Décoré à 78 ans: Göksin Sipahioglu projette de fonder
une nouvelle agence photo dans deux ans

C’est lors d’une cérémonie officielle que M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre français de la Culture et de la Communication, a remis les insignes d’Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres à M. Göksin Sipahioglu, fondateur et ancien propriétaire de l’agence SIPA.

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A cette occasion, M. de Vabres a prononcé un discours en faveur du récipiendaire dans lequel il déclare:
“Je suis très honoré et très heureux de vous rencontrer et de vous distinguer ici, au festival international du photo-journalisme. Car vous incarnez la dimension mondiale de ce double métier, de cette double passion: photographe et journaliste. L’on dit que l’étymologie de votre patronyme vous désigne comme “celui qui fait la guerre à cheval”. Oui, vous êtes un homme fougueux, passionné, un stratège, un travailleur, un créateur, hors du commun.
“Oui, vous êtes aussi un pionnier, comme les plus grands créateurs, comme les plus grands collectionneurs de scoop et vous incarnez ce que le journalisme d’aujourd’hui doit avoir de plus proche des grandes aventures du XXème siècle. Toute votre vie, qui pourrait inspirer plusieurs films, est faite de premières et de “Unes”.
“On dit que vous avez été le premier à porter les cheveux longs en Turquie, à douze, treize ans. Vous avez été le premier grand reporter free-lance de votre pays. Vous êtes toujours le premier arrivé le matin à l’agence que vous avez créée et qui porte votre nom, Sipa, la première agence photo.
“Vous avez été d’abord journaliste, rédacteur de sport, spécialiste de basket-ball, un sport qui convient à merveille à votre haute stature, - vous avez même commenté sans concession, sous un pseudonyme, un match où vous avez joué!
En 1956, vous prenez pour la première fois un appareil photo, pour couvrir la campagne militaire israélienne dans le Sinaï où vous photographiez des blessés égyptiens, puis vous vendez votre premier appareil, un Rolleycord, en Israël, pour payer votre hôtel. L’année suivante, vous créez le premier quotidien de votre pays à faire autant de place à la photo, surtout en “Une” et en quatrième de couverture.
“En 1958, vous êtes le premier journaliste turc à entrer en pays communiste après la guerre : vous sillonnez la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie. En 1965, vous êtes le premier journaliste turc à entrer en Chine.
En 1961, vous êtes le premier Occidental à photographier l’Albanie de l’après-guerre. En 1962, vous n’hésitez pas à débarquer, déguisé en marin, à Cuba en pleine crise des missiles, pour prendre des photos, au nez et à la barbe de la police cubaine ! En 1968, à Prague, vous êtes le premier journaliste occidental à interviewer des soldats russes : des Azéris qui parlent votre langue maternelle !
“En 1969, vous êtes le premier à créer une agence, et quelle agence !, avec Phyllis Springler, parce qu’on vous a refusé la diffusion d’un reportage!
“En septembre 1970, vous êtes le premier à publier un reportage de six pages au lieu de quatre dans le Time (il s’agit d’un reportage à Pékin). Vous êtes le premier à installer une agence de presse dans une ancienne fabrique d’obus…
“La liste de vos scoops est innombrable, à tel point que vous êtes présenté dans toutes les écoles de journalisme, comme un “monstre sacré”, voire un “mythe vivant” ! Et votre très grande générosité n’est pas un mythe : elle est légendaire ! Tous les jeunes talents auxquels vous avez mis le pied à l’étrier vous en sont reconnaissants.
“Il est en tout cas une expérience que vous n’avez tenté qu’une seule fois : vous vous êtes présenté une première et dernière fois aux élections législatives en Turquie en 1957 !
“Oui, votre vie est une épopée et une référence pour tous les photo-journalistes.
“Cher Göksin Sipahioglu, au nom de la République, je vous fais Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.”

Rencontré à Paris par “La Revue du Liban”, M. Sipahioglu évolue désormais dans de nouveaux locaux. Son actuel bureau est certes plus petit que le précédent, mais les habitudes restent les mêmes, l’aspect high-tech en plus : écrans plats et ordinateurs dernier cri où ses photos de mai 68 constituent de très beaux économiseurs d’écrans. Et, comme some things never change, Göksin recense toujours dans les publications qui recouvrent son desk, les parutions photographiques de Sipa et de ses nombreux disciples devenus des grands reporters. M. Sipahioglu nous a déclaré, enthousiaste, qu’il fera de nouveau une agence photo dans… deux ans ! Son contrat avec le nouvel acquéreur de Sipa stipule, dans une clause de non concurrence, qu’il n’a pas le droit de constituer une nouvelle agence avant trois ans, la première année des trois imparties étant écoulée. Ceci ne fait aucunement renoncer notre homme, qui concrétisera ce rêve en 2006 ; il aura 80 ans. Une certaine impatience et un même plaisir dans le challenge pouvaient se lire dans ses yeux… et dans les nôtres.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3969 - Du 2 Au 9 Octobre 2004
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