Vice-présidente du Sénat tunisien Naziha Zarrouk:
“Le monde a besoin d’un Liban stable pour jouer son
rôle traditionnel de trait d’union entre les civilisations”

photoMme Naziha Zarrouk, deuxième vice-présidente de la Chambre des conseillers (Sénat) de la République tunisienne et membre du bureau de l’association internationale des parlementaires francophones, a exercé plusieurs fonctions ministérielles (Ministre des Affaires de la femme et de la famille, Ministre de la formation professionnelle et de l’emploi). Elle est, également, membre du Comité central du RCD. Alors que la Tunisie vient de célébrer le 50ème anniversaire du code du statut personnel, elle est la parfaite illustration du rôle joué par les femmes dans la vie publique de la Tunisie. Mme Zarrouk qui a été aussi ambassadrice de Tunisie au Liban de 2002 à 2005, a bien voulu répondre à nos questions.

Vous avez été ambassadrice de Tunisie au Liban pendant trois ans; quel sentiment gardez-vous de votre passage dans ce pays?
Je suis heureuse d’avoir l’opportunité de m’adres-ser, à travers La Revue du Liban, à un large public qui s’intéresse au monde arabe et aux avancées réalisées par les peuples du monde arabe un peu partout dans le monde et, essentiellement, au pu-blic du Liban.
Je garde, en effet, un excellent souvenir de mon séjour au pays du Cèdre et j’aimerais, à cette occasion, saluer vivement les Libanais et leur dire combien j’ai apprécié mon passage au Liban et com-bien je me suis attachée à eux et pu évaluer leurs énormes qualités. Des liens anciens et très particuliers unissent nos deux pays depuis la fondation de Carthage par la princesse (libanaise) Elissa. Les Tunisiens ont un indéfectible attachement pour le Liban.

Consolider le modèle libanais
Que pensez-vous de la situation actuelle au Liban?

Je suis avec attention tout ce qui se passe au Liban et j’ai une pensée spéciale pour ce peuple qui traverse des moments difficiles, dans lesquels il lutte pour sa stabilité et sa souveraineté. Le peuple libanais est admirable dans sa détermination pour que le pays puisse continuer à vivre dans la paix élaborer des projets d’avenir et mettre en œuvre toutes les stratégies nécessaires pour les réaliser.
Il revient aux Libanais de décider et de prendre les décisions nécessaires pour que le pays puisse sortir de l’impasse actuelle et poursuivre son développement. Il appartient aux seuls Libanais de faire leur choix. Toute ingérence n’aiderait pas le Liban à sortir de sa crise. En revanche, tout soutien ou tout accord qui pourrait aider à rapprocher et non à diviser, serait un apport de qualité et de poids. On a souvent dit que le Liban est un pays beaucoup plus important que ses dimensions. C’est un fait indéniable. Le monde a besoin d’un Liban stable et prospère qui puisse jouer son rôle traditionnel de trait d’union entre les civilisations et redevenir un modèle, comme il l’a longtemps été. Il faut recons-truire ce modèle libanais et le consolider.
La Tunisie a célébré en 2006, le 50ème anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel qui a permis l’émancipation de la femme et sa participation active à la vie sociale et publique. Quelles sont les pers-pectives d’évolution de la femme en Tunisie?
Notre pays a voulu accorder une importance toute particulière à cet anniversaire, en organisant de nombreuses manifestations, dont un grand colloque qui s’est déroulé fin 2006 à l’Université de la Sorbonne à Paris.
A travers ces manifestations nous avons voulu mettre toute la lumière sur la portée exceptionnelle du Code du statut personnel, non seulement en tant que nombre de lois promulguées pour les droits de la femme, pour son indépendance et sa pleine citoyenneté mais, essentiellement, comme choix civilisationnel. Il est important de souligner que ce choix a été arrêté dès l’indépendance. L’Histoire a démontré qu’un pays généralement dès qu’il obtient son indépendance, est lancé dans une autre dynamique qui appelle les décideurs politiques à mettre en œuvre toutes les institutions et toutes les lois pour l’édification de l’Etat.
A toutes ces priorités, le décideur tunisien a choisi d’ajouter un autre défi: faire en sorte que le développement de la femme s’installe au premier rang de toutes les priorités. Ceci dénote l’importance de l’orientation prise par les décideurs politiques de l’époque et par les initiatives importantes qui ont suivi et continuent à être mises en place par le président Ben Ali.

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Mme Zarrouk répondant aux questions de Zeina el-Tibi.

Le statut de la femme
Cette évolution du statut de la femme est-elle davantage un choix politique qu’une revendication sociale?

Cela a été la combinaison des deux, ce qui était, d’ailleurs, le facteur de la réussite. Il y a eu, certes, des revendications sociales dont celle de l’émancipation de la femme et sa pleine participation à la vie sociale mais, en même temps, cette revendication a été prise en compte dans l’élaboration de l’agenda national, social et politique du lendemain de l’indépendance. Cela nécessitait une volonté politique ferme. Les responsables politiques avaient pris conscience de l’importance du fait de consi-dérer les droits des femmes comme étant une priorité nationale pour permettre à la Tunisie de progresser selon ses valeurs et dans le respect de son identité. C’est le point le plus important que nous avons voulu mettre en relief.
Le deuxième point qui mérite d’être souligné, est la détermination qui n’a cessé d’être celle des dirigeants. Le choix de 1956 pour promulguer le Code du statut personnel, était un choix civilisationnel important qui illustrait une ferme volonté politique mais, aussi, un courage politique important. De même, en 1987, quand le président Ben Ali a succédé à Habib Bourguiba, dans un monde qui avait connu des changements considérables, notamment dans notre région avec une percée de mouvements intégristes révolutionnaires assez significative et où les conditions de la femme et les droits des femmes étaient sujets à être remis en cause, la volonté du chef de l’Etat de le consolider fut ferme.
Le président Ben Ali a ainsi confirmé et parachevé ce qui a été réalisé en matière de droits des femmes. Ce n’était donc pas les droits des femmes qui étaient menacés, mais ceux de la nation tout entière. La portée, aussi, explicite de l’importance du Code du statut personnel et de ses répercussions sur la vie du citoyen tunisien, a mis en valeur que ce Code devait être préservé et amélioré, pour répondre aux nouvelles obligations de la nouvelle étape annoncée par le Changement du 7 novembre. Cette étape a été fondamentale pour la Tunisie moderne, afin de la préserver de toute aventure. En effet, si elle n’avait pas eu lieu, la Tunisie aurait pu basculer. Mais les femmes étaient présentes au lendemain du 7 novembre 1987; elles avaient manifesté en masse, elles ont volontairement adhéré au projet de société annoncé par le président Ben Ali et témoigné qu’elles étaient conscientes de ce qui a été réalisé jusqu’à lors, qu’elles refusaient toute remise en cause de leurs droits.

Tradition et modernité
On a parfois le sentiment qu’en dehors de la Tunisie, l’évolution du statut de la femme et de la société tunisienne est méconnue ou mal appréciée…

Je crois qu’il y a des deux. On sait que la Tunisie a beaucoup fait en matière des droits des femmes, mais on ignore la portée réelle de la chose. Certains l’ignorent, volontairement; d’autres pas. Les gens ont tendance à mettre tout le monde dans le même sac et à classer, schématiquement et arbitrairement, les régions et les peuples. Ils ont parfois la tentation de ne pas vouloir reconnaître ce qui a été réalisé ou considérer que l’on en a déjà assez parlé et qu’il va falloir s’intéresser à d’autres pays qui tentent d’avancer dans le domaine de la femme.
En fait, l’évolution sociale de la Tunisie que l’on pourrait qualifier de progrès dans l’authenticité, va à l’encontre de certains clichés qui voudraient ignorer qu’un pays arabo-musulman puisse s’engager sur la voie de la modernité, tout en préservant ses valeurs et son identité. Combiner la tradition et la modernité est le grand enjeu. C’est pourquoi, je pense qu’il est important de mettre en évidence tout ce qu’il y a de positif dans l’expérience tunisienne au sein du monde arabe et musulman.

Pour les causes arabes
Précisément, quelle est la position de la Tunisie dans le monde arabe?

Le monde arabe, est notre appartenance naturelle et objective. La Tunisie est soucieuse du fait que le monde arabe peut constituer une entité et avoir une politique intra et inter-arabe aussi bien économique que culturelle, qui pourrait l’aider à se positionner dans un monde où les grands ensembles et les entités se constituent avec des choix stratégiques importants. Il faut donc être capable de construire un grand ensemble de coopération et de mise en valeur de nos atouts complémentaires.
Par ailleurs, la Tunisie a toujours défendu une politique engagée pour les causes arabes: la Palestine, la dramatique situation en Irak et la guerre au Liban, l’été dernier. En outre, la Tunisie agit pour faire en sorte que le droit international prime et soit bien équilibré. Nous sommes con-vaincus que l’application du droit international aiderait à réduire et à amoindrir les conflits et les tensions un peu partout dans le monde.
Enfin, la Tunisie est soucieuse de la souveraineté de chaque Etat dans ses décisions, ses choix et, partant, elle ne s’ingère pas dans les affaires internes des Etats, si proches et chers qu’ils soient. C’est un principe fondamental dans la politique étrangère de la Tunisie. Elle joue le rôle de conseiller, essaye d’aider là où son avis peut mener vers le bien du pays et de la cause, sans pour autant se substituer aux partis concernés directement.

Rapprocher les deux rives de la Méditerranée

La Tunisie opte, résolument, en faveur d’une coopération avec la rive nord de la Méditerranée…
Bien sûr, il faut renforcer les liens entre les deux rives de notre mer commune. Concernant l’Europe, la Tunisie y est associée sur le plan économique par d’importants accords. Notre relation avec ce continent est historique. L’Europe et, notamment la France, est notre voisine et notre partenaire. Ces relations sont anciennes et nous avons su garder des rapports économiques, sociaux et politiques.
Du point de vue géopolitique, la Tunisie est très proche du continent européen. Nous avons, de ce fait, des intérêts en commun et des échanges permanents. Il y a une politique européenne méditerranéenne qui nous implique et nous interpelle directement. La politique européenne de voisinage nous concerne et nous y sommes très attentifs. Il existe un véritable partenariat d’échanges mutuels entre la Tunisie et l’Europe.
En général, la Tunisie a toujours eu une politique pacifiste d’échanges et cherche à faire fructifier au maximum les rapports avec tous les pays du monde. L’essentiel est de pouvoir profiter et faire profiter de tout ce qui peut aider à instaurer de bons rapports entre les pays, dans le souci de créer une politique de solidarité d’échanges et de développement solidaire. En même temps, c’est le bon moyen de faire progresser le dialogue des civi-lisations. Rapprocher les deux rives de la Méditerranée est une ardente obligation. La Tunisie, comme le Liban, peuvent y contribuer.

L’évolution tranquille
Sur le plan intérieur, où en est le processus de démocratisation en Tunisie?

Tout d’abord, quand on réalise de grands projets, il y a toujours des satisfaits et des mécontents. Chacun peut exprimer son point de vue, à condition de le faire d’une manière honnête et sincère. Je ne parle, évidemment, pas des groupuscules extrémistes qui sont manipulés par l’étranger et n’ont d’autre objectif que de semer la discorde et la violence. Une opposition ne peut être prise en considération que si elle vit la réalité des faits. Une opposition qui suit, participe au parlement dans la Chambre des conseillers et les communautés locales, s’investit dans la solution des problèmes nationaux. Etre dans l’opposition, c’est aider la société à aller mieux et non exister rien que pour critiquer sans édifier. Rester dans une tour d’ivoire et lancer des discours sans fondement, ne peuvent que discréditer ce genre d’opposition. Les thèses d’une telle opposition systématique sont arrêtées d’avance et sont non concluantes. Dans un esprit cartésien, on pose la problématique, on arrête les aléas on établit la thèse et donc on fait la synthèse. Si la synthèse est déjà arrêtée avant la thèse et l’antithèse, à mon avis il y a un grave problème.

Ben Ali est à l’écoute du peuple
L’opposition existe dans les institutions élues; elle doit montrer sa crédibilité. Nous avons débattu, dernièrement, du budget de l’Etat, ce qui permet d’approfondir toute l’analyse nécessaire sur les points forts, les défaillances et les améliorations à apporter. Le débat est ouvert, franc et démocrate.
En outre, le président Ben Ali a déclaré dans les dernières réformes annoncées à l’occasion du 19ème anniversaire du changement, que le pays veut accorder de nouvelles prérogatives à la commission des droits de l’homme, pour être à l’écoute du citoyen. Lui donner la possibilité de visiter les prisons sans préavis, de faire des rapports sur toutes les questions qui leur parviennent et nécessitent une enquête appropriée; ensuite, de lui faire part directement de leurs observations sans passer par le ministre de la Justice, ni celui de l’Intérieur.
D’autre part, notre politique se base sur des consultations nationales. Dans les 19 dernières années, des chantiers énormes ont été mis en place. Le principe de la consultation est développé, car le souci du président Ben Ali est d’être, avant tout, à l’écoute de son peuple. Des consultations nationales ont été mises en place concernant l’enseignement, les jeunes, l’agriculture, la culture, la formation professionnelle, etc. Nous sommes à notre XIème plan de développement, toutes les décisions sont prises à partir des consultations locales ensuite régionales et nationales. Nous partons du terrain et du concret, ainsi que des attentes du citoyen et de chaque individu.
Nous ne prétendons pas avoir tout réussi, ni avoir réalisé le parfait parcours. Nous avons nos réussites, mais nous avons conscience que nous avons, aussi, nos insuffisances. Il nous faut encore améliorer beaucoup de choses pour aller de l’avant. En tout cas, dire que rien ne marche, relèverait de la mauvaise foi. Il est indéniable que la Tunisie évolue chaque jour davantage.

 
Zeina el-Tibi
(Envoyée spéciale à Tunis)
 
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4088 Du 13 Au 20 Janvier 2007
 
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