Il y a eu par le passé la Grande marche de Mao pour engager la Chine dans le communisme. Aujourd’hui c’est le grand Ayatollah Ali Sistani, la plus grande haute autorité chiite irakienne qui a appelé tous les croyants “de se porter volontaire” pour l’accompagner à Najaf afin de sauver cette ville sainte du chiisme. Sistani qui s’était rendu à Londres pour être soigné pour des problèmes cardiaques, à l’heure même où la bataille de Najaf était engagée, a effectué ce mercredi un retour-surprise dans le pays. Il est arrivé à Bassorah et lancé sur-le-champ son appel aux chiites, affirmant: “Je suis venu pour sauver Najaf et j’y resterai jusqu’à ce que la crise prenne fin”. De fait, ce jeudi matin, il s’est mis en route pour Najaf suivi de centaines de partisans, alors que les forces américaines et ira-kiennes ont encore renforcé leur étau sur le mausolée de l’Imam Ali où les hommes de Moqtada Sadr sont retranchés sans pouvoir en sortir, étant donné qu’ils sont désormais à portée de feu des tireurs de la garde nationale irakienne et des blindés US. Les collaborateurs du grand Ayatollah ont indiqué qu’il pourrait faire une proposition permettant aux partisans de Sadr de quitter le mausolée. Un conseiller de l’imam rebelle a déclaré à la chaîne satellitaire “al-Arabiya” que les miliciens de l’armée du Mehdi étaient prêts à négocier pour mettre un terme aux combats. L’appel à marcher sur Najaf est destiné aussi à permettre à Sistani de confirmer son autorité au sein de la communauté chiite. Va-t-elle contribuer à sauver Najaf et à éviter un bain de sang au cas où l’assaut final s’avère inévitable. Mais à l’heure même où le grand Ayatollah, figure emblématique du chiisme irakien se dirigeait vers la ville sainte du chiisme, un attentat frappait la ville de Koufa proche de Najaf, faisant plus de 25 tués et des dizaines de blessés.
Depuis le mercredi 18 août, l’imam rebelle Moqtada Sadr et les forces américano-irakiennes jouaient au jeu du chat et de la souris. Ce jour-là, un porte-parole de Sadr avait annoncé que ce dernier acceptait de désarmer sa milice et de se reti-rer du mausolée d’Ali, tel que le lui demandait le Conseil national irakien fraîchement élu, mais avait exigé qu’un cessez-le-feu fût annoncé pour permettre la mise en application de ces mesures. L’engagement n’a été, cependant, que verbal, l’imam pensant pouvoir gagner du temps pour internationaliser la crise et susciter une levée de bouclier chiite à l’échelle planétaire.
Aux dernières nouvelles, Sistani est revenu de Londres et devait mener une “marche” chiite sur Najaf pour tenter une ultime mé-diation. Le cessez-le-feu n’a donc guère duré et l’imam Sadr revenait sur ses engagements, affirmant qu’il acceptait, uniquement, d’évacuer le mausolée et refusait de désarmer sa milice, “l’armée du Mahdi” (le Mahdi étant le dernier imam attendu par les chiites).
L’Ayatollah Ali Sistani, ordonnant la marche sur Najaf.
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Deux miliciens de Moqtada Sadr
dans une rue de Najaf.
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Quarante huit heures plus tard, alors que les bombardements sur Najaf avaient repris et que l’étau se resserrait autour du mausolée, Sadr posait de nouvelles conditions: il affirmait, dans un premier temps, être disposé à remettre les clés de ce sanctuaire sacro-saint pour les chiites au grand ayatollah Ali Sistani, mais ne tardait pas à réclamer la formation d’un comité pour évaluer les biens du mausolée avant tout transfert. De tergiversations en tergiversations, les jours passaient et le sort de Najaf, de sa population et de ses lieux sacrés, demeurait suspendu, soit à un accord entre Sadr et les autorités irakiennes appuyées par les Américains, soit à l’assaut final. Face à cette situation, les autorités de Bagdad multiplient les appels, les menaces et les mises en garde, espérant pouvoir éviter une bataille qui serait douloureuse pour tout le monde. Au cours d’une conférence de presse tenue à Bagdad, le Premier ministre irakien, Iyad Allaoui a lancé un ultime appel à l’armée du Mahdi: “Ceci est le dernier appel lancé aux miliciens, pour qu’ils désarment, quittent le mausolée d’Ali et s’engagent dans le processus politique”. Le ministre sans portefeuille, Kassem Daoud, avait prévenu pour sa part que “dans le cas contraire, il y aura une opération militaire”.
L’otage libanais libéré
Mohamed Raad, dernier otage libanais en Irak, a été libéré par ses ravisseurs qui se sont présentés dans une vidéocassette sous le nom de “Mouvement islamique des moujahidines d’Irak - Brigades de Seif al-islam”. “La libération du jeune homme de 27 ans (originaire de Bednayel dans la Békaa et de mère irakienne), est une réponse à un appel du comité des ulémas en Irak”, ont-ils précisé dans la cassette. “Elle répond, également, ont-ils ajouté, à des appels de responsables libanais qui affirment que les moujahidines prennent pour cible les Libanais sans raison”.

Les ravisseurs de Mohamed Raad lisant
le communiqué de sa libération.
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Les ravisseurs ont, par ailleurs, appelé les Libanais “à empêcher leurs concitoyens de collaborer avec l’occupation”, en précisant que “les hommes de la résistance considèrent tous ceux qui collaborent avec l’occupant ou lui rendent service, comme faisant partie de l’occupation même, quelles que soient leur appartenance ethnique ou religieuse et leur nationalité”. |
Les combats s’intensifient
Devant l’impasse d’une solution pacifique, les combats qui, depuis le 5 août, opposent les miliciens de Moqtada Sadr aux forces américaines et à la police irakienne, se sont intensifiés à partir du week-end passé. Dans la nuit de samedi à dimanche, l’aviation américaine a bombardé des positions de miliciens près du mausolée, ce qui a entraîné de nouveaux affrontements dimanche dans la vieille ville. Les partisans de Sadr ont attaqué aux mortiers les chars américains postés à près de 300 mètres du mausolée et ces derniers ont riposté à coups de canons. Lundi, l’aviation US a bombardé le cimetière de Najaf, l’un des plus grands au monde, les affrontements se poursuivant autour du mausolée et les combattants affirmant que l’aviation américaine a tiré une roquette sur le mur occidental de son enceinte. La confusion continuait à régner sur une possible solution de compromis.
Mardi 24 août, l’imminence d’un assaut final semblait se confirmer. Tout d’abord et pour la première fois, les Gardes nationaux irakiens (auxiliaires de l’armée) ont rejoint les forces américaines et se sont déployés à 400 mètres du mausolée. L’étau s’est resserré de plus en plus sur l’imam rebelle et sa mi-lice. D’autres signes viennent confirmer l’approche d’une solution finale. Le ministre de la Défense irakien, Hazem Chaalane, a déclaré devant des journalistes sur une base américaine à l’entrée de la ville sainte: “D’importantes forces irakiennes vont s’approcher du mausolée en attendant le signal de l’assaut, à moins que les éléments de l’armée du Mahdi se rendent. Ils n’ont que quelques heures pour le faire… Si Moqtada Sadr se rend, il sera sain et sauf. S’il résiste, il n’aura devant lui que la mort ou la prison”. De son côté, Adnane al-Zorfi, gouverneur de Najaf, a prévenu: “La Garde nationale va nettoyer la ville et le mausolée de la milice si les miliciens ne partent pas rapidement de leur propre chef”.
Le lourd tribut
des journalistes
Depuis le déclenchement de la guerre en Irak en mars 2003 et à ce jour, les correspondants de presse ont payé un lourd tribut. Selon “Reporters sans frontières”, au moins 38 journalistes et collaborateurs des médias ont été tués depuis le début de l’offensive et 23 d’entre eux ont trouvé la mort depuis le 1er janvier 2004 dans des circonstances directement liées à leur mission professionnelle. Par ailleurs, un journaliste italien, Enzo Baldoni, correspondant du “Diario della setimana”, est retenu en otage depuis le 19 août courant par “l’Armée islamique d’Irak” qui demande, pour le libérer, que l’Italie retire son contingent d’Irak, sinon il serait exécuté. Quatre autres journalistes sont portés disparus: Frédéric Nérac, du ITV News, depuis le 22 mars 2004; Issam Hadi Muhein al Shumari de N24, depuis le 15 août 2004; Georges Malbrunot, du “Figaro” et “Ouest-France” et Christian Chesnot de RFI, depuis le 20 août 2004.
Le journaliste américain, Micah Garen a finalement été relâché dimanche passé, après l’intervention du mouvement de Moussa Sadr.
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Ville-martyr malgré elle
L’imam rebelle galvanise des centaines de jeunes miliciens qui voient en lui, non seulement un chef religieux, mais un combattant qui a pris les armes contre “les forces d’occupation en Irak”, disent-ils.
“Même nos armes portent son nom”. Les plus radicaux d’entre eux jurent avoir vu apparaître le fantôme de leur chef au détour d’une rue en plein combat, pour les encourager dans leur lutte contre les forces américaines à Najaf. Et si jamais ce jeune imam rebelle est tué lors de l’assaut final, son image sera encore plus idéalisée pour de nombreux chiites. Pour la ville de Najaf et sa population, la situation est tout autre. Beaucoup ont quitté la vieille ville pour échapper aux bombardements et au manque de produits de première nécessité. D’autres se terrent chez eux, dans l’attente d’une solution pour que leur cité retrouve une vie normale. Certains téméraires ont osé dire tout haut à des correspondants de presse, ce que beaucoup d’autres pensent tout bas. “Ce sera bien si les forces irakiennes donnaient l’assaut à Sadr et à ses hommes et qu’on s’en débarrasse”, affirme un forgeron de trente ans qui vit à la lisière de la vieille ville. Un autre citoyen considère Sadr comme un nouveau Saddam qui doit être arrêté pour le bien de l’Irak. “C’est un dictateur, dit-il. Il a son propre tribunal et tout le monde sait qu’il a tué des gens pour des peccadilles. Si c’était un vrai musulman, il devrait se retirer du mausolée et combattre avec les forces irakiennes”. Un vendeur de légumes de 28 ans a dit de son côté: “Les gens sont las des combats. Nous ne voulons pas de Sadr et de ses hommes. Ce sont des voleurs et ils ruineront l’avenir de l’Irak si nous les laissons faire”.
Ces quelques témoignages reflètent le sentiment d’une population traumatisée et s’expliquent par l’image de Najaf, telle que la décrivent les correspondants sur place ou par les images que nous renvoie le petit écran. Cette cité de pèlerinage pour les chiites du monde entier est, pour l’heure, transformée en ville-fantôme. Le marché de la place Midane a brûlé; les hôtels sont dans un piètre état avec leurs vitres brisées et leurs devantures criblées de balles. Les maisons sont fermées, les lumières éteintes, les câbles électriques pendent et des douilles jonchent la chaussée. Quant aux chars américains, ils stationnent à tous les coins de rue, assiégeant le réduit de Moqtada Sadr... dans l’attente de l’assaut final. |