Rita Carlos Ghosn:
“A mon avis, ce jeu est une philosophie de vie”
Par Nelly HÉLOU

Rita Carlos Ghosn a, récemment, inauguré à Beyrouth un club de bridge pour stimuler les Libanais à s’intéresser à ce jeu dont elle vante les bienfaits au niveau de la formation de la personnalité et du caractère. Au cours de cette rencontre, on découvre chez l’épouse du PDG de Renault et de Nissan, une femme pleine de dynamisme et de créativité, qui désire s’affirmer, personnellement, tout en assumant son rôle d’épouse et de mère. Elle a sillonné le monde avec son mari, vécu dans de multiples pays, connaît plusieurs langues et considère que l’ensemble de ses contacts avec toutes ces cultures et civilisations ont forgé sa personnalité. Elle est simple, spontanée et s’exprime sans recherche, ni artifice.

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“Je suis passionnée de bridge, me confie-t-elle d’emblée au cours de cette rencontre qui s’est déroulée à son club inauguré la veille. J’ai été à l’université, j’ai eu des diplômes, “mais looking back” (si je regarde en arrière), je trouve que la meilleure chose que j’ai pu faire c’est d’avoir appris le bridge”.
Elle enchaîne, évoquant les multiples bienfaits de ce jeu: “Le bridge t’apprend à observer, analyser, décrypter, te donne la possibilité de voir les détails et les choses comme elles sont, à être lucide, à décider vite, à accepter de perdre pour gagner, voir ce que tu as comme bagage, faire le mieux que tu peux et apprend à s’auto-analyser… tant de préceptes qui nous font généralement défaut…”. Elle ne tarit pas sur les bienfaits de ce jeu qui, à ses yeux, est “une philosophie de vie”.
En créant le club à Sioufi, elle veut donner à ce jeu de cartes sa place dans la société libanaise, offrir l’opportunité au plus grand nombre de personnes de l’apprendre et de s’y intéresser. Elle s’adresse, surtout, aux femmes au foyer, aux jeunes et aux personnes du troisième âge, car le bridge est un moyen efficace contre l’alzheimer. Il ne s’adresse pas, uniquement, aux intellectuels comme on pourrait le penser: “Chaque personne peut l’apprendre à tout âge. D’ailleurs, c’est un phénomène de société. Il nous apprend à être tolérant, à accepter les choses telles qu’elles sont et à faire du mieux.”

photo Rita Ghosn à Nelly Hélou: “Carlos et moi on se complète”.

photo Inauguration du club de bridge le 28 septembre.

Le Club de Bridge de Sioufi est aménagé dans une ancienne maison, qu’elle a su bien restaurer, la rendant coquette et accueillante. L’entrée au club est de 5 dollars, la leçon à 15.000 L.L. “Je n’ai pas voulu opter pour la gratuité afin de ne pas embarrasser ceux qui donnent des cours de bridge et je maintiens le contact avec l’association libanaise de Bridge et son président, Chucri Sader. Au Liban, nous avons d’excellents joueurs et c’est rare dans un petit pays comme le nôtre d’avoir une telle concentration de bridgeurs performants.” Elle s’adresse aux non initiés et table beaucoup sur les jeunes qui n’ont à payer que l’entrée au club et non les leçons. D’ailleurs, elle va donner une conférence le 5 novembre au Collège Notre-Dame de Jamhour, dans le cadre des activités culturelles sur le thème: “Jeune bridgeur, futur patron” et réserve une surprise. “Je pense, dit-elle, que le bridge a en partie façonné le caractère et la personnalité de Carlos Ghosn” (son mari).

Grâce au Bridge elle a connu Carlos Ghosn
Il faut dire que ce jeu lui a porté bonheur dans sa vie. En effet, c’est grâce au bridge, qu’elle a connu Carlos Ghosn. A l’âge de 18 ans, Rita Kordahi, originaire de Feytroun, venait de débarquer à Lyon, en France, en tant que boursière de la mission culturelle française pour faire des études de pharmacie. Lors d’un tournoi de bridge chez sa sœur, installée à Lyon, elle rencontre Carlos Ghosn, fraîchement diplômé de Polytechnique et de l’Ecole des Mines, qui venait d’entamer sa vie professionnelle chez Michelin. Le courant passe entre eux; elle l’accompagne à des tournois de bridge, alors qu’elle ignorait totalement ce jeu, l’apprend progressivement et y a mordu. Un an plus tard, ils étaient mariés. Elle a tenu à inaugurer le club de Bridge d’Achrafieh le jour de leur 21ème anniversaire de mariage: “Notre vie de couple a atteint sa majorité. C’est la première fois que je me trouve en dehors de la maison pour cet anniversaire, alors que c’est souvent Carlos qui est empêché à cause de ses obligations professionnelles d’être avec nous”.

Carlos est mon équilibre
Le couple s’installe au Brésil où Carlos est nommé responsable de Michelin. Rita apprend le portugais, renonce à poursuivre ses études de pharmacienne, ce qu’elle ne voulait pas faire vraiment. Elle avait obtempéré aux désirs de son père qui souhaitait pour elle cette profession. Elle choisit, alors, ce qu’elle aime le plus: le design d’intérieur; puis, la programmation en informatique. Elle prend des cours de bridge, se perfectionne dans ce jeu et participe à des tournois. Par la suite, elle donne des cours de bridge aux Etats-Unis, au Japon et, actuellement, en France, à la faveur des différentes étapes du déplacement du couple en fonction des missions de Carlos Ghosn, qui a été nommé PDG de Nissan en 2001 et président de Renault en avril 2005, après un brillant parcours dans ces deux sociétés.
Qu’en est-il de sa vie de couple? “Carlos et moi, on se complète, dit-elle: je suis sociable et j’aime sortir ce qui n’est pas son cas. Nous avons une même philosophie de vie, c’est ce qui fait notre force. Former un couple est tout un apprentissage. Au début, chacun veut tenir tête; puis, on apprend à grandir ensemble et à se respecter mutuellement. Carlos est mon équilibre”.
Carlos et Rita Ghosn ont quatre enfants: trois filles et un garçon, le benjamin. L’aînée, Caroline est à Stanford, les trois autres enfants: Nadine, Maya et Anthony font leurs études secondaires et complémentaires à l’Ecole américaine de Paris. “Carlos est un papa gâteau, confie-t-elle, et on consacre, généralement, nos week-ends aux enfants. Il y a quatre ans, il a été désigné “le papa de l’année” au Japon.”

Une femme active et infatigable
Au fil de la conversation, on découvre les multiples facettes de Rita Ghosn, femme active et dynamique, qui cherche de plus en plus à affirmer sa personnalité. En plus de sa langue maternelle, elle parle le français, l’anglais, le portugais et le japonais. Elle a plusieurs centres d’intérêt: elle fait de la peinture, restaure les choses anciennes, aime les plantes, le jardinage, pratique différents sports et entretient de nombreuses maisons, vu les déplacements de son mari et ses responsabilités.
“J’ai l’impression d’avoir plusieurs vies, dit-elle. Certes, je suis de cœur libanaise, mais dans chaque pays où je vis, je fais ce qu’il faut faire. C’est l’accumulation de ces multiples cultures et civilisations que j’ai côtoyées depuis l’âge de 19 ans, qui fait de moi ce que je suis. Elles sont devenues une part essentielle de ma personnalité et de ma vie. Et qui fait de Carlos ce qu’il est. J’ai appris à choisir le meilleur de chaque pays et de les additionner”.
Au Japon, elle a ouvert au printemps 2004 dans un centre sélect de Tokyo au “Daikanyama”, un restaurant libanais du nom de My Lebanon, afin de faire connaître et apprécier l’art culinaire libanais, mais aussi son pays, sa culture et ses traditions.
“J’ai beaucoup appris en même temps sur mon pays, car les gens me posaient un tas de questions et il fallait être en mesure d’y répondre”.
Au cours des quatre premiers mois, elle a réussi à garder l’anonymat au restaurant, voulant s’affirmer en tant que telle et non comme Mme Carlos Ghosn. Mais, ensuite, cela a fini par se connaître. Maintenant que son époux est installé à Paris comme PDG de Renault, elle se sent plus à l’aise de gérer le restaurant de Tokyo où elle se rend régulièrement. Au mois de juin, elle a publié aussi un livre en japonais sur la culture de son pays et son impact, qui connaît un grand succès. 30.000 exemplaires ont déjà été vendus en deux mois.
De tous les pays où elle a vécu a-t-elle une préférence? “Chaque étape avait son cachet, dit-elle. En Caroline du Sud, c’était parfait. La ville est calme, le travail de Carlos était à quatre minutes de la maison et il pouvait venir déjeuner. Le Japon est le paradis pour les enfants. Ils peuvent se sentir indépendants, prendre seuls le train à dix heures du soir, sans crainte, vu la sécurité dans le pays. Par contre, en arrivant à Paris, j’avais peur pour eux et on les protège sans leur mettre quelqu’un sur le dos.”

“Mon pays a besoin de moi”
Aujourd’hui, à 40 ans Rita Ghosn est, semble-t-il, dans une nouvelle phase de sa vie: celle du moi et du retour au bercail. Elle souhaite passer la majeure partie de son temps au Liban, retrouver sa terre natale où elle a moins vécu qu’à l’étranger. “Lorsque je me suis mariée, dit-elle, j’avais posé à Carlos une condition: passer tous les ans une semaine au Liban pour voir ma famille”. Et c’est ce qu’elle a fait, en dépit du fait que le pays était en guerre et qu’il fallait faire de longs parcours, vu qu’ils résidaient au Brésil. “Il a tenu parole; moi aussi. Je venais juste pour une semaine.”
Cet été, elle est arrivée à Beyrouth le 11 juillet avec ses deux benjamins; les deux autres enfants et Carlos allaient suivre. Elle envisageait de donner des cours de bridge selon sa méthode “atypique”. “J’apprends à réfléchir et à utiliser son instinct”. La guerre a éclaté le lendemain, elle a fait partir les enfants, mais a tenu à rester disant à tous: “Je suis comme vous, ma vie n’est pas plus importante que la vôtre”. Carlos et les enfants étaient très inquiets, mais elle a tenu bon et cela a donné du moral à beaucoup de Libanais autour d’elle.
Son choix actuel est le Liban, car elle sent “que son pays a besoin d’elle”. Cela ne veut pas pour autant dire qu’elle va se transformer en sédentaire. Avec le dynamisme qui la caractérise et ses multiples activités, les responsabilités de son mari et les enfants, elle va continuer à se déplacer de Beyrouth, à Paris, Tokyo, les Etats-Unis et le Brésil.
Serait-elle favorable à ce que Carlos Ghosn fasse de la politique au Liban? En tant que maronite, il pourrait être un éventuel présidentiable.
“Carlos est un homme trop clair, trop transpa-rent, incapable de faire des concessions. Je ne le vois pas en homme politique”.
Mais qui sait….

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4074 Du 7 Au 14 Octobre 2006
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