Sensualité, érotisme
et controverse pour la sortie de “Lila dit ça” à Beyrouth
Par Nelly HÉLOU

Ziad Doueiri, scénariste et réalisateur libanais, qui s’était fait connaître sur la scène locale et internationale avec son premier film “West Beyrouth”, a réalisé un second long métrage, “Lila dit ça”, sorti hier jeudi 3 février, à Beyrouth, de même qu’il est projeté dans 52 salles en France depuis le 26 janvier et favorablement accueilli. Le film avait été sélectionné pour le “Festival de Sundance” créé par Robert Redford, depuis 24 ans. Grand-messe du cinéma indépendant, il s’est déroulé, récemment, à Park City dans l’Utah. Il a été aussi projeté dans d’autres festivals à Toronto et, à Carthage... Au mois d’octobre, le film avait été présenté, à la presse libanaise, suivi de deux séances dans le cadre du Festival du film du Moyen-Orient. Il avait affiché salle comble et reçu un très bon accueil.

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La quarantaine, tout en paraissant avoir au plus 25 ans avec ses cheveux longs, une allure décontractée, une spontanéité dans le dialogue et une approche simple, Ziad Doueiri appartient à la “génération de la guerre”. Il avait 12 ans quand les événements du Liban ont éclaté, le 13 avril 1975. Elève du Lycée français de Berjaoui; puis, de Abdel-Kader, sa famille habitant à l’Ouest de la capitale. Les déplacements d’un secteur à l’autre devenant difficiles, il quitte le pays en 1983 pour les Etats-Unis, afin de suivre des études universitaires dans le domaine cinématographique. Ses parents l’ont soutenu dans sa carrière. Sa mère, dit-il, “craque pour lui” et trouve que tout ce qu’il fait est excellent, tel le proverbe, ajoute-t-il avec humour, qui dit: “Le singe aux yeux de sa mère est une gazelle”.

photo Ziad Doueiri et Vahina Giocante.

photo Carmen Lebbos.

“J’ai fui la guerre”
“J’ai vécu huit années de la guerre du Liban, affirme-t-il, de 75 à 83, aussi bien que l’occupation israélienne et syrienne, les conflits internes et les harcèlements que subissaient les citoyens. A l’âge de 20 ans, j’ai quitté pour faire mes études universitaires, fuir la guerre et les vexations quotidiennes. Parti pour la Californie, je me suis inscrit à “Saint Diego State university”, pour étudier le cinéma. Puis, j’ai déménagé à Los Angeles pour travailler”.

photo Ziad Doueiri et Mohamed Khouas.

photo A l’avant-première de “Lila dit ça” à Lille.

Il passe par les différents stades de l’industrie du cinéma, travaillant comme électricien; puis, machiniste; ensuite, dans le décor, le montage, pour se spécialiser dans la caméra. Il sera assistant-opérateur et opérateur. “On m’a demandé, alors, d’être assistant caméra pour le film culte de Quentin Tarantino, “Réservoir Dogs” et pour d’autres films avec lui”.
Après ses multiples expériences, il décide de réaliser son premier long métrage “West Beyrouth” et rentre au Liban pour le tournage. Le film connaît un réel succès, est sélectionné à Cannes et reçoit de multiples prix dans de nombreux festivals internationaux et est vendu dans plus de 42 pays.

L’impact du 11 septembre
Stimulé par ce premier succès, Doueiri, toujours en collaboration avec Joelle Touma, sa co-scénariste, se lance dans l’écriture d’un second film à caractère politique, mais traite cette fois du conflit régional, sous le titre: “The man in the middle”. Il s’agit de la mission d’un négociateur chargé par la Maison-Blanche et le département d’Etat américain de trouver une solution au conflit israélo-palestinien avec, toutefois, pour consigne “de ne pas dialoguer directement avec les Palestiniens”. Mais ce médiateur outrepasse les directives et les paramètres qu’on lui avait imposés et parvient à établir le dialogue entre les protagonistes.
“J’avais contacté Bill Murray pour interpréter le rôle principal et on m’avait promis un financement. Mais il y a eu le 11 septembre avec ses multiples implications et j’ai dû renoncer au film provisoirement, faute de crédits. Les gens, y compris des juifs américains me disaient: nous aimons ton film, car il ne s’articule pas sur des slogans ou une langue de bois; il montre avec objectivité les deux parties en conflit, mais ce n’est pas le moment de le produire.
“Pourtant, ce scénario avait demandé à Joelle et moi-même plus de trois années de recherche, d’écriture et d’attente de financement. J’ai proposé le film à des Arabes super-riches, mais ils n’ont montré aucun intérêt, préférant mettre leur argent dans des vidéoclips ou la télé. D’ailleurs, j’ai une vision du monde arabe, surtout des pays du Golfe très médiocre et je n’ai pas peur de le dire”.

Un film d’amour
Ziad s’éloigne des problèmes de son environnement et choisit, alors, de réaliser un second long métrage d’un tout autre re-gistre: un film d’amour emprunt de sensua-lité mais sans vulgarité. Un film inspiré du livre du même nom: “Lila dit ça”.
“Joelle et moi-même avions beaucoup aimé le livre “Lila dit ça”, sorti en 1996, sous la signature d’un certain Chimo. D’ailleurs, on ne sait toujours pas si l’auteur est un grand écrivain français ayant choisi l’anonymat, ou s’il s’agit d’un jeune auteur de 19 ans, comme il le dit dans son livre. Joelle pense que l’auteur est une femme, car les mots de Lila ne peuvent pas venir d’un homme”.
“Lila dit ça” est une histoire d’amour entre une jeune fille à peine sortie de l’adolescence, blonde, belle et attirante d’origine slave, qui rencontre Chimo un jeune Arabe, beau lui aussi mais très réservé. Elle débarque dans sa vie lui racontant des histoires crues et osées et essaye ainsi de lui faire comprendre par son attitude et ses paroles, qu’elle l’aime sans parler directement d’amour. Chimo s’embarque finalement dans ce voyage dont il ne connaît pas le cheminement.
“La force du film, affirme son auteur, est dans la sensualité de Lila et dans ses paroles. Lila est une fille spéciale; elle a une imagination débordante et pense que son comportement et ses paroles sont en soi une déclaration d’amour. Si on enlève les mots érotiques qu’elle emploie, le film n’aura plus le même impact; il sera banal”.
Sera-t-il censuré à Beyrouth?
Comme vous l’aviez constaté lors de sa projection en avant-première, il n’avait pas été censuré! J’espère qu’il en sera ainsi quand il sera en salles. Car si on coupe certains dialogues ou séquences, le film n’a plus de sens. D’ailleurs, quoique sensuel, il n’est pas vulgaire. Il y a de l’érotisme, de la sensualité, mais pas de la vulgarité. Je refuse qu’on touche à mes films.
Par ailleurs, il sera sous-titré en arabe et je me demande comment certains termes osés seront traduits. Car les mots érotiques ou à connotation sexuelle dits en français ne sont pas vulgaires, alors qu’ils le sont en arabe. Il faudra trouver des astuces.
Le film sera-t-il distribué dans le monde arabe?
Oubiez cela!... Le monde arabe n’a même pas acheté “West Beyrouth”, arguant qu’il y avait des mots d’injures et des allusions à la religion. C’est malheureux et cela montre le niveau des pays arabes. Il y a là quelque chose de pathétique.
Dans le livre, l’histoire se déroule à Paris. Vous l’avez placée à Marseille, pourquoi?
Oui, nous avons changé de cadre, car je voulais un endroit qui me rappelle le Moyen-Orient et une atmosphère méditerranéenne à laquelle je suis plus familier. Les producteurs ont accepté.
Il y a aussi des messages politiques dans le film, dont celui de la confrontation des cultures?
En écrivant le scénario, nous avons cherché à actualiser le film, le placer dans le contexte de l’après 11 septembre et de ses implications. On ne peut plus occulter le problème du “clash” des civilisations. Lorsqu’on est originaire du Moyen-Orient, on est beaucoup plus sensible à ces questions et on baigne inconsciemment dans un climat politique. Le message socio-politique est donc présent dans le film à travers des allusions, des références subtiles, certaines images que le spectateur saisit très vite.

Quid des acteurs?
Le rôle de Lila est interprété par Vahina Giocante, jeune actrice qui s’était fait connaître à travers une dizaine de films. “Je l’avais vue dans “Marie Baie des Anges”, affirme Ziad, elle avait 14 ans et j’ai craqué pour elle. Lors du casting du film “Lila dit ça”, elle est venue dans nos bureaux par coïncidence, la productrice lui a proposé de lire le scénario et il lui a plu. On s’est retrouvé à Paris, place des Vosges et j’ai senti, tout de suite qu’elle était pour ce rôle. Durant le tournage, elle a eu un moment d’hésitation disant: j’ai peur de certaines phrases trop osées et je vais paraître vulgaire. Mais j’ai tenu bon refusant de changer les dialogues et elle m’a fait confiance”.
Ziad révèle que l’actrice est d’origine corse, non nordique et elle est brune. Il a fallu en faire une blonde pour le scénario.
L’acteur Mohamed Khouas, qui joue le rôle de Chimo, est Français d’origine algérienne, qui n’avait jamais fait du cinéma ou du théâtre auparavant. “J’ai trouvé qu’il avait un visage doux et une vulnérabilité naturelle corres-pondant au rôle, affirme le cinéaste. J’ai décidé de l’engager et on a travaillé ensemble. Cela nous a pris plus de temps et d’efforts mais le résultat est bon”.
L’actrice libanaise Carmen Lebbos, joue le rôle de la mère de Chimo. “C’est mon actrice-fétiche, lance Doueiri et j’ai un très bon rapport avec elle, en tant que personne et interprète. Elle travaille instinctivement, plus que de façon cérébrale. Elle sent le rôle et si elle s’attache à ceux qui jouent avec elle, elle donne le meilleur d’elle-même. Dans Lila, Chimo lui rappelait son fils, presque de même âge auquel elle est très attachée. Dans certaines séquences, elle était réellement émouvante et sur le plateau nous avions tous les larmes aux yeux”.
Ziad Doueiri me confie, enfin, qu’il écrit avec Joelle Touma le scénario de son quatrième film qui se déroulera à la fois au XVIème siècle et de nos jours avec pour cadre le Mexique et, pour thème, la foi, les croyances. Il espère, aussi, pouvoir réaliser son scénario “The man in the middle”.
N’hésitez pas à voir “Lila dit ça”; le film est attachant, bien joué, porteur de multiples messages et dégage, loin de la vulgarité, une sensualité où se mélangent la provocation et l’innocence.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3987 Du 5 Au 12 Fevrier 2005
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