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La guerre des graffiti de Maria Chakhtoura
Les murs qui parlent
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Rétrospective des réalisations de William Klein
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La guerre des graffiti de Maria Chakhtoura
Les murs qui parlent

“La Guerre des Graffiti” - Liban 1975-1977, ouvrage de Maria Chakhtoura a déjà été publié, une première fois, en octobre 1977 et réédité en novembre 2005 par Dar An Nahar.

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L’auteur est une journaliste connue, ayant derrière elle une longue carrière. Elle est chef de service à L’Orient Le Jour, chargée d’enseignement au département de sociologie de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint Joseph (Beyrouth ), membre du Comité permanent du Forum des femmes de la Méditerranée - UNESCO et auteur de “La Gardienne du Clan” publié en 2000.
Maria Chakhtoura dédie “La Guerre des Graffiti” à tous ceux qui sont morts pour que vive le Liban, à tous ceux qui ont cru en cette terre et à tous ceux qui ont mérité d’elle.
Dans sa préface de la nouvelle édition, M. Ghassan Tuéni relève l’intérêt particulier d’une telle œuvre, qui constitue un document précieux sur un aspect assez spécifique de la guerre au Liban.
“En nous confrontant, écrit-il, à notre ville habillée d’une “démence” que rien n’exprime mieux que “La Guerre des Graffiti”, n’est-ce pas les démons que nous sortons de leur enfer? Et ne sommes-nous pas en train d’arroser les racines que nous croyons desséchées, d’une nostalgie de la guerre dont les chefs, comme des revenants, reprennent leurs vieux discours meurtriers?”

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images plus redoutables que l’écrit
En effet, La Guerre des Graffiti met en lumière des événements étroitement liés à des facteurs intérieurs, régionaux et internationaux ayant donné naissance à de graves incidences, qui ont perduré et se répercutent encore aujourd’hui sur la scène nationale.
En parcourant les photographies et en lisant les commentaires de Maria Chakhtoura, nous comprenons mieux l’évolution de l’expression verbale au cours des années de guerre. Elle laisse parler les murs et les graffiti sont le langage de ceux qui ne disposent d’aucun autre moyen d’expression; ce sont les slogans les plus immédiats, les plus venimeux et les plus faciles à retenir. Cette forme de littérature est aussi valable qu’une autre et constitue, en même temps, une arme assez puissante pour invectiver l’ennemi.
L’ouvrage illustre, admirablement, l’ampleur de la catastrophe qui s’est abattue, depuis 1975, sur le Liban et qui demeure, jusqu’à aujourd’hui, difficile à évaluer, même pour ceux qui connaissent la vérité.
On se rend compte, à travers l’ensemble des images, que la guerre du Liban a tout de suite fait fausse route et s’est détraquée d’une manière spectaculaire. Le cœur de notre pays est devenu un brasier. Qui est l’allié? Qui est l’ennemi? Qui est l’occupant? Qui se bat contre qui? La capitale et presque toutes les régions du pays sont divisées en deux zones antagonistes, séparées par “le no man’s land” des routes et rings devenus les passages de la mort.
Cependant, il n’y a rien de plus étonnant que l’endurance, la patience et le courage dont ont fait preuve un nombre restreint de Libanais, telle Maria Chakhtoura, lesquels, malgré leur double appartenance à une communauté et à une région toutes deux alors contestées, n’ont jamais cessé de circuler dans les deux zones, baptisées: “Est” et “Ouest” affrontant quotidiennement la mort parce qu’ils croyaient ferme en leur pays.
“Je n’ai pas eu peur, écrit Maria, je n’ai jamais eu peur d’un compatriote de quelque bord qu’il fût… Il est évident que j’ai pris beaucoup de risques, il est évident que mon voyage au bout de la nuit frôlait l’inconscience. Ce n’est qu’après, oui, longtemps après, que j’ai réalisé que je revenais de très loin.”

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La photographie devient ici œuvre d’art
Pour témoigner à sa façon, pour raconter ce drame par les mots et les images, Maria Chakhtoura a déplacé son objectif vers l’Est et vers l’Ouest, aussi souvent qu’il le fallait, pour saisir les graffiti les plus significatifs, ces graffiti qui envahissent les murs détruits et délabrés, illustrant dans différentes langues, mais avec le même effet visuel, un moyen éprouvé, efficace et peu coûteux pour alimenter la dissension et la haine entre les différentes fractions antagonistes. La guerre des graffiti avait, même, à un certain moment, conquis sa place et était devenue l’objet d’un culte.
Œuvres d’art, l’ensemble des photographies représente un moment de la vie libanaise où le passé et le présent, hier et aujourd’hui, semblent se rencontrer d’une façon assez étrange. Les images sont le lieu où vibrent les éléments d’un réel qui nous bouleverse au plus profond de nous-mêmes.
Cependant, avec Maria Chakhtoura la “photo document historique” ne désigne plus uniquement cette image du réel dont le but est d’informer; elle est conçue en tant qu’œuvre d’art. Ici, l’image est infiniment mieux armée qu’un texte pour dire le plus de choses dans le minimum de temps. Elle est redoutable infiniment plus que l’écrit, car elle s’attaque aux centres vitaux qui retentissent non seulement sur l’intellect, mais sur l’ensemble de nos réactions nerveuses.
En conclusion, cet ouvrage est une synthèse aussi vivante que bien documentée, essentielle pour une meilleure connaissance de la guerre du Liban, même si tous les graffiti ne figurent naturellement pas dans ce recueil, qui constitue une œuvre d’art où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le présent, le communicable et l’incommunicable, cessent d’être perçus contradictoirement.
L’importance de l’œuvre réside, essentiellement, dans sa démarche du simple document historique à la création artistique, mais surtout par la qualité de cette démarche qui fait que la caméra fixe une image dans laquelle s’affirme le processus vital de la création.

Par Nicole MALHAMÉ HARFOUCHE
Rétrospective des réalisations de William Klein

Le centre Georges Pompidou à Paris présente une importante exposition rétrospective, la plus importante jamais consacrée à un touche-à-tout de génie, un Américain vivant dans la capitale française, William Klein.

photo William Klein, un artiste atypique.

photo De larges plages rouges zèbrent la photographie.

Réalisée en étroite collaboration avec l’artiste-photographe mais aussi peintre, graphiste et cinéaste, cette manifestation propose des photos, des œuvres graphiques, des films et des maquettes, des affiches, des peintures sélectionnés en majeure partie dans les archives personnelles de William Klein, un créateur dynamique qui arrache au réel une matière qu’il couche sans ménagement sur la surface la plus sensible qui soit.
L’exposition de Beaubourg permet précisément de voir cela: le dynamisme d’un travail et d’une existence mêlés.
Les qualificatifs pleuvent lorsqu’il s’agit de désigner William Klein.
Si ce dernier est aujourd’hui reconnu surtout comme photographe, il s’est attaché toujours à brouiller les cartes.
Tour à tour peintre, formé dans l’atelier de Fernand Léger, photographe abstrait dans un premier temps, puis cinéaste à partir de 1958, Klein n’a cessé de défier les étiquettes et de tenter de mettre au point de “nouveaux objets visuels”, à la frontière de la photographie, du cinéma et de la peinture.
Les références de Klein sont nombreuses et variées, de la peinture du Quattrocento à la bande dessinée, du Bauhaus à Dada qu’il aborde dans un style toujours identifiable, un style qui atteste son goût pour les images brutales et heurtées dont l’esthétique in- fluencera très certainement les générations à venir.
Dès la première salle, on peut voir ses toiles datant des années 50 et où on remarque l’hésitation de l’artiste entre le pinceau et l’appareil.
Ce sont des toiles de grand format, les “graphies” telles que William Klein les compose lors de sa formation dans l’atelier de Fernand Léger.
C’est le monumental qui clôt cette manifestation, avec des tirages de 6 mètres sur 8, fragments arrachés aux villes visitées par lui, comme New York, Tokyo, Rome, Moscou ou Paris, sur lesquels il retrouve ses gestes de peintre, avec des couleurs dynamiques, des traits obliques, verticales ou horizontales.

photo Jeux interdits.

photo Une composition de William Klein.

L’amateur d’art pourra également visionner les films réalisés par lui dans les années 60 et 70, comme le documentaire “Muhammad Ali the greatest”, la fiction “Qui êtes-vous Poly Magoo” avec en vedette Jean Rochefort, la farce “Mister Freedom” qui a remporté en 1967 le prix Jean Vigo et où l’on découvre un Serge Gainsbourg vêtu d’un costume aux couleurs du drapeau américain.
Il y a aussi ses photos de mode qui lancent des mannequins sur la place de l’Opéra de Paris comme des chiens dans un jeu de quilles.
L’artiste dit de lui-même: “J’ai toujours considéré que je faisais du monumental en mouvement…”
De l’un à l’autre, de l’espace de ses débuts à celui de l’œuvre finale, une large courbe écarlate entraîne le visiteur à travers l’exposition, symbole même du mouvement d’une vie.
A Beaubourg, c’est le travail d’un grand artiste, d’un ogre qui a toujours tout bousculé, que vous passerez en revue.

Par Sonia Nigolian

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