La prison de Scheveningen à La Haye a perdu son prisonnier numéro un, Slobodan Milosevic, premier ex-chef d’Etat jugé par un tribunal international. Retrouvé mort sur son lit de cellule au matin du samedi 11 mars, celui qu’on surnommait le “sphinx” de Belgrade, a mis fin brutalement à un procès qui traînait depuis quatre ans, qu’il avait interrompu plus de vingt fois jouant sur son état de santé et qui devait s’achever au début de l’été. Avec lui, 466 heures d’audience, le passage à la barre de 295 témoins, la compulsion de 5.000 documents sont partis en fumée, engloutissant quelque 200 millions de dollars. Ce procès a ainsi coûté très cher et n’a pas connu d’épilogue. “C’est un énorme camouflet pour la justice”, a regretté Richard Dicker, conseiller juridique de Human Rights Watch. En quittant ce monde, de plein gré peut-être, celui qu’on appelait le “boucher des Balkans” a soulevé une double polémique, tant la suspicion sur les circonstances de sa mort que sur l’utilité du TPI, ne laissant personne indifférent jusqu’à faire oublier ses quatre guerres sanglantes qui ont fait 250.000 morts et 5 millions de déplacés.
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Avec sa femme Mira Markovic, lors d’une opération de vote.
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L’Histoire retiendra de Milosevic l’apparatchik converti au natio-nalisme à la chute du communisme et deux dates ayant marqué, pratiquement, le début et la fin de son parcours. Le 28 juin, il atterrissait en hélicoptère, parmi une foule d’un million de concitoyens au Champ des Merles à Kosovo Polie, pour effacer une déroute historique datant de six siècles et exalter le “mythe fondateur de la nation serbe”. “Personne n’a le droit de frapper ce peuple, avait-il soutenu. Il fut un temps où nous étions courageux et dignes. Six siècles plus tard, il nous faut livrer de nouvelles batailles ou nous y préparer. Ce ne sont plus des luttes armées, bien que celles-ci ne soient pas exclues”.
Le maître de Belgrade devant ses juges au TPI.
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Milosevic lors de la signature des accords de Dayton avec de g. à d. les présidents Alija Izetbegovic (Bosnie-Herzégovine), Franjo Tudjman (Croatie) et Warren Christopher, secrétaire au Département d’Etat.
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Le 28 juin 2001, Slobodan Milosevic, renversé par la révolution du 5 mai 2000, après treize années au pouvoir et emprisonné depuis le 1er avril, pour abus de pouvoir et malversations financières à la prison centrale de Belgrade, était transféré à la prison de haute sécurité de Scheveningen, à trois kilomètres du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) mis en place par le Conseil de sécurité de l’ONU, le 25 mai 1993 pour juger les criminels de la guerre des Balkans. Une photo-vidéo prise par un couple d’amateurs fixera à jamais cette image: celle de Milosevic, si longtemps courtisé par la communauté internationale, le dos voûté, avançant péniblement, sans doute menotté et encadré de deux gardes. D’ailleurs, il ne reconnaîtra jamais la légalité de ce tribunal et assurera sa propre défense.
Carla Del Ponte n’a pas exclu l’hypothèse
d’un suicide.
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A Belgrade, ses partisans viennent lui rendre hommage.
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Les guerres pour une Grande Serbie
Entre-temps, Milosevic qui s’est emparé de la direction du Parti communiste serbe après la mort de Tito en 1980 (et qui avait créé la fédération yougoslave en 1945); puis, de la présidence de la Serbie, s’est lancé dans une série de guerres pour réaliser le rêve d’une Grande Serbie basé sur la purification ethnique et le déplacement des populations. Sur le terrain, le résultat est tout autre. Les guerres en Croatie (1991-1995) et en Bosnie (1992-1995) sont dévastatrices. Il finit par revoir ses ambitions à la baisse et signe les accords de Dayton en octobre 1995 qui mettent fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Quatre ans plus tard, il se lance dans une nouvelle guerre contre les Albanais du Kosovo qui représentent 90% de la population de cette province-sud de la Serbie et dont il avait supprimé en 1989 l’autonomie que lui avait accordée le maréchal Tito en 1974. Il reste sourd aux appels de l’Occident à mettre fin au conflit. La conférence de Rambouillet se solde par un échec et le 24 mars 1999, l’Alliance atlantique donne le coup d’envoi de 78 jours de bombardements de la République fédérale yougoslave (RFY). Le 12 juin 1999, les forces de l’Otan entrent dans Pristina, chef-lieu du Kosovo qui devient un protectorat international. Milosevic est rendu responsable des massacres collectifs s’achevant dans des fosses communes, comme de celui des 8.000 musulmans réfugiés dans l’enclave de Srebrenica (Bosnie) en juillet 1995. Sous le coup de 66 chefs d’inculpation, il doit répondre devant le TPI de génocide, de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité.
Au niveau du TPI, la crainte avait été vive que Milosevic mette fin à ses jours avant la fin de son procès. Son père, un pope défroqué s’était suicidé en 1962. Sa mère, aussi, a mis fin à ses jours et également son oncle. Son épouse Mira Markovic, le seul grand amour de sa vie, une femme cruelle située à gauche de la gauche du parti, n’avait quant à elle jamais connu sa mère, fusillée pour avoir livré des résistants aux nazis. Trois caméras de surveillance avaient été braquées sur sa cellule pour y déce-ler toute velléité de suicide. Il était arrivé à Scheveningen, chargé d’un lourd passé, mais aussi de problèmes cardio-vasculaires et d’hypertension artérielle qui risquaient à tout moment de l’emporter.
Polémique autour de sa mort et ses funérailles
Quatrième détenu serbe à mourir à La Haye, Milosevic a-t-il emporté avec lui le mystère de sa mort? L’autopsie pratiquée à l’Institut médico-légal néerlandais de La Haye par des pathologistes néerlandais, en présence de deux spécialistes serbes et d’un Belge, a permis une première conclusion: Milosevic est mort à 64 ans d’un infarctus du myocarde. Une analyse toxicologique était en même temps menée sur les instructions du TPI.
Cependant, dès l’annonce de sa mort, une polémique était lancée depuis Moscou par le frère du défunt Borislav qui mettait en doute les résultats de l’autopsie. La télévision néerlandaise NOS, se basant sur deux sources distinctes, annonçait que des substances anormales avaient été détectées dans des analyses de sang réalisées le 12 janvier. Il s’agissait, comme on le saura par la suite, de la présence à haute dose de la rifampicine, médicament utilisé dans le traitement de la lèpre ou de la tuberculose. Pressée de lever le doute sur les circonstances de cette mort, Carla Del Ponte, procureur du TPI, a écarté les “rumeurs” d’un possible empoisonnement, sans exclure l’hypothèse d’un suicide.
Un toxicologue néerlandais, Ronald Uges qui avait procédé à une analyse de sang du détenu, il y a deux semaines, a confirmé l’existence de la rifampicine, parce que, a-t-il observé, Milosevic qui “a pris ce médicament lui-même voulait obtenir un aller simple vers Moscou”. En effet, ce dernier avait demandé aux autorités du TPI de pouvoir se faire soigner à Moscou; ce qui lui a été refusé. La veille de sa mort, a révélé son avocat Zdenko Tomanovic, Milosevic avait écrit dans une lettre adressée à l’ambassade de Russie: “Ils veulent m’empoisonner. Je suis sérieusement préoccupé et inquiet”.
La Russie, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, a aussi émis des doutes sur les circonstances de la mort de Milosevic et affirmé être en droit d’examiner de près les résultats de l’autopsie. Aussi, quand Marko, le fils de Milosevic, est arrivé à La Haye pour récupérer la dépouille de son père, était-il accompagné d’une délégation de médecins russes. Les circonstances de la mort de son père non élucidées, Marko ne savait pas quelle direction prendre: partir à Moscou pour y enterrer, provisoirement, son père ou le ramener à Belgrade où ses funérailles suscitent de graves dissensions? De plus, sa mère Mira Markovic était sous le coup d’un mandat d’arrêt pour abus de pouvoir et exilée en Russie depuis 2003. Il fallait obtenir la levée de ce mandat d’arrêt du Parquet de Belgrade, ce qui a été enfin rendu possible.
Les partisans de Milosevic au sein de sa formation, le Parti socialiste et du Parti radical ultranationaliste, ont réclamé pour lui des funérailles nationales et son inhumation dans l’“Allée des héros”. Cette éventualité a été rejetée par le président serbe, Boris Tadic et le maire de Belgrade, Nenad Bogdanovic. Milosevic ne reposera pas aux côtés des personnalités serbes, ni près de Zoran Djindjic, Premier ministre serbe assassiné le 12 mars 2003 qui l’avait lui-même livré au tribunal de La Haye.
Rectificatif
Une coquille s’est glissée dans notre dernière édition dans la légende accompagnant la photo représentant le Premier ministre indien avec le président Bush (article sur le nucléaire civil). Il fallait lire, le Premier ministre indien Manmohan Singh.