Ambassadeur du Yémen au LibanDr Mohamed Qubaty:
“Beyrouth et Nicosie rapprochent le monde arabe de l’Europe”
Par Jeanne MASSAAD

De la médecine à la diplomatie, une trajectoire riche où évolue, aisément, M. Mohamed Qubaty, nouvel ambassadeur du Yémen.
Trajectoire internationale nourrie de documentation, de recherches en médecine et en politique, allant des dernières innovations chirurgicales, jusqu’aux réformes politiques
et économiques.
Né dans une famille politicienne yéménite, le nouvel ambassadeur attache une importance capitale à la démocratie dans les pays arabes et au développement des relations arabo-européennes. Le Liban qu’il a connu tout jeune, lui semble l’endroit adéquat pour la réussite de sa mission.

photoRelations excellentes entre Beyrouth et Sanaa
Quelle est la nature des relations entre le Liban et le Yémen et comment évaluez-vous les échanges commerciaux entre les deux pays?
Les relations libano-yéménites sont excellentes; il y a juste quatre mois, une première visite effectuée au Yémen par le Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri, a été marquée par la signature de plusieurs accords et protocoles sur le plan du commerce, de l’économie, de la santé et de la culture. Nous œuvrons pour développer davantage ces relations entre nos deux pays, sur la base du respect et de l’intérêt mutuel.
A mon avis, ces échanges ne peuvent que promouvoir les liens, concrétisant ainsi l’entente, la complémentarité et la compréhension.
Cette vision réaliste suit la nature des développements survenus dans le monde d’aujourd’hui, si l’on prend en considération les échanges de coopération entre les pays du monde arabe qui demeurent malheureusement très faibles comparés à ceux des pays d’Europe ou d’autres continents.
Les opérations de “transit” au port de Beyrouth ont augmenté atteignant 102%. Y a-t-il une coopération avec le port d’Aden et ceux de la mer Rouge?
Dans le cadre des accords conclus visant à l’extension des relations lors de la visite de M. Hariri à Sanaa, la création d’une compagnie de navigation et de transports maritimes était envisagée entre le Yémen et le Liban; ce projet est en cours d’exécution. Aden, port du Yémen, revêt une importance stratégique capitale sur le plan mondial. Il connaît, cependant, un mouvement de navigation intense. Une relation historique lie le port de Beyrouth à ceux d’Aden, de Hodeida et d’Al-Mukalla sur la mer d’Arabie. Il est naturel que ces liens renforcent les échanges commerciaux bilatéraux.
Je suis heureux de voir évoluer le port de Beyrouth, avec cette proportion de 102%. C’est une preuve de sa vitalité récupérant, ainsi, son rôle à l’échelon international. Le port d’Aden et sa zone franche connaissent, également, une évolution rapide dont l’impact se traduit, positivement, sur nos échanges. Il est à signaler, qu’après le 11 septembre et les menaces sur les frontières, le transport des marchandises par voie routière connaissent une grande difficulté. Aussi, le port de Beyrouth, joue-t-il un grand rôle servant les intérêts commerciaux de certains pays; les marchandises à destination de la Syrie et de la Jordanie, en provenance du Yémen, peuvent facilement transiter par Beyrouth.

Monde arabe-Europe
Vous êtes ambassadeur accrédité, en même temps au Liban et à Chypre. Comment s’opère cette double mission entre Beyrouth et Nicosie?
Je viens de rentrer de Chypre où j’ai assisté à la cérémonie officielle organisée par le président de la République pour le corps diplomatique accrédité à Nicosie.
L’Europe est devenue très proche des pays arabes, à travers deux capitales Beyrouth et Nicosie, séparées de 180 km. Ceci peut donner un élan prometteur aux relations arabo-européennes. C’est une ouverture dont il faut profiter, le Liban étant la porte de l’Est à l’Ouest et Chypre, la porte de l’Ouest à l’Est.
Les Chypriotes ont toujours eu des relations historiques avec les pays arabes. Ils ont les mêmes us et coutumes sur beaucoup de plans, même celui de la cuisine ou de la gastronomie. Il faudrait sceller ces liens, en vue de promouvoir les relations arabo-européennes. Je crois, personnellement, que dans l’exercice de ma mission, celle de développer les relations libano-yéménites, d’une part et les relations chyprio-yéménites, d’autre part, les relations arabo-européennes connaîtront, également, une propulsion certaine.
Lors de votre visite à l’Ordre des journa-listes, vous avez parlé des possibilités d’investissement. Y a-t-il des projets mixtes et dans quel domaine?
Je pense que le Yémen doit profiter de l’expé-rience libanaise dans le domaine du tourisme. La zone franche et le port d’Aden offrent une grande opportunité de profits par le commerce du transit des marchandises vers les pays du continent africain, ainsi qu’à l’intérieur du Golfe.
Au niveau de l’infrastructure, une grande société libanaise de télécommunications a investi au Yémen pour gérer les opérations du cellulaire.
De grandes possibilités d’investissement s’offrent, également, sur le plan de la construction de ponts, de routes, de ports, etc… De même, un grand nombre d’îles vierges se trouvant sur la mer Rouge, l’océan Indien et la mer Arabe peuvent faire l’objet de grands projets touristiques rentables, l’exportation de poissons vers l’Europe étant considérable.
Il y a donc un avenir prometteur aux hommes d’affaires libanais pour investir au Yémen et aux hommes d’affaires yéménites, le Liban étant la région appropriée pour les capitaux étrangers dans maints domaines, surtout industriel.
J’aimerais mentionner que les produits agricoles yéménites sont très bon marché et peuvent facilement transiter ici ou vers la Syrie et la Jordanie. Comme évoqué précédemment, les négociations pour la création de la compagnie de navigation et de transports maritimes continuent. Je rencontre aujourd’hui même le Comité mixte formé par les hommes d’affaires libanais et yéménites pour étudier toutes les possibilités et les facilités de coopération dans le cadre de ce projet.

L’expérience libanaise
Dans une déclaration, vous avez fait l’éloge de la démocratie au Liban, en disant que le dialogue, l’entente, la cohabitation et l’acceptation de l’autre sont des valeurs libanaises qui doivent servir d’exemples à tous. Cette expérience existe-t-elle au Yémen entre le Nord et le Sud?
Sur le plan de la démocratie, nous avons franchi des pas géants au Yémen où depuis plus de quinze ans, l’entente et la cohabitation se renforcent de plus en plus. Nous vivons cette expé-rience de la démocratie basée sur la multiplicité des partis politiques et l’exercice du pouvoir par les élections. Au Liban, cette démocratie date de plus de soixante ans et nous sommes fiers de l’expérience libanaise qui fut exemplaire pour nous tous. Nous pensons que le regain ou la vivacité de la démocratie au Liban servirait d’un atout, d’un appui essentiel pour toutes les expériences de démocraties des pays arabes, car on est plus sensibilisé par l’influence des pays voisins que lointains. Beyrouth a toujours été le flambeau rayonnant de la liberté de la presse, de la transparence et du dialogue sur le double plan étatique et civil. Le Liban est sorti d’une atroce guerre civile qui a duré dix-sept ans, pour réaffirmer encore une fois son attachement au dialogue, à la cohabitation, à la coopération et au patriotisme. Un Liban pour tous. Toutes ces valeurs ont trouvé leurs vraies significations que nous jugeons illustres. Au Yémen, nous n’avons pas de telles difficultés, mais le fait d’œuvrer sans cesse pour consolider ces valeurs est toujours bénéfique.

Plus de risque d’attentats
Beaucoup considèrent le Yémen comme “un pays renfermé peu communicatif” éloignant le touriste qui cherche le repos et l’évasion. “Il faudrait s’aventurer pour aller au royaume de Saba”, a écrit une revue française. Qu’en pensez-vous?
Cette phrase parue dans une revue française date de bien longtemps. Durant les dix dernières années, le Yémen a beaucoup souffert du terro-risme. Bien des incidents graves: les kidnappings de touristes occidentaux, les bombardements du navire “USS Cole” et du pétrolier géant français “Limberg” ont eu des répercussions sur le secteur du tourisme et sur l’économie. Il faut avouer qu’en 1998, le tourisme a atteint 10% seulement.
Actuellement, nous avons pu surmonter tous ces obstacles; la sécurité et la paix règnent dans tout le pays et nous essayons de développer les possibilités d’investissement en attirant les capitaux étrangers. Nous œuvrons par tous nos moyens pour effacer cette fausse image par le biais médiatique.
M. Melhem Karam a qualifié les relations yéméno-libanaises d’exemplaires; y aurait-il une certaine appréhension d’une possible détérioration que causeront les extrémistes par des opérations terroristes?
Les relations sont effectivement exemplaires entre nos deux pays et j’ai la pleine confiance qu’elles resteront ainsi, non seulement avec le Liban, mais également avec les autres pays arabes. Il n’y a aucune crainte qui pointe à l’horizon, pouvant amener une détérioration. La coopération entre nos deux pays contre le terrorisme est très étroite et on attend, très prochainement, la visite du ministre yéménite de l’Intérieur au Liban, qui a invité son homologue libanais au Yémen.
Comment conçoit-on au Yémen, la solution du conflit israélo-palestinien et de la crise en Irak?
Le Comité supérieur des élections au Yémen sera l’une des commissions qui superviseront les élections en Irak. Nous souhaitons la participation de toutes les fractions irakiennes pour asseoir un pouvoir représentatif élu par le peuple irakien frère. C’est le seul moyen pour arriver à une vraie démocratie pouvant amener la paix, la stabilité et la sécurité, non seulement en Irak, mais dans toute la région.
Quant à la question palestinienne, nous sentons qu’une grande opportunité pointe avec l’élection de Abou Mazen. Il est demandé à l’Amérique et à l’Europe de contribuer, efficacement, à trouver les solutions justes et adéquates pour une paix équitable globale dans la région, afin que les Palestiniens puissent avoir un Etat souverain dont la capitale serait Jérusalem.
A quels problèmes requérant des solutions urgentes, votre gouvernement est-il confronté?
Du point de vue général, le Yémen a pu résoudre bien des dossiers épineux pendant les dix dernières années. Je cite la question finalisée de la frontière saoudite et un traité signé entre les deux pays en 2000; de même celle de la frontière ma-ritime avec l’Erythrée et Oman.
Le seul problème qui préoccupe les responsables est celui du développement; créer une atmosphère propice et de grands horizons pour l’investissement. Comment amener les capitaux étrangers au Yémen? C’est le grand défi du gouvernement. Le Yémen demeure un pays “jeune” et toutes les opportunités sont prometteuses dans maints domaines; nous œuvrons pour que ce défi de-vienne réalité.
Le Yémen participe-t-il, par quels moyens et dans quels domaines, à la lutte contre le terrorisme?
La position géographique et stratégique du Yémen, impose au gouvernement de grandes responsabilités sur le plan international et des mesures draconiennes, pour la sécurité de la na-vigation internationale dans cette région du globe. Presque la moitié du commerce mondial et de l’énergie mondiale transitent par “Bab El-Mandeb” (Porte des pleurs), détroit entre l’Arabie et l’Afrique qui réunit la mer Rouge au golfe d’Aden. Ce passage de la mer Rouge fait assumer au Yémen des responsabilités au niveau de la sécurité et de la stabilité.
Nous avons à ce sujet, une large coopération avec plusieurs pays et instances internationales, dont l’Amérique et l’Europe pour assurer la protection de cette zone. Nous avons des programmes de collaboration en commun pour la lutte contre le terrorisme dans cette partie du monde et, récemment, nous avons reçu des dons logistiques et matériels pour y renforcer la sécurité. Nous sentons, aussi, qu’on est à la hauteur de nos responsabilités pour asseoir la stabilité à travers la coopération internationale pour la lutte contre le terrorisme.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
C’est mon premier poste de diplomate. Trois mois après mon arrivée à Beyrouth, je fus surpris par ma nomination en tant que membre au sein du Conseil des secrétaires du Cercle culturel arabe. Une belle surprise qui me permettra de contribuer au domaine des recherches politiques et de poursuivre mes projets d’étude des différents aspects des relations arabo-européennes, à partir du Liban, ce pays grandiose et important.

Biographie

Etudes secondaires: Aden - Beyrouth - Londres.
Dr en Médecine - Chirurgie. King’s College - Université de Londres.
1975-1980: MB - BS Londres.
Diplômé LRCP Collège Royal Britannique.
1977-1979: secrétaire général - Amicale des étudiants en médecine à Londres.
1980-1982: président de l’Amicale des étudiants arabes en Médecine (Grande-Bretagne).
1982-1984: secrétaire du Club des diplomates yéménites.
1983-1984: conseiller à la présidence du Conseil - vice-ministre, Aden.
1986-1990: conférencier et professeur à l’Université de Londres.
1990: conseiller à titre de vice-ministre au parlement yéménite pour les affaires de santé.
1990-1995: membre du Comité politique supérieur et du parti populaire général du Yémen.
1995-2001: secrétaire du Comité politique supérieur et secrétaire général du parti.
2001: conseiller à titre de ministre à la présidence du parlement yéménite.
Novembre 2003: nommé ambassadeur au Liban et à Chypre.
A présenté ses lettres de créance le 21 décembre 2003.

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