“Exodus” de Greta Naufal à l’Institut Goethe
Une œuvre prémonitoire

L’Institut Goethe (situé à Manara) organise une exposition des dernières œuvres de l’artiste plasticienne, Greta Naufal, intitulée: “Exodus”. Le vernissage était prévu le lundi 13 juin à 18 heures, au moment de l’attentat meurtrier à la bombe, qui a eu lieu, dans la région de Manara, à environ cinq cent mètres, à vol d’oiseau, de l’institut, secouant les environs, semant la terreur et ayant coûté la vie au député Walid Eido, à son fils et à une dizaine d’innocents.

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L’exposition comporte une installation interactive, intitulée: “Nécessité de partir et difficulté à quitter”, qui incite à la réflexion sur ce dilemme vécu par tous les Libanais, ainsi qu’un ensemble d’œuvres en mixed médias, technique inkjet. Une série d’activités artistiques accompagnaient l’inauguration:
I - A l’ouverture, un concert jazz avec Trio Arthur Satayan, suivi d’une lecture de textes en anglais par le dramaturge et metteur en scène Nagi Sourati
2 - A la clôture, lecture d’un texte de Mahmoud Darwiche en arabe, par Nassri Sayegh, suivie d’une performance par Lina Abyad.
Incidence ou prémonition, dans son poème de présentation de l’exposition, paru dans le catalogue, Greta Naufal a notamment affirmé:
“L’exode, c’est un peu la mort, si ce n’est pas la mort.
Etre obligé de partir sans plier bagage
L’exode, c’est un peu l’enfer si ce n’est pas l’enfer.
C’est l’image du désastre, si ce n’est pas le désastre.
Le monde est plus que malade aujourd’hui.
L’esprit saturé d’horreur, je ne vois que des ruines.
Ruines du présent qui s’ajoutent à celles du passé. Celles du futur viendront s’y ajouter.
Ruines sur ruines et les morts qui s’entassent sur les morts.
Est-ce notre humaine condition? J’appelle au silence.”

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œuvres marquées par la fatalité
Plasticienne au talent confirmé, qui a déjà organisé de nombreuses expositions de ses œuvres, participé à des biennales et collectives à l’étranger, Greta Naufal est arrivée à l’art, tout armée de la maîtrise de son métier, en pleine possession de sa formation technique. Une habilité sans repentir l’a incitée à aborder des thèmes qui témoignent d’une certaine absence de timidité devant les données du réel et de celles de l’imaginaire. Aujourd’hui, elle semble torturée par le pressentiment du malheur qui plane sur le pays. Cette dernière exposition est un cri de révolte, (à l’instar du cri de Munch), une plainte qui s’enfonce au plus profond de l’âme. Préoccupée, grâce à sa sensibilité aiguisée, des bouleversements socio-politiques et des événements qui risquent de nous happer dans leurs vastes remous, elle exprime, à travers son art, la menace d’un effroyable destin qui pourrait nous engloutir. Les réalisations, notamment les mixed médias en noir et blanc, symbolisent le sentiment d’une aveugle et imprescriptible sentence, que les Libanais subissent sans la comprendre. L’être humain mutilé, démembré, déchiqueté, situé dans des espaces vides, des lieux désolés ou déstructurés… est l’un des symboles les plus marquants de cet événement plastique. C’est à travers un mode d’expression violent, que s’opèrent les incessantes transmutations des images et de l’installation interactive “Nécessité de partir et difficulté à quitter”.
Partout, l’imaginaire de Greta Naufal semble n’être que le substitut de ses sentiments prémonitoires. Ses œuvres, marquées par la fatalité, traduisent une angoisse liée au passé et au futur. En elles se laissent connaître, une sorte de nécessité préétablie, l’invisible et redoutable présence du destin à laquelle l’être humain est soumis et qu’il subit obscurément. Le passé et le futur, la vie, la guerre et la mort, les destructions, tout cela, qui se défait et se refait, opère, indivisiblement dans les réalisations, projetant sur les supports ou dans l’espace, des visions en formes, lignes et volumes, aux messages poignants.

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Équilibre entre la raison, l’imaginaire et l’instinct
Les sujets traités permettent à Greta Naufal, un inventaire de formes, de textures et de volumes dont les contrastes et accords engendrent des variations rigoureusement calculées. Chaque œuvre est une réalisation où on sent la volonté tendue, non l’effort; un équilibre entre la raison, l’imaginaire et l’instinct. Il y a toujours chez elle une forme de virtuosité qui donne à la plupart de ses réalisations, une apparence d’improvisation, mais cette improvisation n’est pas affectée; elle est voulue et son habileté est de bon aloi. Toujours et partout, son talent se manifeste au moyen d’une bonne technique, avec une autorité et une profondeur de conception remarquables. Elle nous communique le plus profond d’elle-même, c'est-à-dire tous les remous et mauvais pressentiments qui agitent son esprit et habitent son imaginaire. Ses œuvres attirent notre attention par ce rappel inexorable de l’artiste à son destin. Tout nous dit l’ardente anxiété devant l’avenir, le pressentiment du malheur, la révolte contre la mort, alors que le sentiment de la fatalité reste toujours présent à l’arrière-plan. Greta Naufal parle un langage dont l’accent personnel et la sincérité ne trompent pas. Et c’est là que son message atteint le spectateur. Son art est à la fois l’expression d’un témoignage de notre époque mais, aussi, la vision intemporelle d’un artiste qui parvient à allier son goût de la modernité la plus actuelle, à l’héritage de modes d’expression remontant plus loin dans le passé.
Il y a, dans la production de cette artiste plasticienne, je ne sais quel pouvoir hypnotique.

Par Nicole MALHAMÉ HARFOUCHE
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