May Chidiac survit à ses blessures
On a tenté de brimer l’audace du verbe par l’effronterie du crime

Parce qu’il est interdit de rêver d’un avenir meilleur; parce qu’il convient de lacérer le visage culturel du Liban; parce qu’il faut taire les voix qui parlent de liberté, de souveraineté et d’indépendance; mais, aussi, parce qu’on est lâche, faible et, désormais, le dos au mur, qu’on s’acharne contre les innocents et attaque de la façon la plus ignoble, des journalistes, des hommes et femmes d’esprit.

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Après Samir Kassir, May Chidiac vient de payer le lourd tribut de son engagement sincère pour son pays et son peuple. Une haute trahison pour les ennemis de ce pays et une gifle magistrale que cet attachement à la cause vitale du Liban, sa liberté et sa souveraineté. Mais si May n’y a heureusement pas laissé la vie, elle y a laissé deux membres, son avant-bras et sa jambe gauches.

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Les soirées de prière et de solidarité envers notre
consœur de la LBCI se sont succédé l’une après l’autre.

Car May Chidiac, la battante doucement déterminée, saura utiliser sa seule main droite - celle que les criminels auraient voulu couper - pour écrire et dénoncer. Elle n’aura pas besoin de sa jambe gauche, pour penser, dire et refuser. Elle reviendra à ses fans, à ses élèves et aux téléspectateurs plus forte, aguerrie par la souffrance auréolée de la gloire des héros. Elle reviendra martyr-vivant et témoin d’un Liban qu’on aurait voulu occupé et mutilé, d’un au-delà qu’elle aura juste eu le temps d’apercevoir pour mieux évaluer et comprendre sa force et son rôle. Elle reviendra avec son sourire chaleureux, sa passion de vivre et d’aimer dans un Liban nouveau, renaissant et libre.

M.Le président Lahoud à l'Hôtel-Dieu

photo L’un des premiers à condamner l’attentat, le président de la République, le général Emile Lahoud, y a vu une tentative visant une journaliste libanaise d’envergure qui s’est distinguée par sa présence, son objectivité et ses vastes connaissances. Le chef de l’Etat a estimé que ce crime vient s’ajouter aux précédents, exécutés de la même manière, ce qui confirme qu’il s’a-git de la même main, du même but et que les comploteurs sont ceux-là mêmes qui visent le Liban. Il a souhaité à May Chidiac un prompt rétablissement, assurant que de tels procédés n’entraveront en rien la liberté du verbe qui fut et restera une spécificité du Liban et une source de fierté constante, ni ne terrifieront la liberté
d’information. M. Lahoud s’était rendu au chevet de la journaliste dès son arrivée à l’Hôtel-Dieu de France, accompa-gné de son épouse. Il a rencontré MM. Fouad Sanioura, Premier ministre et Hassan Sabeh, ministre de l’Intérieur, avec lesquels il s’est entretenu des dernières mesures prises pour la poursuite de l’enquête. Puis, il s’est enquis auprès des médecins de l’état de Mme Chidiac et a suivi de près le déroulement des chirurgies, notamment celle de sa main.

LA MAIN CRIMINELLE A FRAPPE
La main criminelle a frappé dimanche une main généreuse, une tête bien faite, un cœur et un corps palpitant au rythme du pays. May Chidiac, présentatrice-vedette de la LBCI, est grièvement blessée lorsqu’une charge de 500 grammes de TNT, placée sous sa voiture, une New Range Rover, explose au moment même où elle met le moteur en marche.

photo La Range Rover déchiquetée
par la terrible explosion.

photo May Chidiac transportée par les secouristes de la CRL.

La voiture roule de quelques mètres avant de cogner un mur. May est toujours consciente et appelle au secours quand ses cheveux et ses habits prennent feu. Un homme qui passait par là entend ses cris... et la sauve. Elle venait de rentrer d’un pèlerinage à Annaya: Saint-Charbel lui aura gardé la vie sauve. Elle est transportée à l’hôpital Notre-Dame du Liban à Jounieh; puis, transférée en soirée à l’Hôtel-Dieu de France sous l’escorte du Premier ministre Fouad Sanioura. Là, elle subira jusqu’à 3 heures du matin, une série d’opérations chirurgicales, dont l’amputation de son avant-bras gauche. Très vite dans un élan spontané, des personnalités, dont le président de la République et des citoyens accourent à l’hôpital pour prendre de ses nouvelles. Munis de bougies, ils organisent une veillée de prière, chacun dans sa religion, demandant à Dieu de sauver la vie de May.
Les Hariri dépêchent au chevet de la journaliste, le Dr Hani Kanaan, médecin personnel de la famille et le professeur Patrick Keffler, spécialiste en chirurgie des membres et mettent un avion privé à la disposition de M. Pierre Daher, P-DG de la LBCI, qui le ramène avec l’équipe médicale, de Paris à Beyrouth. De même, le prince Al-Walid Ben Talal offre son jet privé pour transporter May Chidiac à l’étranger.

photoM. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes , vice-président de la Fédération des journalistes arabes, a dénoncé cet attentat
perpétré contre May Chidiac, journaliste émérite qui a secoué
le corps de la Presse. “Nous ferons face, dit-il, au crime et au terrorisme
à l’encontre du verbe. Ce qui s’est passé porte atteinte à la liberté
d’expression et la Presse mondiale a condamné cet acte. La FJA
et la Fédération internationale des journalistes ont été profondément touchées par cet attentat contre May Chidiac, qui porte atteinte à l’Information Libanaise dont la LBCI est l’une des institutions importantes”.
Et de conclure: “Avec la tenue d’une réunion ouverte au sein de l’Ordre des journalistes, nous appelons nos confrères à une prise de position face à ce drame.”

MUTISME OFFICIEL
Au milieu de la vague de dénonciations cinglantes et d’accusations fusant de tous bords et pointant, notamment, le doigt du côté de la Syrie, on relevait l’atroce impuissance des services de sécurité à donner, ne serait-ce qu’un maigre indice, sur les quatorze attentats perpétrés, impunément, depuis bientôt un an.
Si pour certains, le gouvernement est mis en cause, le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabeh “se devant de révéler la vérité aux citoyens ou de démissionner”, comme l’a dit M. Ibrahim Kanaan, député aouniste; pour d’autres, tels M. Walid Joumblatt, c’est le retard dans les nominations à la tête des services de sécurité qui serait à l’origine du chaos. Tentant de combler les lacunes, M. Fouad Sanioura a annoncé la tenue d’un conseil central de sécurité intérieure qui s’est avéré, hélas! stérile voire désolant, à entendre les déclarations de M. Sabeh, qui s’est dit “confronté à des fantômes qui s’évanouissent après chaque attentat”. Un terrible aveu d’impuissance de nature à glacer d’effroi les Libanais, à qui il est demandé, de plus, de s’ériger en gardiens du pays, voire en enquêteurs.

photo Les enquêteurs libanais sur place... “comme d’habitude”.

photo Les hommes du FBI à l’œuvre.

Côté enquêteurs, d’ailleurs, M. Sanioura a fait appel à une équipe américaine d’investigation relevant du FBI, qui est arrivée mardi à Beyrouth pour participer à l’enquête, sur la tentative d’assassinat de la journaliste “sous supervision locale”, a dit Jeffrey Feltman soulignant qu’il est temps que le monde aide le Liban à mettre un terme à l’insécurité”. De même, des milieux proches du Premier ministre laissaient entendre que celui-ci projetait de demander une aide technique et logistique à la France pour épauler les forces de l’ordre locales. Ce à quoi M. Jean-Baptiste Mattéi, porte-parole aux A.E. n’a pas tardé à répondre que “Paris examinera de manière positive la demande d’aide logistique du Liban”...
“Nous sommes disposés à répondre à leurs attentes dès qu’elles auront clairement exprimé leurs besoins” a-t-il dit faisant allusion aux autorités libanaise.

photoM. Jeffrey Feltman, ambassadeur des Etats-Unis, a exprimé la profondeur du choc ressenti aux Etats-Unis suite à l’attentat violent qui a visé May Chidiac. “Nous avons été traumatisés par le degré de violence de cet acte et souhaitons à Mme Chidiac un rétablissement rapide. Nous sommes convaincus que les Libanais ne permettront pas à ces attentats de les dissuader de poursuivre leur marche vers la démocratie et le développement de la liberté”. Le diplomate a estimé que May Chidiac n’est pas une cible en elle-même. “C’est une figure publique au Liban et à l’extérieur,
le symbole de la liberté de presse et du dialogue. Ceux qui ont commis cette agression sont les ennemis du Liban”, a-t-il conclu avant de se rendre à l’Hôtel-Dieu.

LES ETUDIANTS SE MOBILISENT...
Au lendemain de l’attentat, les mouvements estudiantins des différents courants politiques de l’ex-opposition ont organisé des sit-in dans les universités, pour dénoncer la barbarie de l’acte criminel qui a failli coûter la vie à notre consœur de la LBCI.
Lundi soir, à 18 heures, un sit-in était organisé place des Martyrs. Emouvant, merveilleux, fut cet élan qui a fait sonner les cloches des églises, au moment même où s’élevait la prière du muezzin dans le ciel de Beyrouth, à l’intention de May Chidiac et de son rétablissement. Cruels, ses portraits souriant à la vie, coquette à souhait et pleine d’espoir, vêtue de rose, comme le jour de l’attentat. Sur les lèvres, une seule question, celle que May posera péniblement elle-même à sa mère dès son réveil sur son lit d’hôpital: “Pourquoi moi? Qu’ai-je fait?”
Ses collègues sont tous là, effondrés. Ils ne veulent pas penser à la réaction de May quand elle sera sortie de sa torpeur anesthésique, elle qui tenait tellement à son image, à ses mains soignées et à son look.

photo MM. Ghazi Aridi, Mohamed Baalbaki et Melhem Karam au cours du sit-in à la LBCI, jeudi.

photo M. Abdel-Hadi Mahfouz dénonçant l’attentat.

Sur le monument de la Place des Martyrs, une douloureuse banderole et un dessin qui raconte May Chidiac, son combat et sa carrière, le poignet sanglant avec ces mots: “Sans commentaire”. La classe politique est là pour exprimer sa solidarité. Une minute de silence est observée pour saluer le courage de la journaliste. Puis, Daniel Spiro, responsable de l’organisation estudiantine des FL, prend la parole pour crier: “Nous ne cèderons pas au désespoir”. Il rend hommage à May Chidiac, à son professionnalisme, à son courage et à sa franchise. Le “Koullouna lil Watan” sort des gorges émues suivi de prières, chacun selon sa foi... avant que collègues et politiciens s’adressent chacun à son tour, à May Chidiac...

photoM. Bernard Emié, ambassadeur de France, a réexprimé “la très ferme condamnation de l’attentat odieux qui a gravement blessé la journa-liste May Chidiac. Nous formulons des vœux pour qu’elle se rétablisse rapidement. Et nous lui transmettons, comme à sa famille, à tous ses confrères de la presse libanaise, symbole de la liberté d’expression dans cette région du monde, notre sympathie et notre solidarité dans cette terrible épreuve. Après l’assassinat de Samir Kassir, il s’agit d’une nouvelle atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d’expression auxquelles nous sommes en France comme au Liban très profondément attachés.
“Nous nous tenons aux côtés des autorités libanaises pour que toute la vérité soit établie sur cet acte terroriste. Et de manière plus générale, nous sommes disposés à répondre à toute demande d’assistance du Liban dans le domaine de la sécurité. Nous appelons, une fois de plus, toutes les parties à préserver la stabilité de ce pays...”. Le diplomate français s’est, ensuite, rendu au chevet de May Chidiac.

CAMPAGNE “KAFA!”! ET SIT-IN DE SOLIDARITE A LA LBC
Mercredi à 17 heures, les mouvements estudiantins conviaient à une conférence de presse pour lancer la campagne “Kafa!” (Assez), une mobilisation contre l’instabilité qui prévaut et contre les actes terroristes, “ayant pour but de faire front commun contre les services liés aux services syriens”, a expliqué l’un des étudiants.
Un premier rassemblement était prévu jeudi à 18 heures, place des Martyrs. Ont participé à ce vaste mouvement: le CPL, les FL, le Courant du Futur, le PNL, le “Hezbollah”, le mouvement “Amal”, le Bloc national, la gauche démocratique, le PSP, les Kataëb, le Renouveau démocratique et le Parti communiste.
Par ailleurs, le Conseil national de l’audiovisuel présidé par M. Abdel-Hadi Mahfouz, a tenu une réunion mardi en présence du ministre de tutelle, Ghazi el-Aridi, à l’issue de laquelle une journée de solidarité avec May Chidiac et avec la LBC, a été fixée au jeudi 29 septembre, au siège de la LBC.

photoM. Pierre Daher, P-DG de la LBC, a opté pour le défi, affirmant: “La LBC n’est pas effrayée par ce genre d’actes. May Chidiac est visée, la LBC et le Liban le sont aussi; il s’agit d’un acte terroriste ayant pour but d’effrayer les gens et de les mettre dans la case des victimes ayant peur du bourreau. Nous allons répondre à cet acte terroriste et c’est nous qui allons, désormais, faire peur à ceux qui l’ont perpétré, afin qu’ils deviennent eux-mêmes les victimes”, déclarant avec emportement: “Que celui qui est incapable d’agir s’occupe d’autre chose, car les gens n’en peuvent plus d’attendre”.

L’ETAT DE SANTE DE MAY CHIDIAC
A l’heure de mettre sous-presse, la journaliste-martyre sortait, progressivement, de l’anesthésie, alors que son état général s’améliorait. Ses fonctions vitales demeuraient normales et régulières et elle répondait, positivement, au traitement. Le communiqué médical de l’Hôtel-Dieu de France, indiquait encore que “son transfert à l’étranger n’était pas nécessaire”.
Des messes ont été célébrées à son intention un peu partout, notamment à la NDU où enseigne May Chidiac; en l’église Saint-Elie à Antélias à laquelle ont participé ses collègues de la promotion 84 de l’UL, faculté de journalisme section II et des sit-in de protestation ont été observés à Tripoli, Nabatieh, Baalbeck...
Chère May, il est des regards plus perçants que leur acier, des sourires plus bouleversants que leurs bombes, une volonté de vivre et d’aimer plus forte que leur volonté de mort et de haine. C’est cela être May Chidiac. Surmonte ta douleur et reviens-nous aussi rayonnante qu’avant. Ce qui nous importe, c’est ta tête, ton cœur et ton verbe. Tes bourreaux, tue-les par ta force et ta présence. Les Libanais t’aiment, tu leur manques. Leurs matins ne sont pas heureux sans toi!

Réactions indignées
L’attentat odieux qui a failli coûter la vie à May Chidiac, a suscité dégoût, horreur et provoqué une vague de réactions indignées et de condamnations dans tous les milieux.

  • M. Fouad Sanioura, Premier ministre a exprimé sa consternation en ces termes: “Le Liban paie le prix de son indépendance, promettant avec détermination de tout faire pour que les coupables soient identifiés et châtiés”.
  • M. Ghazi Aridy, ministre de l’Information: “Je me sens personnellement visé. May est une des plus importantes journalistes au Liban”.
  • M. Boutros Harb, député: “May représente l’image des médias libres”.
  • M. Nagib Mikati, ancien Premier ministre, a condamné “une tentative, vouée à l’échec, de faire taire la liberté d’expression... Les condamnations ne suffisent plus”. Il a estimé que le gouvernement doit se décider à trancher et à pourvoir aux postes sécuritaires vacants, qu’il juge les plus dignes de les prendre en charge, indépendamment de tout clientélisme ou de calculs étroits.
  • M. Saad Hariri, président du “Courant du Futur”, a condamné l’attentat jugeant que “Mme Chidiac et la LBC sont l’un des piliers de la démocratie, de la liberté de pensée et d’expression”.
  • Le PNL a rappelé que “la sécurité préventive reste l’objectif principal et le plus efficace pour empêcher la déstabilisation du pays”.
  • Le “Hezbollah” a accusé “les instruments de la mort et de discorde manipulés, par les services de renseignements hostiles dont les objectifs diaboliques sont connus de tous.”
  • Le président Amine Gemayel a condamné l’attentat depuis les Etats-Unis.
  • M. Samir Geagea, chef des F.L., a affirmé dans un appel de l’étranger, que “ces attentats marquent la fin et non le début d’une époque”. Il a pressé les ministres de l’Intérieur et de la Défense “d’accorder une priorité absolue à l’identification des auteurs des attentats”.
  • Par ailleurs, le général Michel Aoun, MM. Salim Hoss, Walid Joumblatt, Farès Bouez et Abbas Hachem ont condamné l’attentat, critiquant le gouvernement et estimant “urgent” de pourvoir aux postes de respon-sabilité à la Sûreté générale, à la Sécurité de l’Etat, aux FSI et aux autres postes sécuritaires.
  • M. Michel Eddé, président de la Ligue maronite, a condamné l’attentat à partir de Paris, estimant qu’il va au-delà d’une guerre contre les médias et montre (...) “qu’il s’agit d’une guerre programmée livrée au Liban tout entier visant à l’implosion du pays dans le but de le rayer de la carte et de le désintégrer...”
  • L’organisation de défense de la liberté de presse “Reporters sans frontières” (RSF) s’est dite “profondément choquée par cet acte de barbarie qui montre le climat d’insécurité dans lequel travaillent les journalistes libanais”.
  • “La Revue du Liban” durement secouée par la nouvelle présente à notre consœur May Chidiac, ses vœux de prompt rétablissement.
    Enfin, tout le Liban est accouru au chevet de May Chidiac, politique, religieux, culturel... la liste des personnalités est longue, très longue, qui ont condamné cet attentat et exprimé leur sympathie et leur soutien à May Chidiac.
Nicole EL-KAREH-NAÏM
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4021 Du 1 Au 8 Octobre 2005
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