Funérailles populaires à Rafic Hariri
“Unité! liberté! souveraineté!” scande une marée humaine survoltée

Hier, plus que jamais, Rafic Hariri demeurait un homme d’Etat, en fonction, pour tous les Libanais qui ont suivi indignés, consternés et révoltés, son ultime passage dans le centre-ville de Beyrouth, si cher à son cœur, où il repose, désormais, pour l’éternité.

Le centre-ville qu’il a reconstruit lui sert de sépulture
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Devant la mosquée Mohamed al-Amine
qu’il a édifiée sur la Place des Martyrs, une foule immense
s’est rassemblée pour lui rendre un ultime hommage.

Une marée humaine survoltée a suivi, en larmes le cortège funèbre de l’ancien Premier ministre libanais, tué “dans un attentat abominable et inqualifiable”, aux dires du président Jacques Chirac - réservant à l’illustre défunt, dont la renommée et l’action avaient dépassé nos frontières, des adieux émouvants.

photo La mise en terre des dépouilles mortelles.

photo Les représentants officiels de chefs d’Etat, ambassadeurs, diplomates
et autres personnalités des mondes politique, des affaires rassemblés sous la tente érigée devant la mosquée.

Des obsèques populaires en l’absence de tout officiel libanais, dont la présence a été refusée par la famille Hariri et l’imposant bloc parlementaire du président défunt, acceptant seulement “ceux qui se présenteraient à titre personnel”. Cependant, de nombreuses personnalités étrangères sont venues rendre un dernier hommage à un homme ayant œuvré pour faire recouvrer par le Liban, son rôle pionnier dans le monde, libre et souverain. A leur tête, le président français Jacques Chirac et son épouse, amis personnels des Hariri.

photo Les cheikhs druzes ont participé en grand nombre dans le cortège funèbre.

photo Les dignités religieuses chrétiennes sur place le jour des funérailles.

Un espoir que les Libanais voyaient poindre depuis un certain temps qui disparaît brutalement, lundi, à l’annonce de la terrible nouvelle. Les membres de l’opposition plurielle, désormais unie, étaient tous là, effondrés, mais plus déterminés que jamais à poursuivre et à réaliser le rêve évanoui. Il est huit heures du matin, mercredi, quand les dépouilles mortelles de l’ancien Premier ministre et de ses compagnons: Yahia el-Arab (Abou-Tarek), Talal Nasser, Mohamed Darwiche, Mohamed Ghalayini, Ziad Tarraf, Omar Masri et Mazen Zahabi sont transportées de l’hôpital américain de Beyrouth à la résidence de Rafic Hariri à Koraytem. Déjà, sur les deux côtés de la route, les gens forment une allée dense sur le passage du cortège. Ils sont venus de tout le Liban: de Saïda, de Tyr, du Chouf, de Tripoli, de la Békaa et de Beyrouth, des centaines de milliers de tous bords et toutes communautés religieuses confondues, rendre hommage à celui qui, dans sa mort, plus que peut-être de son vivant, a unifié les Libanais.
Les cercueils enveloppés du drapeau libanais, font leur entrée à Koraytem, acclamés par la foule en pleurs et une émotion intense étreint les cœurs, lorsque la famille Hariri éplorée, fait ses ultimes adieux à la dépouille du chef, au milieu des partisans et des amis. A neuf heures trente, les cercueils portés à bout de bras, sont déposés dans les ambulances; Mme Bahia Hariri, monte dans l’une d’elles, aux côtés de la dépouille de son frère. Sa veuve, Nazek, suit avec l’ancien ministre Marwan Hamadé dans sa voiture. Derrière les véhicules, les personnalités suivent à pied: cheikh Mohamed Rachid Kabbani, mufti de la République; les fils de Rafic Hariri: Baha’, Saad, Ayman et Fahed; son frère Chafic; Walid Joumblatt, chef du PSP; Fouad Sanioura, ancien ministre des Finances; Nabih Berri, Abdel-Halim Khaddam et de nombreux députés...

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MM. Baha’ Hariri, Abdel-Halim Khaddam et Nabih Berri.
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MM. William Burns et Jeffrey Feltman.
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M. Miguel Angel Moratinos.

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M. Sleimane Frangié, ministre de l’Intérieur et MM. Saadeddine et Baha’ Hariri.
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Le Cardinal-patriarche Sfeir et Mgr Boulos Matar.
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Le prince Saoud al-Fayçal, ministre des A.E. saoudien.

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Le prince Al-Walid Ben Talal.
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Les représentants du roi Mohamed VI du Maroc.
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MM. Amr Moussa, Jeffrey Feltman, William Burns et le président Amine Gemayel.

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M. Melhem Karam,
président de l’ordre des journalistes.

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M. Lakhdar el-Ibrahimi
et Mme Nayla Moawad

photoMgr Luigi Gatti, nonce apostolique et les fils de M. Rafic Hariri.

photoMM. Nabih Berri et Walid Joumblatt.

Cinq kilomètres séparent Koraytem de la mosquée Mohamed Al-Amine, que le cortège a du mal à franchir sur lequel les citoyens font pleuvoir une pluie de riz et d’eau de rose.

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Mercredi soir, la tombe du président Hariri et celles de ses compagnons
sont jonchées de fleurs et centaines de bougies ont été illuminées
par les visiteurs qui ne cessaient d’affluer.

Armée et police sont là en grand nombre, mais se font discrets. La foule crie son allégeance à Bahaa Hariri; puis, lance des “Allah w Akbar” empreints de colère. Elle scande des slogans anti-syriens, avant de réciter la “Fatiha”, en agitant des portraits du Premier ministre souriant, plus vrais que nature. Chrétiens, druzes, musulmans, partisans ou indépendants, ils sont tous venus dans un élan sincère. D’ailleurs, dans le ciel bleu de Beyrouth se mêlent le glas des églises et la prière des morts des muezzins de manière toute naturelle. Tout confessionnalisme est effacé; le Liban est un, tout à coup.
De Gemmayzé, Pierre Gemayel, député du Metn mène une délégation Kataëb jusqu’à la Place des Martyrs. Rassemblés devant l’immeuble de la SNA et venant de la rue Monnot, des jeunes brandissent des drapeaux FL et aounistes. Les druzes, la tête ceinte de leur coiffe blanche, ont afflué de la montagne portant les drapeaux du PSP.
Le Liban est là, la foule est si dense, qu’on menace d’étouffer la Place des Martyrs. Le cercueil de Rafic Hariri est porté par ses fils et des proches qui manquent de tomber à chaque pas, tant la foule excitée, se rue sur le cercueil pour l’embrasser. Baha’ tombe, se relève et prie la foule de s’éloigner.
Dans un réel tsunami, la foule renverse tous les garde-fous, si l’on peut dire, qui entourent la mosquée et envahit les lieux: Rafic Hariri lui appartient, autant qu’à sa famille: “C’est lui le bienfaiteur, le père des pauvres”, crie-t-elle en larmes. Le corps de Rafic Hariri est retiré du cercueil et mis en terre par ses fils dans une fosse derrière la mosquée à côté de sept autres où reposent les corps de ses compagnons. Ils sont recouverts de cette terre beyrouthine que Rafic Hariri a tant aimée et qui le lui a si bien rendu.
Hier, elle l’accueillait dans ses entrailles: “l’homme aux semelles d’or” qui venait de redorer son blason.

Le président Chirac soutient
la famille Hariri... et le Liban

Pourquoi faut-il que ce soit toujours la France qui se tienne à nos côtés dans nos malheurs? Peut-être tel est notre destin de Libanais et de Français liés par des relations ancestrales, séculaires jamais démenties.

photo Le président et Mme Jacques Chirac réconfortant Mme Nazek Hariri.

photo Mme Nazek Hariri pleurant
sur la tombe de son époux,
entourée de M. et Mme Chirac.

Dans un élan d’amitié sincère, le président de la République française, M. Jacques Chirac et son épouse Bernadette, ont atterri mercredi après-midi à l’AIB, venus présenter leurs condoléances à la famille “de mon ami Rafic Hariri et exprimer à l’ensemble du peuple libanais combien, plus que jamais, je me sens solidaire aujourd’hui de sa peine et son destin”, a dit ému, M. Chirac. Dès sa descente d’avion, il a demandé “que toute la lumière soit faite” sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre “victime d’un acte abominable et inqualifiable. Sa disparition est une grande perte pour le Liban et le monde d’aujourd’hui”. Il a été accueilli sur le tarmac par Ayman, le fils du défunt; M. Moustapha Moustapha, chef du protocole au ministère des A.E. et par M. Bernard Emié, ambassadeur de France au Liban. Visiblement très triste, M. Chirac a longuement serré Ayman Hariri dans ses bras avant de déclarer: “Je suis venu à Beyrouth pour rendre un dernier hommage à un homme qui était mon ami et était également un grand démocrate, un homme d’Etat, un homme de dialogue et de paix. Rafic Hariri était porteur d’un idéal de démocratie pour le Liban, d’un idéal de souveraineté, d’indépendance et de liberté pour ce pays auquel tout l’attachait avec passion et j’en porte le témoignage”, a dit le chef de l’Etat français qui devait, aussitôt, gagner avec son épouse, la résidence du défunt à Koraytem.
Très ému, le couple présidentiel y a été reçu par Mme Nazek Hariri et ses fils très touchés “de cette marque d’amitié que nous n’oublierons jamais”, devait dire Saad Hariri à la presse. “M. Chirac, a-t-il ajouté, connaît le sens de l’amitié. Il nous considère comme ses fils. Nous le considérons comme un grand frère, un autre père. Il est venu pour dire au revoir à mon père tué brutalement dans un attentat contre la liberté et la démocratie. Il est venu et cela suffit. Il n’a besoin de rien dire et je ne sais pas comment le remercier. Nous ne l’oublierons jamais”.
Après plusieurs heures à Koraytem, le couple présidentiel français devait se recueillir en soirée sur la tombe de l’ancien Premier ministre en compagnie de sa veuve Nazek, serrant sur son cœur la photo de son défunt époux. La foule amassée sur les lieux a salué l’ultime révérence des Chirac devant la tombe fleurie et illuminée en scandant des slogans en faveur du Liban et de la France.

N. EL-K. N.
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 3989 Du 19 Au 26 Fevrier 2005
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