Le contexte actuel est bien différent de celui de 1988 où le soulèvement populaire contre la junte birmane, au pouvoir depuis 1962, avait pour fer de lance les étudiants des universités. Il avait été réprimé dans le sang au prix de 3.000 morts. Mais depuis, quels que soient le degré de terreur ambiant, la mise au pas des journalistes, les technologies modernes de l’information à travers photos, vidéos, textes, véhiculées sur Internet, ont rendu impossible l’occultation de ce qu’on nomme désormais la “révolution safran”, par allusion aux images inédites qu’offrent tous les jours des dizaines de milliers de moines bouddhistes qui défilent en priant dans les rues de Rangoun et de dix autres villes de Birmanie rebaptisée Myanmar par la junte militaire. Plus qu’insolites, les images de ces colonnes de ces moines, en robe cannelle, safran ou rouge, encadrés ou rejoints par la population, traversant pieds nus sous la pluie les places publiques inondées, avec pour points de ralliement leurs pagodes, suscitent respect, admiration et émotion et redonnent de l’espoir à une population qui ne sait plus ce que signifient la démocratie et la liberté.

Rassemblement des moines devant la pagode de Shwegadon à Rangoun.
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Serait-ce pure coïncidence ou volonté délibérée de mener une révolution alors que le monde entier est réuni à New York pour la 62ème Assemblée générale des Nations unies et observe ce qui se passe en Birmanie? 192 Etats membres, 90 chefs d’Etat et de gouvernement sont dès lors témoins d’un soulèvement qui risque de tourner à la tragédie sanglante ou annoncer un espoir de liberté. La situation en Birmanie s’est de fait imposée à la première journée de l’Assemblée générale de l’ONU, occultant provisoirement le thème majeur de sa 62ème session et qui porte sur le réchauffement climatique.

Tête nue et pieds dans l’eau, rien n’arrête la
détermination des bonzes.
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Arrêt devant la résidence surveillée
d’Aung San Suu Kyi.
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Le changement par des moyens pacifiques
La contestation était déclenchée le 19 août par les opposants qui dénonçaient le doublement du prix des carburants et des transports en commun décidé sans préavis le 15 août et qui affectait cruellement la population vivant déjà avec moins d’un dollar par jour et dont un foyer sur quatre se trouve au-dessous du seuil de pauvreté. Le lien entre les mouvements pro-démocratiques et les aspirations des moines bouddhistes s’est fait rapidement. Désormais à l’avant-garde du mouvement, ces moines qui représentent la plus haute autorité morale dans un pays profondément religieux, sont descendus dans la rue pour défendre leurs concitoyens dans ce pays pauvre d’Asie du Sud-Est. Intouchables et vénérés par la population, ils mettaient profondément dans l’embarras la junte militaire surprise par l’ampleur de leur mouvement et hésitant à sévir.
Signe d’intolérance envers l’armée, les bonzes qui vivent d’aumône ont refusé celle des militaires, ce qui constitue un grave affront pour ces derniers. Assumant les pro-blèmes d’une population de plus en plus pauvre, ils se sont mis en colère notamment après la répression d’une manifestation le 5 septembre à Pakokku (centre du pays) exigeant des excuses de la part des autorités qui avaient déjà procédé à 150 arrestations.
Le spectacle quotidien des colonnes de bonzes rejoints par la population et grossissant à vue d’œil jusqu’à atteindre les 100.000 est devenu inquiétant pour les autorités, d’autant que de la contestation contre la vie chère a mené à d’autres revendications, la “marche pour le peuple” ayant pour corollaire “la réconciliation nationale”, la libération des prisonniers politiques (quelque 1.200) et le retour des libertés civiles.
La plus illustre des prisonniers politiques est Aung San Suu Kyi, (fille du général Aung San, héros de la guerre d’indépendance assassiné en 1947) prix Nobel de la paix, assignée à résidence depuis 2003 (et privée de liberté pendant 12 ans), cofondatrice en 1988 de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) qui avait largement remporté les élections législatives de 1990 et dont les résultats n’ont pas été reconnus, par la junte. Pour lui exprimer toute leur sympathie, à Rangoun 2.000 bonzes et civils ont fait un détour à l’avenue de l’Université au bord du lac Inya et se sont arrêtés devant sa résidence où ils ont récité cette prière: “Faisons en sorte d’être totalement libérés de tout danger, de toute douleur, de la pauvreté, et que la paix soit dans nos cœurs et dans nos esprits”. Aung a enfin fait une brève apparition, salué les bonzes et s’est mise à pleurer. Le lendemain, les bonzes ont tenté de revenir sur les lieux, mais des gardes armés avaient déjà bloqué la rue. Ce n’était qu’un bref intermède, Aung sera conduite dimanche à la prison d’Insein, information démentie par une source policière.

Première journée de la 62ème Assemblée générale des Nations unies.
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Bush annonçant de nouvelles sanctions
contre la junte.
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Un pays sous observation
100.000 manifestants rien qu’à Rangoun, des défilés quotidiens qui s’achèvent par des prières dans les pagodes, les événements risquaient sérieusement de retourner la situation, Les militaires ont commencé à réagir. “Si les moines vont à l’encontre des règles et règlements d’obéissance aux enseignements bouddhistes, nous prendrons des mesures conformément à la loi existante”, a menacé le ministre des Affaires religieuses, le général Thura Myint Maung. En effet, les mesures n’ont tardé. Dans la nuit de mardi à mercredi, la junte militaire a imposé un couvre-feu de 21h à 5h et fait de Rangoun et ses environs de même que de Mandalay, deuxième ville du pays, une zone d’accès restreinte, c’est-à-dire une zone militaire ou de combat. Des soldats et des policiers antiémeute ont été déployés à bord de véhicules en certains endroits sensibles.
On craint désormais un scénario machia-vélique. Selon l’organisation Burma Campaign UK siégeant à Londres, des soldats pourraient se déguiser en moines après s’être rasé le crâne et avoir enfilé des tuniques cannelle et risquent de s’infiltrer parmi les manifestants, multiplier les provocations et entraîner une répression sanglante. 3.000 tuniques de bonzes auraient été commandées par la junte.
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A l’autre bout du monde, tous les regards sont braqués sur la Birmanie qui a volé la vedette au président iranien Ahmadinejad (lequel a défendu encore une fois le droit de son pays au nucléaire civil, estimant le dossier clos). Depuis la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, George W. Bush s’est dit “outré” par ce qui se passe en Birmanie, annonçant que “les Etats-Unis vont renforcer les sanctions économiques contre les dirigeants du régime et ceux qui les soutiennent financièrement”. L’interdiction de visa touchera “les responsables des violations des droits de l’Homme les plus flagrantes ainsi que leurs familles”. Ses inquiétudes étaient partagées par les grands dirigeants exprimant leur sympathie au peuple birman “qui mérite de vivre en liberté” comme l’a répété Condoleezza Rice.
Des sanctions frappent déjà le régime birman. Mais elles sont contournées par l’Inde et la Chine et certains pays du Sud-Est asiatique. La prudence est de mise dans tous ces pays. L’Inde voisine estime qu’il est “trop tôt pour dire quoi que ce soit”, tandis que la Chine principal partenaire du Myanmar se contente de souhaiter “la stabilité et le développement économique” du pays, craignant que la révolution birmane en cas de réussite ne vienne bouleverser l’ordre établi chez elle. Pourtant, acteur essentiel, elle pourrait jouer un rôle modérateur dans la gestion de la crise, alors qu’elle se prépare aux Jeux olympiques et qu’elle veut offrir au monde un nouveau visage, bien loin du triste souvenir de la place Tiananmen. |