Créée en octobre 2002, lors du sommet de la francophonie à Beyrouth, la rédaction française de la chaîne de télévision libanaise Al Manar, est présentée par une Française, Eline Briant. Voici comment cette Lyonnaise, travaillant pour la télévision du Hezbollah, raconte son itinéraire à La Revue du Liban.
Comment une Lyonnaise se retrouve-t-elle à la télévision al Manar?
Née de père français et de mère allemande, j’ai grandi dans la banlieue de Lyon, au sein d’une famille où la religion n’avait pas franchement sa place; tout au plus manifestait-on une ouverture sur le plan strictement culturel. A l’âge de 11 ans, je me suis intéressée à la religion et j’ai voulu m’inscrire au catéchisme pour connaître la religion catholique. Mais mes parents avaient préféré que j’attende mes 18 ans.
En terminale, je m’étais liée d’amitié avec une Marocaine qui passait son temps à se disputer avec le professeur de philo sur l’existence de Dieu. A l’époque, j’étais athée mais intéressée par ce débat et je me suis mise à lire un Coran que m’avait donné mon amie. Au début, je n’avais pas une idée positive de l’islam et je restais in- fluencée par la manière dont on présente souvent la religion musulmane en France. J’ai suivi un BTS de tourisme et, en 2000, j’ai rencontré Ali, un Libanais qui étudiait l’informatique. On a beaucoup discuté religion. Il m’a aussi beaucoup aidée à avoir une autre culture, différente de celle des Algériens ou des Marocains. J’ai pu avoir plus de détails sur l’islam. Et c’est en lisant les livres, qu’Ali me conseillait et en approfondissant mes connaissances que j’ai compris que j’avais trouvé les réponses à ma quête spirituelle.
Finalement, en 2002, l’année de mes vingt ans, je me suis convertie et je me suis mariée avec Ali. Puis, au début de l’année 2004, nous sommes venus au Liban et quand j’ai appris que la rédaction française de la télévision al Manar cherchait des présentatrices en français, je me suis portée volontaire. Depuis, j’y travaille et j’ai été très bien accueillie.
Ma famille accepte ma conversion
Comment votre famille a-t-elle réagi à votre conversion?
Mes parents ont, d’abord, eu du mal à l’admettre. Comme je vous l’ai dit, ils n’étaient pas croyants. Alors, vous pouvez imaginer leur réaction quand ils m’ont vu adopter la religion musulmane, qui est tellement caricaturée par les médias! Ils pensaient que j’avais été endoctrinée et que je risquais de subir le sort des femmes afghanes. Que je perdrais ma liberté d’agir et de penser.
La crise a duré huit mois; ils refusaient de voir mon mari et avaient donc coupé tout contact. Finalement, ils ont réalisé que j’étais toujours la même: vive, heureuse, souriante. Ils ont fini par accepter ma conversion et sont même venus à deux reprises au Liban pour nous rendre visite. Ma mère était influencée par l’histoire d’une Américaine mariée à un Iranien relatée dans un livre intitulé “Jamais sans ma fille”, mais lorsqu’elle a vu ma manière de vivre au Liban, toutes ses appréhensions se sont effacées.
Avez-vous pu adopter un nouveau style de vie sans difficultés?
Je pense qu’à partir du moment où nous sommes convaincus, nous pouvons nous adapter sans difficulté. La manière de s’habiller ou de se comporter en société devient secondaire. Le plus important, sont la paix et la sérénité que nous ressentons en notre for intérieur. On n’accepte pas les obligations, tant que nous ne sommes pas convaincus, ce qui n’est pas mon cas. Certes, le Liban a une culture différente. Il y a les côtés positifs et négatifs; il suffit de se réadapter à la nouvelle vie que nous avons choisie.
En ce qui me concerne je n’ai pas eu beaucoup de problèmes. Soit on aime le Liban, soit on ne l’aime pas: il n’y a pas de juste milieu. A partir du moment où j’ai aimé ce pays dès la première visite, je n’ai eu aucun mal à y trouver ma place. J’ai, également, décidé d’apprendre l’arabe.
Avez-vous bien été accueilli par votre belle-famille libanaise?
Bien sûr. Ils sont heureux de voir que leur religion n’est pas cantonnée à leur seule société et que c’est une religion qui séduit et attire un peu partout dans le monde.
On cherche à diaboliser l’islam
Vous avez aussi subi des reproches de la part d’amis français; pensez-vous que la société française est intolérante vis-à-vis de l’islam?
Pour moi, tout est politisé. Par exemple, rien n’est dit dans les médias sans arrière-pensées et une volonté de nuire. C’est donc une volonté politique de faire en sorte que le monde arabe et l’islam soient perçus d’une certaine manière, une façon de préparer les gens à une guerre contre les Arabes et les musulmans. Certains présentent les musulmans comme “les méchants” qu’il faudra combattre un jour. On cherche à diaboliser l’islam. Il y a, aussi, une peur irraisonnée, pro-bablement due à la mauvaise connaissance de l’islam. On réalise que de plus en plus de personnes se convertissent et ne sont pas d’origine arabe. Alors, on ne comprend pas et on s’inquiète de voir qu’on peut s’éloigner des valeurs occidentales pour en préférer d’autres, sans se demander le pourquoi des choses.
Enfin, il y a le fait qu’on n’aime pas ce qui est différent. Regardez cette phobie du voile en France. Pourtant, il n’y a pas de quoi avoir peur d’une femme voilée; c’est de l’exagération pure et dure. Il faut cesser d’avoir des idées préconçues sur la femme qui a une place très haute dans la religion musulmane. Il suffit de lire sérieusement le Coran pour s’en rendre compte et non se contenter de quelques clichés.
En réalité, le problème de la société française est l’inertie et le manque d’esprit critique. Par exemple, les jeunes ne se sentent plus du tout concernés par la politique, contrairement au Liban où vieux et jeunes sont politisés et approfondissent leur éducation politique. En France, comme dans la plupart des pays occidentaux, les gens sont préoccupés par leur confort quotidien. Par ailleurs, il y a une déception de la part du peuple français et ils pensent, aujourd’hui, que tous les politiciens se ressemblent. Il y a, peut-être, quelques idées qui diffèrent mais la voie est la même, tout le monde pense à peu près la même chose, par routine et par paresse intellectuelle.
La déclaration de S.S. Benoît XVI,
inquiétante
Que pensez-vous de la récente déclaration du Pape Benoît XVI concernant l’islam?
Ayant des origines catholiques, car malgré tout je garde certaines attaches, j’avais apprécié les efforts déployés par le Vatican, sous Jean-Paul II, pour un rapprochement entre les deux grandes religions monothéistes. La déclaration de Benoît XVI est inquiétante. Une telle erreur de jugement ne devrait pas se faire, surtout pas de la part d’une personnalité aussi importante que le Saint-Père. Aujourd’hui, ce genre de déclaration peut mener à une situation très dangereuse. Je ne comprends pas pourquoi on critique l’islam qui est une religion tolérante. On essaye trop souvent de diviser les chrétiens et la communauté musulmane ou les juifs. Par exemple, les caricatures contre le Prophète ont été publiées pour blesser et dénigrer la religion musulmane, ce qui est inacceptable. Mais ce genre de méchanceté gratuite n’a pas d’impact aussi grave sur l’esprit des non musulmans que peut l’avoir une déclaration faite par le représentant suprême de la religion catholique.
La théorie du “choc des civilisations” progresse-t-elle? Comment voyez-vous l’avenir de l’islam?
C’est une théorie qui, consciemment ou non, imprègne beaucoup d’Occidentaux. Elle repose à la fois sur l’incompréhension et l’ignorance des autres et sur la manipulation qui vise à faire de l’islam un nouvel ennemi, pour justifier les visées impérialistes de certaines puissances.
Le fossé entre l’Orient et l’Occident se creuse de plus en plus et cela risque de créer un conflit. Pour ce qui concerne le monde musulman, il y a deux tendances. D’une part, les “takfiristes” qui excommunient tous les autres, agissent de façon insensée et ont recours à la violence aveugle qui profite aux Etats-Unis et aux Israéliens.
D’autre part, des musulmans modérés qui œuvrent, pacifiquement, à la conversion des gens et respectent toutes les valeurs humaines. J’espère que c’est cet islam tolérant qui prendra le dessus et se renforcera de façon à ce que l’avenir soit une victoire pour tous les musulmans.
Comment avez-vous perçu la récente guerre israélienne contre le Liban?
C’est un pays ennemi qui est venu tuer et massacrer sans aucun état d’âme, aucun remords. Les Israéliens ont un plaisir malsain de destruction. Mais cette guerre d’agression a été un échec pour les Israéliens. Ils sont partis la tête basse. La Résistance est sortie victorieuse de cette agression et elle est aujourd’hui aussi forte qu’avant.
Le Liban a besoin de l’union nationale
A votre avis, après cette épreuve où en est le peuple libanais? Est-il encore uni?
Une partie des Libanais s’est soudée pendant cette guerre. Les deux pôles qui regroupent autour d’eux le plus grand nombre de Libanais sont ceux que dirigent le général Aoun et sayyed Hassan Nasrallah. Et ces deux pôles ont su établir une entente, base de l’union nationale dont le Liban a besoin. Bien sûr, il y a toujours des pêcheurs en eau trouble, mais ceux qui agitent le spectre d’une guerre civile sont peu nombreux. D’ailleurs, qui oserait affronter une Résistance qui a fait ses preuves lors de la guerre contre le Liban?
Que pensez-vous de la résolution 1701?
On essaye de désarmer le Hezbollah par tous les moyens, mais je pense que cela ne marchera pas. Pour l’instant, il n’y a que les Etats-Unis qui considèrent le Hezbollah comme un parti terroriste. Les autres le considèrent encore comme une Résistance et comme un parti légal libanais, ce qu’il est. Dans ce contexte, la résolution 1701 affirme que les soldats de la Finul sont présents sur le territoire libanais pour protéger le Liban. Mais il faut être clair, la seule menace contre le Liban, c’est Israël. Personne ne comprendrait que la Finul soit utilisée pour d’autres objectifs, notamment en se mêlant des affaires intérieures libanaises.
Que pensez-vous de la politique de la France au Liban?
Actuellement, nous avons le sentiment que la France cherche à s’ingérer à nouveau dans les affaires internes de certains pays et, particulièrement, le Liban. Elle cherche à se placer au niveau de l’échiquier international. Ainsi, sa politique n’est plus perçue comme bienveillante, mais comme une ingérence. Le fait, par exemple, d’interdire Al Manar entre aussi dans ce cadre.
Pensez-vous retourner vivre en France?
Pas pour l’instant, car je ne voudrais pas subir toutes les interrogations concernant ma conversion, ni les regards trop lourds de curiosité. Je ne voudrais pas non plus subir les préjugés. Mais dans le futur, j’espère y retourner. La France est mon pays je l’aime et j’y suis attachée. |