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À l’Académie libanaise des Beaux-Arts,
Université de Balamand: Neuf maîtres de la peinture italienne contemporaine
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Les grandes figures de l’art: Raoul Dufy...
Un univers merveilleux à la fois véritable et inventé
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À l’Académie libanaise des Beaux-Arts,
Université de Balamand: Neuf maîtres de la peinture italienne contemporaine

A l’occasion de la IVème Semaine de la langue italienne dans le monde et sous le patronage de M. Franco Mistretta, ambassadeur d’Italie, l’Académie libanaise des Beaux-Arts (ALBA) - Université de Balamand et l’Institut culturel italien organisent une collective d’art italien contemporain, dans la Salle polyvalente de l’ALBA.

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Alberto Cropelli.

Giovanni B. Tomasoni, commissaire de l’exposition la présente en ces termes: “La principale caractéristique de cette exposition est, sans aucun doute, le mode des choix des plasticiens, neuf artistes assez proches d’un point de vue générationnel, proches géographiquement, ayant grandi plus ou moins dans le même milieu”.

photo Giuseppe Brani.

photo Gabbia Domenico.

Neuf artistes, neuf langages, neuf modes d’expression différents:
*Enzo Archetti ex-professeur de littérature poursuit la poésie à travers la légèreté de ses figures.
*Giuseppe Bravi est un précis méticuleux chercheur de signes et d’alphabet.

photo Enzo Archetti.

photo Roberto Formigoni.

*Alberto Cropelli creuse poétiquement l’épaisseur et le message de la couleur.
*Roberto Formigoni représente un monde fait de dessins et d’images narratives.

photo Piero Tramonti.

photo Eugenio Mombelli.

*Gabbia Domenico exprime sa nostalgie du monde de son enfance.
*Eugenio Mombelli, architecte de carrière; sa production est un monde restructuré.
*Giulio Montinelli nous transmet à travers ses œuvres, son amour de la nature.

photo Giovanni Bartoloméo Tomasoni.

photo Giulio Motinelli.

*Giovanni Bartoloméo Tomasoni va, à travers son art, à la recherche de soi pour calmer son inquiétude existentielle.
*Piero Tramonti crée un univers personnel par lequel le spectateur est intrigué.

Des artistes de synthèse
A prendre une vue d’ensemble des œuvres exposées, on s’aperçoit qu’au-delà de la diversité des écoles qui y figurent, la plupart de ces artistes ont abordé des courants modernes et même ceux d’avant-garde, qui sont souvent aujourd’hui, un sujet de discorde, parce que certains les jugent comme des phénomènes insolites, les produits d’une recherche discutable. Cependant, toutes les réalisations s’insèrent dans la continuité historique de l’art ita-lien, découlent d’expériences antérieures dont ils sont une suite logique. Tous ont un point commun: ils tentent d’exprimer leur émotivité devant les éléments de la nature ou les événements, mais ils synthétisent leurs compositions dont ils ne conservent que les lignes essentielles. Ils se veulent des artistes de synthèse, se proposant de concilier art figuratif et art abstrait. Leurs travaux naissent du quotidien et d’un regard introspectif qui mène à la représentation d’un vécu personnel extérieur ou intérieur, à travers lequel chacun d’eux à sa manière mène son aventure picturale.
Bien sûr, ces aventures impliquent une prise de conscience expressive, en même temps qu’une vision particulière, laquelle est ensuite, réinterprétée sur le plan formel. Les éléments principaux qui caractérisent la production de ces artistes, sont la simplification et l’épuration où se rencontrent et se confondent espace, formes, rythmes et couleurs.
En fait, ces artistes se servent d’un langage plastique éminemment “essentiel” sans fiori-tures décoratives. Leurs symboles sont d’essence intérieure et créent l’ambiguïté d’une expression à la frontière de deux mondes le fi-guratif et l’abstrait.

Par Nicole MALHAMÉ HARFOUCHE

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Les grandes figures de l’art: Raoul Dufy...
Un univers merveilleux à la fois véritable et inventé

Si Paris est, aujourd’hui, plus triste qu’autrefois, c’est parce que nous n’y rencontrons plus aux vitrines de grands marchands d’Art, la fanfare d’une belle toile de Raoul Dufy…

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“ Splendid- Hôtel”.

Où sont donc passés ces champs de blé, ces Vénus étonnées sur la plage auprès de leur coquille, ces orchestres, ces cargos noirs qui n’étaient que lumière, cette nervosité, cet esprit et cet azur; tous ces mensonges ensorcelants plus vrais que vrai qui exaltaient la vie, la nature et surtout la peinture? Curieux destin que celui de cet enchanteur qui inspira, un temps, la défiance pour la seule raison qu’il fascinait. Pourtant, comme elle était tolérante, cette peinture! Longtemps accessible, lente à “monter”, comme on dit. Il n’y avait qu’à se baisser pour la prendre…

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“Un des personnages de la Fée Electricité”.

LE TRAIT CHEZ LUI DEVENAIT AMPLEUR
Les dessins de Raoul Dufy sont à la pointe de sa science et de son esprit. C’est, surtout, le dessin au trait qu’il affectionna. La ligne toute nue en son parcours est, à la fois, plus abstraite et souvent plus expressive que le dessin chargé d’ombres, trop dramatique au gré de Dufy qui n’était pas dramatique du tout. Cérébrale ou sensuelle - ou les deux ensemble - elle ne collabore qu’avec la lumière et ce trait dépouillé qui pourrait s’avérer pauvre, devient chez lui ampleur, intelligence, pureté. Tant le graphisme d’un artiste révèle les préoccupations profondes de l’homme et la densité du personnage. Dans les nus au trait de Raoul Dufy, comme chez les Japonais, une légère déformation du contour suffit à en donner le volume et le poids. Tout le corps respire. Un trait d’une seule venue qui boucle la boucle, pour exprimer le mystère d’une forme féminine étendue. Henri Matisse et Raoul Dufy, à l’époque, cultivaient tous deux le dessin au trait, mais les courants de leur graphisme tiennent du prodige. A force d’observer les hommes, leurs attitudes spécifiques dans l’exercice de leurs métiers ou dans le feu de toute action, à force de scruter la nature et de découvrir ses “tics”, le peintre est parvenu à se faire un langage extraordinairement convaincant: une sténographie de l’essentiel dans le spectacle, un arsenal de signes archétypes qui lui permettent de résumer au plus vite et de “mettre dans le mille” à tous les coups. Examinez bien ses régates, ses foules, ses blés, la pleine musique qui s’échappe de ses dessins d’orchestres, tout y est vie.
Tout y tinte. C’est qu’avant de couvrir de signes les grandes surfaces, en apparence dé-sinvoltes, Dufy étudie le poids de l’épi sur sa tige, l’épaule relevée du violoniste au-dessus de son instrument, le gonflement de la voile par tous les temps ou l’inclinaison du rameur au tournant de la rivière. Quant à l’allure et au mouvement de ses chevaux, les turfistes eux-mêmes n’y ont rien trouvé à redire...

SES AQUARELLES éTAIENT SES CONFIDENTES
L’humour, aussi, triomphait chez ce magicien à l’œil aigu mais bienveillant.
Sous l’ironie légère perçait toujours une certaine tendresse et le trait, pour incisif qu’il fût, demeurait sans méchanceté ni amertume. Quant à ses aquarelles, s’il les exécutait parfois en dix minutes et nous parlons des plus belles, c’était le plus souvent après en avoir écarté un grand nombre pour conserver la dernière. Ses aquarelles étaient ses confidentes. Il leur disait tout: ses ivresses, ses ambitions, ses projets d’avenir. Elles étaient grosses de ses trouvailles récentes et de ses audaces en puissance. Cette rapidité d’expression qu’exige le métier même de l’aquarelle, interdisant d’“y revenir” était, chez Dufy accentuée encore par le fait d’employer toujours le papier Canson qui “boit” et s’imprègne rapidement. D’où l’obligation, pour l’artiste, de prendre au départ des options picturales nettes, cette fraîcheur et cet éclat. Et du moment que l’on peut, à l’aquarelle s’exprimer si vite au plus près de la source, c’est-à-dire de l’inspiration première - et déchirer sans scrupule les pages insatisfaisantes, pourquoi ne pas en profiter pour confier à la feuille blanche, non seulement l’émotion produite par le spectacle mais, aussi, l’idée naissante de l’artiste, son invention, sa tentative non encore mise à l’épreuve qui va pouvoir éclore sans fatigue et planter le nouveau jalon, avant de se voir séquestrée. Oui, séquestrée dans les cartons jusqu’au jour où Dufy aura forcé cette re-doutable peinture à l’huile, à entrer dans son jeu, à comprendre son nouveau propos, jusqu’à ce qu’il l’ait suffisamment implorée, caressée, contournée pour obtenir d’elle quelque chose de cette fluidité et de cette transparence que lui apportait l’aquarelle.
Dufy usait d’une émulsion plus maniable, plus translucide aidé par un ami chimiste.

NOUS LAISSER EN HéRITAGE LA FêTE
QU’IL AVAIT DANS LES YEUX

Dans l’œuvre de Dufy, à partir de 1925, les aquarelles partirent donc souvent en estafettes, précédant de plusieurs années les peintures à l’huile. Ce fut à l’aquarelle, par exemple que, pour la première fois, Dufy pratiqua cette dissociation entre le dessin d’un personnage en mouvement et la tache colorée que ce personnage laissait après lui sur notre rétine, la couleur y subsistant plus longuement que le contour. Cette découverte faite un jour à Deauville, sur la jetée, fut à l’origine des peintures les plus vivantes. Il en fut de même pour ses aquarelles de courses exécutées vers 1924-1925, où inaugurant sa peinture tonale, Dufy se mit à diviser son tableau soit verticalement, soit horizontalement en larges bandes de couleurs, zone d’ombres et de lumière qui déteignaient sur les chevaux et leurs joc-keys. Mais trop de détails techniques ne se justifieraient pas ici et Dufy eut été le premier à vouloir nous rendre heureux par ses compositions, sans les alourdir de commentaires. Il se plut toute sa vie à cacher son effort. C’était son élégance. N’oublions jamais que Raoul Dufy n’est ni un dessinateur, ni un aquarelliste, mais un grand peintre multiforme au génie novateur qui nous a légué un univers merveilleux, à la fois véritable et inventé dans sa vision comme dans sa technique. Sans passer au large de nos préoccupations et de nos angoisses, sa manière à lui de nous aider à les assumer, fut de nous laisser en héritage la fête qu’il avait dans les yeux.

Par Sonia NIGOLIAN

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