L’émigration s’intensifie englobant
toutes les catégories et les communautés

Le Liban émigré revêt une grande importance. Ayant commencé à s’expatrier vers le début du siècle dernier, des centaines de milliers de citoyens ont suivi la trace du premier partant, de la famille Bachaalani et, en quelques années, surtout après la première conflagration mondiale (1914-18), bien de nos concitoyens se sont expatriés pour fuir la tyrannie de l’époque ottomane et la famine qui a fauché tant de familles. Aujourd’hui, beaucoup de Libanais de l’émigration font honneur au pays des Cèdres; ils occupent des postes de premier plan dans les domaines politique, professionnel, économique et social sous toutes les latitudes. De nouveau, la vague d’expatriation s’est intensifiée depuis la fin des douloureux événements, en raison de la situation socio-économique qui laisse à désirer. Mais ceux qui sont partis, ceux de la nouvelle génération, sont affligés de la nostalgie du retour. Ne pouvant se permettre encore de réintégrer le pays natal, ils réclament de jouir de leurs droits civiques et politiques, en tête desquels celui du vote et de l’éligibilité. D’autant que dix parlementaires ont présenté une proposition de loi attribuant douze sièges au parlement à des représentants de la diaspora libanaise.

Néemtallah Abi-Nasr: “Le dossier est ouvert et nul n’osera le fermer”

photoM. Néemtallah Abi-Nasr, député de Jbeil-Kesrouan, promoteur de la proposition de loi visant à assurer la représentation des Libanais d’outre-mer au sein de l’Assemblée nationale, qui vient de rentrer d’une visite au Canada où il a rencontré les responsables, en particulier ceux parmi eux qui sont habilités à trancher la question de l’immigration, a déclaré:

“J’ai évoqué avec mes interlocuteurs canadiens deux points essentiels: Primo: l’implantation des réfugiés palestiniens dans les pays d’accueil, le Liban en tête, car le Canada préside la commission des pays donateurs qui octroient de l’aide aux réfugiés palestiniens. Secundo, l’ouverture d’une ligne aérienne à desservir par un vol direct entre Beyrouth et Montréal. Tout en se prononçant contre l’implantation, ajoute M. Abi-Nasr, le gouvernement d’Ottawa préconise l’octroi de droits sociaux aux réfugiés pour des raisons humanitaires, en attendant qu’ils puissent réintégrer la Terre sainte et, éventuellement, leur Etat indépendant ayant Jérusalem comme capitale. En ce qui concerne, spécialement, le droit au travail, j’ai attiré l’attention des responsables canadiens sur le fait que le Liban souffre d’un taux élevé de chômage, ce qui pousse les jeunes Libanais à s’expatrier. Puis, les Palestiniens ne peuvent exercer une profession libérale, étant donné la pléthore de médecins, d’ingénieurs, d’avocats et de dentistes, etc... un tel droit n’étant pas accordé aux Syriens. Il importe donc de reconnaître au peuple palestinien le droit au retour à sa terre, en vertu de la résolution 194 du Conseil de sécurité, le peuple palestinien ayant été victime du sionisme mondial. Il s’agit d’un crime contre l’humanité, la responsabilité de la non-réintégration de ce peuple à sa terre incombant aux pays arabes et à la communauté internationale. Puis, le Liban ne peut admettre l’implantation, étant donné l’exiguïté de son territoire et ses ressources limitées suf-fisant à peine à satisfaire ses propres habitants. Il ne peut non plus accorder la nationalité à des personnes autres que ses fils résidents et émigrés. En ce qui concerne l’ouverture d’une ligne aérienne, la société canadienne qui avait envisagé d’inaugurer un vol direct entre Beyrouth et Montréal, a renoncé à son projet en prétextant des considérations d’ordre sécuritaire. Au cours de mon séjour au Canada, j’ai soulevé ce dossier, en mettant l’accent sur le fait que plusieurs compagnies d’aviation ont des bureaux à l’aéroport internatio-nal de Beyrouth et n’ont jamais formulé aucune plainte relative à l’état de la sécurité”.

MAINTENIR LES LIENS AVEC LES ÉMIGRÉS
Faisant état de la vague d’expatriation qui s’intensifie et englobe tant les musulmans que les chrétiens - respectivement dans une proportion de 54 et 46% (voir les statistiques) - M. Abi-Nasr souligne l’importance de maintenir les liens avec la diaspora, d’autant que beaucoup d’émigrés conservent encore la nationalité libanaise.
“Il faut, dit-il, les habiliter à participer à la vie nationale, comme c’est le cas pour les émigrés de Syrie, d’Algérie et du Soudan. On n’a pas le droit de priver les Libanais émigrés du droit de récupérer la carte d’identité et, aussi, du droit de vote, ce dont ils sont privés depuis cinquante ans, les gouvernements successifs n’ayant rien fait pour répa-rer cette anomalie. Pour cette raison, poursuit le parlementaire kesrouanais, j’ai déposé sur le bureau de la Chambre, avec d’autres collègues, deux propositions de loi: la première vise à restituer l’identité libanaise aux émigrés, à condition de prouver leur origine et de résider trois mois au pays natal.
“La seconde proposition de loi prévoit l’augmentation de douze députés l’effectif de la Chambre, ces derniers devant être élus par les Libanais d’outre-mer, proportionnellement, à leur nombre communautaire. Cette proposition a été signée par MM. Ahmed Fatfat, Ghassan Achkar, Ghazi Zéaïter, Robert Ghanem, Fouad el-Saad, Yassine Jaber, Ali Bazzi, Boutros Harb et Ghassan Moukheïber”.
M. Abi-Nasr indique qu’à la suite du retard mis par le gouvernement à enregistrer les formalités des émigrés re-latives à la récupération de leur nationalité; après la visite du président Emile Lahoud au Brésil et du président Nabih Berri en Afrique, une commission a été constituée, sous la présidence de M. Issam Farès, vice-président du Conseil, à l’effet d’exami-ner la question de l’octroi d’une “carte d’émigration”, habilitant son détenteur à jouir du droit de séjour, d’appropriation de biens-fonds, d’investissement de capitaux en bénéficiant d’exemptions fiscales et même de réclamer la naturalisation, s’il passe entre neuf et douze mois au Liban durant une période de cinq ans.


Tammam Salam: “Renforcer le lien avec la diaspora”

photoM. Tammam Salam, ancien parlementaire, a une autre opinion à ce sujet. “Nous sommes, dit-il, en faveur du renforcement de toute relation avec l’émigration libanaise et de la prise de mesures par l’Etat libanais en ce sens”, ajoutant que la création de sièges parlementaires à l’émigration a ses conditions.

“Nous appelons, poursuit-il, à la réactivation du rôle du ministère des Emigrés et demandons la création d’institutions de l’émigration et la tenue de congrès pour aider les émigrés. Il n’est pas possible de leur affecter des sièges parlementaires, puisque selon le système démocratique, le député doit vivre dans son pays et acquitter ses obligations.
Que pensez-vous de la proposition affectant des sièges parlementaires à l’émigration?

C’est une innovation non basée sur des règles légales. La consolidation des liens de l’émigré à la mère-patrie ne doit pas se faire aux dépens des droits du résident.


Edmond Naïm: “Les émigrés peuvent voter auprès de nos ambassades”

photoLe Dr Edmond Naïm, juriste, dit: “Beaucoup de pays accordent aux émigrés le droit de vote depuis leur pays d’accueil et nous pouvons faire de même au Liban, les noms des libanais émigrés étant inscrits auprès des ambassades libanaises à l’étranger qui envoient les listes des électeurs à l’administration centrale.”

Comment l’Etat pourra-t-il procéder?
Ceci se fait en vertu d’une loi qui détermine le mécanisme de cette opération, laquelle n’est pas difficile, d’autant que la plupart des pays évolués l’appliquent. Au Liban, nous constatons, par exemple, que toutes les communautés étrangères exercent leurs droits électoraux dans les ambassades de leurs pays.
L’Etat a-t-il une responsabilité judiciaire au cas où il tarde à appliquer cela?
Une responsabilité morale et judiciaire lui incombe. L’Etat doit prendre des mesures en ce sens, pour accorder aux Libanais leurs droits de citoyenneté où qu’ils se trouvent.
Comment assurer l’équilibre confessionnel dans cette opération?
Ceci n’est pas compliqué. On peut se baser sur les listes électorales. En ce qui concerne les sièges parlementaires, il faut tout simplement adopter la règle de l’égalité.
Que pensez-vous de l’octroi de la nationalité libanaise aux descendants d’origine libanaise?
Tout descendant d’origine libanaise est libanais et l’Etat doit lui accorder ses droits.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3961 - Du 7 Au 14 Août 2004
Editions Speciales Numéros Précédents Contacts Recherche