L’apparition des formes abstraites est sujette à contestation: toutefois, il est évident que la “première aquarelle abstraite” exécutée en 1910 à Munich par le peintre russe Wassili Kandinsky, est la première œuvre inobjective réalisée à partir d’une conviction profonde et dans un but clairement défini: substituer à l’imitation de la réalité une création pure où aucune suggestion d’images n’est volontairement acceptée.
“Elan tempéré”.
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“Beauté russe dans un paysage”.
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En même temps, les créateurs du monde entier tous tributaires des mouvements comme l’impressionnisme, le divisionnisme, le fauvisme, le cubisme cherchaient une libération de l’image. C’est à partir du fauvisme et de la libre expression donnée par ce mouvement à la couleur que Kandinsky tenta d’élaborer un nouveau langage de la peinture qui allait impliquer une remise en question radicale de la vision et de la conception du tableau telles qu’elles étaient développées depuis des siècles.
“Bleu de ciel”. |
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“Dans le carré noir”.
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En 1908, c’est à Paris que Kandinsky recevra un double choc, les fauves et Gauguin lors du Salon d’Automne.
Pour les précurseurs involontaires de l’abstraction, la forme inobjective ne pouvait pas avoir la même valeur esthétique et morale; selon eux, le respect de la nature, lié à une émotion, une sensation demeurait fondamentale.
Kandinsky abolira ce mythe.
Les toiles réalisées en 1902 et 1907 traduisent un amour sensuel de la couleur.
“Improvisation 6” ou la vibration des couleurs.
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Il voyage beaucoup, il se “fait l’œil”. Vues avec des “yeux abstraits”, ces œuvres montrent à quel point les valeurs chromatiques prennent constamment le pas sur l’objet représenté; les larges touches empâtées apparaissent comme élément intégral du tableau.
A partir de 1909, le “chœur des couleurs”, terme employé par Kandinsky deviendra de plus en plus dévorant, il se chargera d’un pouvoir émotif et d’une signification cosmique intense. Cette évolution a été attribuée à l’influence d’un ouvrage de Goethe “Farbenlehre”, dont les théories mystiques sur le pouvoir des couleurs se rapprochent fort de celles qu’exprimera Kandinsky en 1910 dans son livre: “Du Spirituel à L’Art”.
Il étudie, également, les émotions provoquées par les différentes couleurs.
Toutes ces inspirations constituent la matière première avec laquelle il va établir les éléments de base de sa dialectique syntaxique.
Lorsqu’il n’était encore qu’un étudiant en droit à Moscou, il avait été frappé par “Les Meules” de Monet. “Soudain, pour la première fois, a-t-il écrit, je vis un “tableau”. Le catalogue me disait qu’il représentait une meule de foin mais je n’arrivais pas à en distinguer les contours… Il me semblait obscurément qu’il manquait un sujet à ce tableau. Mais il me frappait et se gravait profondément dans ma mémoire, s’y fixant jusqu’aux plus infimes détails”.
Treize ans plus tard, une expérience le convainc de l’inutilité du sujet et de l’importance sensorielle des couleurs. En rentrant chez lui un soir, il vit “soudain une toile d’une beauté inimaginable, vibrant de couleur intérieure. Je découvris aussitôt la clé de l’énigme: c’était une de mes propres toiles posée de travers. Je sus alors expressément que les objets nuisaient à ma peinture”, confie-t-il. LE PASSAGE DE LA PéRIODE FIGURATIVE
Le passage de la période figurative à la démarche abstraite se fera sans heurt. Dans “Eglise” peint en 1910, les formes sont reconnaissables mais se fondent dans une unité colorée des éléments informels. Le passage “du matériel au spirituel”, selon le mot de Kandinsky lui-même se fait du particulier au général. Certes, le peintre a éprouvé longtemps la crainte de tomber dans une forme sans signification. “Qu’est-ce qui doit remplacer l’objet”?, cette question ne cessera de le hanter tant qu’il ne parviendra pas à substituer à cet objet sa puissance émotive correspondante. Ainsi, la “Première aquarelle abstraite” fut un coup d’audace, un saut dans l’inconnu. Le génie de Kandinsky dut d’avoir su les légitimer, les justifier et faire de cet avant-poste isolé dans l’évolution de la peinture l’affirmation d’une nécessité intérieure, d’une “pression intérieure” liées à l’intelligence, au raisonnement.
La “Première aquarelle abstraite” n’eut pas l’importance que l’on devait plus tard lui donner, sauf pour Kandinsky. A 44 ans, il est en pleine possession de ses moyens et est conscient de la valeur de son acte qui est non seulement réfléchi, médité, mais naturel.
Devant l’abstraction, l’artiste éprouve le sentiment de nécessité que devant le motif. Son élaboration répond à un ordre logique profond, mais la “Première aquarelle” apparaît surtout comme une impulsion. La main distance l’esprit. Il n’est pas utile ici de revenir sur les querelles de préséances concernant l’exécution de la première en date des œuvres abstraites; la consécration du binôme Kandinsky-Abstraction est un état de fait, il exprime d’une manière incontestable la logique et la nécessité absolue du processus de défiguration du peintre issu d’un raisonnement et non de l’accident et du hasard.
UNE QUÊTE MYSTIQUE
Kandinsky n’a jamais cessé de considérer l’abstraction comme une quête mystique. Il croyait en l’existence d’une vie émotive qui ne pouvait être exprimée que par un langage émotif, débarrassé du poids des apparences, à la fois unique et nu. Il ne cessera jusqu’à sa mort d’enrichir son vocabulaire propre et son contenu spirituel. Sa démarche est éclairée par deux ouvrages: “Du Spirituel à l’Art” et “Regards sur le Passé” qui opèreront chez les peintres une véritable révolution mentale.
L’abstraction s’est aussitôt épanchée dans son œuvre par le canal d’un irrésistible dynamisme lyrique. Kandinsky juge sa peinture, en 1913, comme “la collision retentissante de mondes différents, destinés à créer le nouveau monde dans leur lutte ou en dehors de leur lutte entre eux.
“Toute œuvre naît techniquement, de même que le cosmos est né, par des catastrophes, qui finissent par former une symphonie que l’on appelle la musique des sphères. La création de l’œuvre est une création du monde”.
Il n’est pas facile de porter un jugement d’ensemble sur l’œuvre de Kandinsky. Le champ de son activité a été trop vaste, trop long et trop varié le parcours accompli entre les premières esquisses de paysages et les dernières toiles parisiennes.
Une telle œuvre ne fait pas seulement découvrir une personnalité capable d’innover à l’infini, elle révèle aussi une des plus extraordinaires révolutions esthétiques.
Intuition et réflexion, fantaisie et raison, passion et rigueur, âme slave et esprit occidental, tout a contribué à la formation de Kandinsky, homme et artiste.
Promoteur infatigable de l’art abstrait, l’artiste croyait néanmoins à l’unité de toutes les formes de l’art et à la grâce qui lui était donné d’y participer.
“L’art, disait-il, reste muet pour ceux qui ne veulent pas écouter la forme. Oui! Et pas seulement l’art abstrait, mais toutes les formes d’art, y compris les plus réalistes”. |