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Désarroi des critiques d’art
Difficulté à établir de nouveaux critères d’évaluation
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À Paris, le Grand Palais célèbre trois expérimentateurs du paysage… William Turner, James Whistler et Claude Monet
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Désarroi des critiques d’art
Difficulté à établir de nouveaux critères d’évaluation

Il en est de l’art comme de la vie, les années se succèdent et après 2004, la nouvelle année annonce la reprise des activités et manifestations artistiques.

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Rôle de l’artiste dans les soubresauts du monde de l’art d’aujourd’hui
De nouveau, ces diverses manifestations vont permettre à des centaines d’artistes plasticiens de s’exposer, à certains jeunes talents de se faire connaître, de se mesurer à des talents confirmés, afin de se situer dans la réalité de la vie artistique et, surtout, dans la dynamique de la création. Or, le monde, aujourd’hui, se transforme à une vitesse étourdissante, s’agite de soubresauts, lutte contre une transmutation inévitable et l’art, traditionnellement le baromètre de la civilisation tente, malgré les difficultés ambiantes, de trouver une nouvelle vie à travers les hésitations et les refus.

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Plus que jamais, les artistes vont donc avoir un rôle important à jouer et vont devoir se mobiliser, afin de recentrer le débat pour affirmer aux yeux de tous, à travers leur production, l’indispensabilité de l’art dans le monde d’aujourd’hui. En effet, l’artiste authentique, c’est-à-dire celui pour qui l’acte de créer est viscéralement vital, doit s’efforcer de percevoir et de faire comprendre au public que le goût se cultive, l’importance de l’art étant capitale. Le créateur est une sorte de prophète, dont les œuvres sont les paraboles. Et les plasticiens novateurs doivent explorer leur domaine, en se jetant dans une suite d’expériences et un foisonnement créateur. Ce dynamisme est une des caractéristiques de l’art moderne qui a poussé ses tentatives dans les directions les plus diverses, exploité les ressources de l’instinct brut, aussi bien que celles de la plus pure intellectualité. Et si la peinture de chevalet n’est pas totalement remise en question, l’artiste peut, tout aussi bien aller jusqu’à choisir, “désigner” un objet “usuel” quelconque et le consacrer œuvre d’art, soit en le gardant tel quel, soit en le rectifiant par suppression ou par adjonction d’éléments nouveaux. Tout comme il peut recourir au langage informatique ou à l’art vidéo et créer des œuvres plastiques au moyen de l’art numérique, de films, d’art vidéo ou d’animations sur ordinateur.

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Critères d’évaluation de l’œuvre d’art de plus en plus variés
Evidemment, il faut signaler, ici, que les critères d’évaluation de l’œuvre d’art deviennent de plus en plus variés. Il s’agit de pouvoir déchiffrer les signes inscrits dans l’œuvre et de comprendre les problèmes auxquels l’artiste est confronté. La tâche n’est pas aisée et il faut mentionner le désarroi et la difficulté que rencontrent les critiques d’art à fonder de nouveaux et sérieux critères pour l’évaluation des œuvres, surtout celles intégrant les nouvelles technologies. Ceci nécessite une approche tout à fait différente que celle de l’analyse et la lecture d’une peinture, sculpture, gravure ou tout média traditionnel. Je dirais même que certains critiques sur le terrain ignorent, totalement, les techniques des médias intégrant les nouvelles technologies. Il y a même ceux d’entre eux qui sont incapables d’utiliser un ordinateur ou une caméra numérique… Aussi, quelle que soit la nature des valeurs esthétiques ou plastiques avancées par une critique non compétente et même si on choisit, parmi ces valeurs, les plus générales ou les plus élémentaires, on trouvera toujours des avis différents et contradictoires.

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La même œuvre peut-être considérée “géniale” par quelques-uns et “nulle” par d’autres. En réalité, aujourd’hui, plus que jamais, chaque média prétend fonder les critères selon lesquels l’œuvre doit être regardée, analysée et jugée. Ce qui, depuis un certain temps, n’autorise pas la critique à s’appuyer sur des critères conventionnels, mais à prendre en compte les processus de différenciation par lequel les œuvres ont été créées. Juger, par exemple, une peinture, une photo ou un film art vidéo en fonction des mêmes valeurs d’harmonie formelle que chacune de ces œuvres peut établir, ne présente qu’un intérêt relatif puisque ces valeurs n’ont plus aucun caractère d’universalité. De même, juger ces œuvres en fonction d’une symbolisation qu’elles n’assument pas est tout aussi partial. On peut conclure que si la plasticité et l’esthétique d’une œuvre varient selon les médias utilisés et à cette époque précise où l’art contemporain a poussé ses tentatives dans les directions les plus diverses, exploité les ressources de l’instinct brut, aussi bien que celles de la plus pure intellectualité et où les critères de l’évaluation des œuvres deviennent de plus en plus mobiles, il est toujours possible pour un critique averti et informé des nouvelles techniques et technologies - et seulement à ces seules conditions -, d’émettre un jugement intègre et valable.

Par Nicole MALHAMÉ HARFOUCHE

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À Paris, le Grand Palais célèbre trois expérimentateurs du paysage… William Turner, James Whistler et Claude Monet

Une excellente exposition regroupe une centaine d’œuvres qui permet d’étudier les relations et l’évolution entre les premiers tableaux de Monet inspirés par la Tamise, en 1871 et les “séries” qu’il peignit à Londres en 1899, 1900 et 1901 (avec les motifs du pont de Charing Cross, du Parlement et du pont de Waterloo) à la lumière de nombreuses peintures, aquarelles et gravures de Turner et de Whistler.

photo “San Giorgio Maggiore au crépuscule” - Claude Monet.

photo “Le coucher de soleil écarlate: une ville sur un fleuve” - William Turner.

Une même confrontation met donc en présence des œuvres réalisées par les trois maîtres à Venise où Monet se rendit en 1908: les vues que ce dernier peignit alors des palais du grand Canal et de l’île de San Giorgio Maggiore évoquent directement celles de Londres exécutées quelques années auparavant. La thèse qui sous-entend l’exposition est: l’émancipation de la couleur et la dissolution des formes, des effets de brume ensoleillée de Turner aux effets de brume verte et humide de Monet. Le motif disparaît. De l’impressionnisme naîtra l’abstraction. Turner engendre Monet, qui engendre Rothko et Mitchell.

CAPTER LA LUMIÈRE, OUBLIER LE DÉTAIL
La visite, au Grand Palais, commence avec les aquarelles de Turner, les matins et les clairs de lune sur les lacs suisses, la lagune de Venise, les côtes d’Angleterre et ensuite la Tamise. Des années 1820 à 1850, Turner se détache du motif pittoresque pour étudier la lumière. Pour la capter, il multipliera les études sur papier et tiendra un journal des atmosphères et des climats. Nul besoin de longue transition pour rejoindre Monet qui, à la fin de l’année 1870, fuyant la guerre franco-prussienne s’installe à Londres et découvre le travail de Turner, notamment les toiles exposées à la National Gallery, appartenant au legs fait par le peintre à la nation britannique. Il visitera aussi l’atelier de James Whistler où il verra les “Nocturnes” de l’artiste d’origine américaine. En Angleterre, Monet peindra face au soleil, à son lever et à son coucher et il déterminera sa composition par deux repères: la ligne d’horizon et le cercle solaire. Sur les côtés, buissons, grues, navires ou palais font office de rideaux s’ouvrant sur la représentation céleste.
Quelquefois, un pont tend ses horizontales d’un bord à l’autre, augmentant la théâtralité de la composition. L’action, elle, est tout entière dans les gestes du peintre, hachures, moirures, nuances… Les œuvres de Turner et de Whistler auront donc eu ainsi une influence certaine, quoique difficile à définir précisément sur Monet; qui allait devenir le père de l’Impressionnisme, qui tient d’ailleurs son nom de cette fameuse toile “Impression, soleil levant”. Impressionnisme, nom donné, par raillerie, à ce nouveau mouvement pictural.
Devant ces œuvres on reste médusé, mais on songe aussi que manque ici Manet, grand peintre des vagues et de Venise.
S’il était là, l’histoire serait moins limpide, la trajectoire moins droite…

photo “Impression, soleil levant” - Claude Monet.

photo “Venise, vue de lagune au couchant” - William Turner.

WHISTLER, L’AVENTURIER DES CLAIRS DE LUNE
A cette manifestation, le rôle du trouble-fête revient à Whistler, invité surprise. Plus exactement à Whistler, graveur, distincte de Whistler peintre.
Baudelaire à propos de celui-ci écrivait: “Merveilleux fouillis d’agrès, de vergues et de cordages; chaos de brumes, de fourneaux et de fumées tire-bouchonnées; poésie profonde et compliquée d’une vaste capitale…”
Whistler, aventurier des lagunes au clair de lune, cherche le noir plus que noir et utilise le blanc pur. Souvent, il fait mouche.
Ses glacis ont la translucidité des aquarelles de Monet, maître de la dilution.
A travers les œuvres de Whistler on reste admiratif de ses longues touches horizontales de plusieurs gris glissant sur le fleuve et des nuées d’autres gris couvrant le ciel.
Réverbères et fanaux font office de ponctuation. Dans les années 1870, il poussera l’esthétique de la vaporisation des formes aussi loin que possible. Le “Nocturne en gros et en argent” est fait de deux bandes de vert jade, séparées par une bande en gris violacé. Il ne reste du monde que le sommet d’une tour… Whistler, excellent graveur avec cette œuvre “Black Lion Wharf” et “Billings gate” du pont de pierre de Waterloo et du pont de fer de Charing Cross. Les eaux-fortes sont des études cadrées comme au hasard d’un regard en promenade. Elles ne se veulent ni panoramiques ni complètes, mais justes.
Whistler met en œuvre une intelligence des lieux et de l’histoire plus attentive.
En exposant ces gravures, les auteurs de cette exposition suggèrent ainsi qu’une autre conception du paysagisme est possible aussi bien que celle que l’impressionnisme atmos-phérique et coloriste ont développée.
Du coup le détour devient plus intéressant.
En parlant de Monet, Derain disait: “Je l’adore… Mais je cherche autre chose: du fixe, de l’éternel, du complexe…”. C’était aussi l’idée de Whistler.

FAUT-IL PARLER DE CONFRONTATION ENTRE LES TROIS ARTISTES
Au sein de cette trinité d’artistes que de caractères affirmés! Dès lors, faut-il parler de confrontation…? Mais il n’y eut jamais de rivalité ou de jalousie entre ces créateurs. Monet savait déjà en venant en Grande-Bretagne qu’un autre chasseur de minutes fugitives campait sur les bords de la Tamise: Whistler. De son admiration pour Turner naquit aussi une amitié indéfectible. Jamais des pans entiers du trio mythique n’avaient été juxtaposés. C’est désormais chose faite! Après huit années d’efforts déployés par une équipe internationale de conservateurs et d’universitaires, cette très belle exposition est née. Ce que l’on savait théoriquement dans les termes les plus formels s’y trouve confirmé: les racines du mouvement impressionniste plongent aussi bien dans la glaise hexagonale que dans la craie britannique.
Turner, le peintre de l’air et ses deux fils, l’un français obsédé par la fugacité de l’instant et l’autre américain, défricheurs de nuits ont porté le mouvement impressionniste sur les fonts baptismaux.

Par Sonia NIGOLIAN

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