet, les émirs étaient des mécènes qui encou-ragèrent les érudits dans tous les domaines. Citons deux éminents historiens de l’époque: Saleh Ben Yahya et Hamza Ben Chéhabeddine Ahmed Ibin Sabat. Au milieu du XVème siècle, l’émir Essayed Abdallah Tannoukh entreprit une réforme spiri-tuelle. Son mausolée demeure, jusqu’à nos jours, un lieu de pèlerinage pour les druzes.
Au XVIIème siècle, les pères capucins, venus de France, fondèrent un couvent qui a servi d’orphelinat jusqu’à la guerre et actuellement, c’est un centre pour handicapés.
Par la suite, en 1835, les missionnaires protestants américains, les premiers au Proche-Orient, s’installèrent à Abey et fondèrent une école primaire qui devait devenir l’Université Américaine de Beyrouth.
Durant la période du “Moutassarifieh”, le moutassaref Daoud Pacha construisit une école en 1862 qui porte son nom “Dahoudia”. Rien d’étonnant que, dans un contexte pareil, des hommes originaires d’Abey, brillent jusqu’à nos jours dans tous les domaines et dont le Liban peut être fier.
Abey est, également, doté de sept églises d’époque de confessions différentes, sans oublier le sanctuaire druze de Sayed Abdallah.
Quant aux monuments historiques, ils sont nombreux (époques Tannoukh, Chéhab, Nakadi...) Toutes ces richesses nationales, témoins d’un passé glorieux, sont dans un état déplorable, suite à la guerre, aux intempéries et à l’abandon. Il est étonnant et inadmissible qu’une telle région du Liban tombe dans l’oubli.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3956 - Du 3 Au 10 Juillet 2004
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