Le bulletin de santé d’Ariel Sharon
signale une légère amélioration…
… Et son équipe soignante le dit “hors de danger”
Par Nelly HÉLOU

Depuis dix jours, l’état de santé d’Ariel Sharon et les implications de sa disparition (presque certaine) de la vie politique, sont au premier plan de l’actualité en Israël, occupant une place prioritaire dans les déclarations et commentaires à l’échelle internationale. Celui qu’on surnommait le “bulldozer”, avait réussi au cours de ces dernières années, à dominer quasi totalement la scène politique israélienne. D’où le sentiment de vide ressenti à l’annonce de la gravité de son état, suite à la deuxième hémorragie cérébrale qui l’a frappé en moins de trois semaines, le mercredi 4 janvier au soir et l’annonce de la situation très critique entre la vie et la mort dans laquelle il s’est trouvé plongé. Durant plusieurs jours, Sharon a lutté contre la mort.

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Sharon lors d’une visite à une position militaire
à Tovlan dans la vallée du Jourdain. (Janvier 2001).

A l’heure actuelle, une légère amélioration de son état a été confirmée par ses médecins, mais nul ne peut évaluer encore ses capacités intellectuelles et dire s’il pourra un jour reprendre son activité politique. Personnage très controversé, qualifié de “rude tacticien dans l’armée; puis, en politique”, son nom a été lié au processus de colonisation dans les territoires palestiniens, aux massacres de Sabra-Chatila et au déclenchement de la deuxième Intifada…. Autant de procédures qui étaient loin d’embellir son image. Mais par un retournement total de situation, il a incarné ces dernières années l’image d’un “homme de paix ouvrant le dialogue avec le successeur d’Arafat” et allant à contre-courant des faucons de son parti le Likoud, en opérant un retrait total de la bande de Gaza. Si bien qu’à l’annonce de son état de santé critique, la première interrogation qui a fusé de partout a été l’inquiétude sur l’avenir du processus de paix au Proche-Orient. De même, on s’est interrogé sur le sort de son parti centriste “Kadima” qu’il a fondé au mois de novembre après avoir claqué la porte du Likoud. En plus d’un demi siècle, Sharon s’est imposé comme l’une des figures les plus charismatiques et controversées d’Israël, l’homme des surprises ayant connu des hauts et des bas spectaculaires et opéré des virages retentissants.

photo Devant le drapeau israélien, lors d’une cérémonie, pour de nouveaux soldats immigrants, à sa résidence à Jérusalem. (13 octobre 2003).

photo Le Premier ministre Ariel Sharon priant devant le mur des Lamentations dans la Vieille ville de Jérusalem. (février 2001).

Son véritable nom est Arik Scheinermann, qu’il transforme en Ariel Sharon. Il est né le 27 février 1928 en terre de Palestine sous mandat britannique, dans la ferme collective du nom de Mochav de Kfar Mlal, à 15 km au nord de Tel-Aviv, de parents venus de Biélorussie. Sa biographie détaillée montre que, dès l’âge de 17 ans et jusqu’à son hospitalisation le 4 janvier 2006, il a participé activement à la vie militaire; puis, politique de l’Etat hébreu et a marqué de son impact chaque étape de son engagement national. Il a été des cinq guerres israélo-arabes et blessé à deux reprises, de même qu’il a eu un impact politique retentissant.

photo 4 Juin 2003: Sommet de Akaba en Jordanie. (G.-D.): Mahmoud Abbas alors Premier ministre; George Bush, Sharon et le roi Abdallah de Jordanie.

photo Sharon recevant Condi Rice dans son ranch du Néguev. Le Premier ministre israélien a été reçu huit fois aux Etats-Unis par le président Bush.

En 1945, il entre dans la “Haganah”, l’armée clandestine des juifs en territoire palestinien et commande, en 1948, la prestigieuse brigade des “Golani” lors de la première guerre avec les Arabes, qui a conduit à la création de l’Etat d’Israël. En 1953, il crée les “commandos 101”, unité d’élite spécialisée dans les raids de représailles en territoire arabe. En 1956, durant la guerre de Suez, il commande le corps des parachutistes, de même qu’il participe à la “guerre des six jours” (juin 1967) à la tête d’une division blindée.

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Réactions internationales

On comprend, dès lors, les multiples réactions en Israël et à l’échelle internationale face à la gravité de son état de santé. Les Israéliens prient pour son rétablissement, se rendant par dizaines devant le mur des Lamentations et suivent à la minute son bulletin de santé. Le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas a déclaré qu’il suivait “avec une grande inquiétude”, l’évolution de l’état de santé de Sharon, mais la population palestinienne ne verse pas de larmes. Certains semblaient même se délecter des nouvelles alarmistes, alors que le mouvement radical palestinien a estimé que “le Proche-Orient serait un meilleur endroit, sans Sharon”.
A l’échelle internationale, les dirigeants ont tous exprimé leur inquiétude sur la gravité de l’état de santé de Sharon et souhaité son rétablissement, s’interrogeant sur l’avenir du processus de paix.
La secrétaire d’Etat américaine, Condi Rice, a indiqué que les Etats-Unis priaient pour le rétablissement d’Ariel Sharon et formulé l’espoir que le peuple américain restera impliqué dans le processus de paix. De même, le président français Jacques Chirac a souhaité que “se poursuivent les initiatives courageuses” prises par le Premier ministre israélien, lui adressant tous ses vœux et pensées.

Du militaire au politique
En 1973, changement de cap. Le général Ariel Sharon quitte le service actif et participe à la fondation du “Likoud” parti de droite nationaliste, qu’il dirigera ces dernières années, avant de claquer la porte et de fonder son propre parti, “Kadima” (en Avant). En octobre 73, la guerre du Kippour, où il est mobilisé en tant que réserviste, lui offre son plus haut fait d’armes: à la tête de 27.000 hommes, il réussit à encercler d’importantes forces égyptiennes après avoir, en violation des ordres reçus, franchi le canal de Suez. Ce fut une folle opération qui a, toutefois, renversé le cours de la guerre.

photo Shimon Pérès, figure emblématique du parti travailliste, a rejoint “Kadima” et sera numéro deux de ce parti centriste.

photo Avec Ehud Olmert, son ministre des Finances, qui assure l’intérim de la présidence du Cabinet et la direction de “Kadima”.

La politique le mène à la Knesset. En 1977, il est élu au parlement et nommé ministre de l’Agriculture jusqu’en 1981; puis, de la Défense jusqu’en 1983, au sein du gouvernement de droite de Menahem Begin. Au cours de cette période, il lance et supervise le “programme de développement des implantations juives” dans les Territoires occupés.
En juin 1982, en tant que ministre de la Justice, il commande l’opération “Paix pour la Galilée” en territoire libanais, ayant pour objectif de démanteler l’infrastructure militaire palestinienne qui menait, à partir du Liban, des opérations meurtrières contre Israël. Lors de cette opération, on a dit que Sharon a, une fois de plus, outrepassé les plans et directives du gouvernement Begin qui voulait que les blindés israéliens s’arrêtent au Sud. Or, il a été jusqu’aux faubourgs de la capitale libanaise, qu’il a encerclée. L’invasion du Liban lui sera néfaste, surtout à cause des massacres dans les camps palestiniens de la banlieue de Beyrouth de Sabra et Chatila. Une commission d’enquête officielle - la “commission Kahane” - établit sa responsabilité indirecte dans ces massacres, ce qui le contraint à démissionner en 1983.

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29 février 2000: il est entouré de ses enfants,
lors des funérailles de son épouse Lili, près de Tel-Aviv.
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Le professeur Shlomo Mor Yossef, directeur de l’hôpital Hadassah, donnant le bulletin de santé de Sharon.
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30 septembre 2001: il suit une leçon sur la Torah donnée par le rabbin David Hanzin.

De 1984 à 1999, il occupe de nouveau plusieurs postes ministériels, dont celui de ministre des Affaires étrangères, en 1998, sous le Cabinet dirigé par Benyamin Netanyahu, son adversaire direct au sein du Likoud.

L’avenir de “Kadima”

La gravité de l’état de santé de Sharon a soulevé, dès son hospitalisation, la question du devenir du parti qu’il a fondé en novembre. “Qu’adviendra-t-il de “Kadima”?” Cette question a fusé de partout. Or, une semaine après l’attaque cérébrale, le parti de Sharon est au zénith de sa popularité, selon les sondages, alors que ses rivaux, de gauche comme de droite, sont à la traîne. Il semble même que ce nouveau parti ait creusé son avance, aussi bien sur les Travaillistes, dirigés par le syndicaliste Amir Peretz, que sur le Likoud ayant à sa tête Benyamin Netanyahu. D’après les sondages, “Kadima” est crédité de 45 sièges sur les 120 de la Knesset; les Travaillistes obtiendraient 16 à 18 et le Likoud de 13 à 15 sièges.

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Selon des sources proches de “Kadima”, Shimon Pérès (82 ans), qui a rejoint le parti de Sharon, s’est vu promettre le poste de numéro deux dans un gouvernement que diri-gerait le chef en exercice de “Kadima”, le Premier ministre par intérim Ehud Olmert, qui est cependant loin d’avoir la stature politique charismatique de Sharon. De nombreux analystes se demandent, d’ailleurs, s’il sera réellement son successeur à la tête du parti et du prochain gouvernement.

Progression fulgurante
Dès 1999, date de son élection à la tête du Likoud, Ariel Sharon va carrément dominer la scène politique israélienne et surprendre, par ses prises de position qui évolueront, jusqu’à faire de lui “un homme de paix”. Le 29 septembre 2000, sa visite à l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, déclenche la se-conde Intifada. Ce coup d’éclat a, semble-t-il, favorisé son élection comme Premier mi-nistre, le 6 février 2001, avec 62,5% des voix, du jamais vu auparavant en Israël. Il forme un Cabinet d’union nationale et mène un combat sans merci contre les Palestiniens et Arafat, son ennemi de toujours à qui, dit-il avec fierté, il n’a jamais serré la main.

photo 23 novembre 1973: le général Ariel Sharon entouré de ses militaires sur la rive ouest du canal de Suez qu’il a franchi peu de temps auparavant, à la tête des blindés lors de la guerre du Kippour (octobre 73).

photo Alexandrie le 25 août 1981: Ariel Sharon, ministre de la Défense, serrant la main du président égyptien, Anouar Sadate.

En mars 2002, il lance l’opération “Rempart”, détruisant en grande partie le QG d’Abou-Ammar la “Mouquataa”, à Ramallah, où il l’astreint à la résidence forcée. En juin de la même année, il décide la construction du mur de séparation le long de “la ligne verte” entre Israël et la Cisjordanie, édifice dénoncé par les Palestiniens et condamné par la Cour de Justice Internationale de la Haye. Sharon se soucie peu de ces réactions et poursuit son avancée. Preuve en est qu’il est reconduit en janvier 2003 au poste de Premier mi-nistre par une victoire écrasante. Il forme, alors, le gouvernement le plus à droite de l’Histoire du pays et dévoile un “plan de séparation” avec les Palestiniens qu’il accuse “de ne pas tenir leurs engagements”.
En février 2004, Sharon annonce son intention d’évacuer la bande de Gaza et de démanteler les colonies d’implantation qui s’y trouvent, tout en poursuivant les attaques contre les radicaux palestiniens. En mars de l’année, “Tsahal” liquide dans une attaque ciblée, cheikh Ahmed Yassine, fondateur et chef spirituel de “Hamas”, mouvement islamiste palestinien.
En juin, suite à l’adoption par le gouvernement du plan de retrait de la bande de Gaza, le chef du Likoud perd sa majorité parlementaire, en raison de la défection de l’extrême-droite totalement opposée à ce retrait. Mais il réussit à faire adopter son plan par la Knesset. Le 11 novembre son vieil ennemi, Yasser Arafat, meurt à Paris.

Réalisation des plans en 2005
En 2005, critiqué par l’extrême-droite et les faucons du Likoud, Sharon forme un gouvernement de coalition avec les Travaillistes qui approuvent le plan de retrait de Gaza. En février, lors du sommet de Charm el-Cheikh sous tutelle américaine, égyptienne et jordanienne, il conclut un cessez-le-feu avec le successeur de Arafat, Mahmoud Abbas. A partir de juillet-août, Israël entame son retrait total et définitif de la bande de Gaza, qui s’achève le 12 septembre, mettant fin à 38 ans d’occupation.
En novembre, il convoque à des élections anticipées pour le 28 mars 2006 et claque la porte du Likoud où il fait face à une opposition de la part des faucons et, coup de poker spectaculaire, il crée son propre parti: “Kadima” ce qui veut dire en hébreu en avant, déstabilise, de ce fait, l’échiquier politique israélien. Il est rejoint par plusieurs membres du Likoud et par Shimon Pérès, figure emblématique du parti Travailliste, qui venait d’être défait à la tête de ce parti.
Tous les sondages d’opinion donnent Sharon et son nouveau parti Kadima victorieux aux législatives anticipées de mars 2006, loin devant le Likoud (désormais, dirigé par Netanyahu) et les travaillistes.
Mais nul dans la vie ne sait ce qui l’attend. Le 18 décembre, il est hospitalisé pour quelques jours, à la suite d’une légère attaque cérébrale et on a pensé qu’il s’agissait d’un accident de parcours. Le 4 janvier 2006, alors que le “bulldozer” devait affronter de nouveaux soupçons de corruption concernant des pots-de-vin reçus par un riche milliardaire autrichien pour financer ses campagnes électorales, il est hospitalisé pour une nouvelle attaque cérébrale autrement plus grave que la première. Et tout a basculé.

Bulletin de santé

Une semaine après son hospitalisation dans un état extrêmement grave ayant nécessité plus d’une opération, chacune de plusieurs heures pour stopper l’hémorragie cérébrale qui a failli l’emporter, la situation médicale de Sharon, connaissait une légère amélioration, au vu des divers examens neurologiques réalisés par ses médecins. Son équipe soignante le dit “hors de danger”, alors que le processus de sortie de coma dans lequel on l’avait plongé, suite aux interventions chirurgicales, se poursuivait progressivement.

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Le chef de l’équipe médicale, Félix Umansky, s’est déclaré surpris par la rapide amélioration de l’état du Premier ministre, affirmant: “C’est une personne très forte. Si on m’avait dit il y a une semaine que les choses se passeraient ainsi, je ne l’aurais pas cru”. Il a ajouté: “Il faudra des semaines, voire des mois, pour évaluer ses capacités intellectuelles les plus sophistiquées, tel le raisonnement, alors que sa capacité à parler peut intervenir plus tôt”.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4036 Du 14 Au 21 Janvier 2006
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