L’inoubliable esprit de Sacha Guitry

Si le mot esprit rime avec Guitry et humour avec toujours, comment oublier que Sacha Guitry fut l’un des hommes les plus spirituels de tous les temps? C’est avec la même délectation que nous continuons à savourer ses traits d’es-prit. En voici quelques-uns glanés dans son œuvre et sa vie.

photo Sacha Guitry, prince de l’humour.

photo Les jours heureux avec Yvonne Printemps.

Fils du comédien Lucien Guitry, Sacha Guitry naquit le 21 février 1885 à Saint-Pétersbourg où le tsar avait engagé la compagnie théâtrale dont faisaient partie son père et sa mère, Renée de Pont-Jest, également actrice. Nommé Alexandre-Pierre, il gardera le diminutif de Sacha que lui avait donné sa nourrice russe. Il changera neuf collèges à cause des déplacements de ses pa-rents dans différentes villes. D’ailleurs, déjà passionné de théâtre, il détestait l’école. Le seul prix qu’il recevra durant ses années scolaires, sera celui de gymnastique. Pour le recevoir, il descendit l’escalier sur la tête et dira, en s’écroulant aux pieds de l’assistance: “Voilà un prix que j’ai vraiment mérité!”.

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Avec Jacqueline Delubac.

En 1905, Sacha Guitry présentait “Nono”, sa première pièce. Pourtant, il n’a que vingt ans, mais dès lors sa carrière va démarrer à une cadence vertigineuse, avec non moins de cent trente pièces. On continue, d’ailleurs, à présenter plusieurs d’entre elles, comme “Désiré”, “La Jalousie” et “Mon père avait raison”. Guitry réalisera avec le même bonheur, des films cultes tels “Le roman d’un tricheur” et “Si Versailles m’était conté”. Il en était à la fois le metteur en scène et l’acteur principal. Ayant interprété tour à tour François 1er, Molière et Louis XV, son seul regret était de n’avoir pu jouer le rôle de Napoléon Bonaparte, à cause de la petite taille de l’empereur. Toujours est-il que le film “Napoléon” à peine mis en chantier, sera acheté par plusieurs pays.
Des mots d’esprit, il en fera jusqu’à sa mort survenue en 1957. Certes, il lui arriva, parfois, de manquer d’argent à ses débuts, mais il disait avec une grande assurance et beaucoup d’optimisme: “Je préfère dépenser pendant que je suis jeune, l’argent que je gagnerai quand je serai vieux...”. Il disait encore: “La vie quotidienne est un peu comme un bal masqué”. Dansant avec une jeune femme jolie mais sotte, celle-ci lui glissa à l’oreille: “Ah! maître, imaginez que nous faisions un enfant ensemble, il aura ma beauté et votre intelligence...”. Avec un fin sourire, Guitry répondra: “Ah! madame, imaginez que cela soit le contraire...”. Une autre fois, se trouvant chez son coiffeur qui lui demandait: “Comment je vous coupe les cheveux?”, l’humoriste sachant que celui-ci était très bavard, lui rétorqua: “En silence!”
Avec sa célébrité, Guitry devait rencontrer beaucoup de raseurs. Citons, à ce propos, deux anecdotes montrant à merveille son sens de l’humour. Ayant reçu chez lui un homme pour traiter une affaire, l’écrivain lui présenta une boîte de cigares. D’un rare sans-gêne, l’homme n’hésita pas à se servir copieusement, en mettant dix cigares dans sa poche, prétextant que c’était pour la route. Guitry lui lancera alors: “Merci d’être venu de si loin!”. Une autre fois, un raseur étant parvenu à entrer dans la loge du comédien pendant un entracte, devait lui arracher la promesse de venir déjeuner avec lui. Tournant le dos à la porte et croyant que le raseur était sorti, Guitry dira à son secrétaire: “Vous allez écrire à ce crampon qu’il m’est impossible de déjeuner avec lui...”. Mais s’apercevant, aussitôt, que ledit crampon était encore là, l’écrivain enchaîna avec une admirable présence d’esprit: “Parce que je déjeune avec Monsieur”.
“Je ne suis pas contre les femmes, mais tout contre”, proclamait Guitry. Marié cinq fois, ses épouses seront successivement: Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève de Séréville et Lana Marconi. Laquelle aimera-t-il le plus? Il ne le dira jamais, mais toutes lui inspirèrent ses meilleurs mots sur l’amour. Citons notamment ceux-ci:
“Elle se donnait à moi et c’est elle qui m’a eu”.
“Les femmes sont faites pour être mariées et les hommes pour être célibataires, de là vient tout le mal”.
“On les a dans les bras; puis, un jour, sur les bras et bientôt, sur le dos”.
“Il y a un an quand nous passions la soirée ensemble, nous la passions seuls tous les deux. Maintenant, quand il nous arrive de passer la soirée ensemble, nous la passons seuls... l’un et l’autre”.
“Je n’aurais jamais épousé la fille de Molière ou celle de Fragonard, car je ne me serais pas reconnu le droit de faire de petits-fils à des hommes pareils”.
“De tout ce que fut cet amour, il ne restait que des baisers, des baisers très longs, des baisers très courts; puis, des mots, le mot ‘toujours’, le mot ‘adieu’”.

GLADYS CHAMI
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4035 Du 7 Au 14 Janvier 2006
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