Vendredi 23 novembre, à minuit, le Liban est entré dans le vide que le monde entier et les Libanais n’ont pas réussi à éviter. Le mandat prorogé du président Emile Lahoud a pris fin. Après neuf ans à la magistrature suprême, le président sortant a quitté le palais de Baabda sans remettre les rênes du pouvoir à son successeur, laissant la République pour la deuxième fois dans l’Histoire du pays, sans président. En 1988, le mandat de l’ancien chef de l’Etat, Amine Gemayel s’était, également, terminé par la non-élection d’un président et la formation d’un gouvernement transitoire présidé par le général Michel Aoun.

Le président Lahoud saluant les journalistes.
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Le président quittant pour la dernière fois le palais de Baabda.
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Le pays du Cèdre est depuis entré dans une phase, probablement la plus critique qui soit, après l’accord de Taëf, surtout que le fossé semble se creuser de plus en plus entre les protagonistes, aggravé encore par la conférence d’Annapolis à laquelle le cabinet Sanioura a décidé de se faire représenter, malgré l’opposition du Hezbollah et du mouvement Amal. Ainsi, le désarroi, particulièrement au niveau maronite, suscité par l’impossibilité d’élire un nouveau président dans le délai constitutionnel, s’est petit à petit transformé en une appréhension de voir cette vacance se prolonger, si les donnes ne changent pas rapidement.
Dans la nuit du 23 au 24 novembre, aux alentours de 11 heures 50, le président Emile Lahoud sort du palais de Baabda entouré de sa garde rapprochée. La fanfare salue sa sortie en exécutant l’hymne national, alors que la garde républicaine lui rend une dernière fois, les honneurs en tant que chef de l’Etat libanais. Saluant un à un les militaires, fonctionnaires et membres du personnel qui l’ont accompagné durant les années de son mandat, le président Lahoud plaisante avec les journalistes et les photographes qui ont squatté les lieux depuis le matin pour immortaliser ces instants historiques.

Les derniers honneurs rendus au président sortant.
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A Tarik Jdidé, une foule joyeuse célèbre le départ d’Emile Lahoud.
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“J’ai maintenant tout mon temps”, lance-t-il à leur adresse. Peu avant son départ, il affirme que “le prochain président doit être fort, consensuel et élu avec un quorum des deux tiers des députés”. Rappelant que l’actuel gouvernement est anticonstitutionnel, “quoi qu’en disent les Etats-Unis ou la France”, il souligne que “le chaos sera au rendez-vous, si ces conditions ne sont pas remplies.”
Puis, il s’engouffre dans sa voiture, mettant un terme à un mandat hautement contesté et impopulaire. Quadrillé par l’Armée, le Grand Beyrouth, anormalement désert, encaisse amèrement le coup. L’inévitable s’est produit. Mécontents de l’incapacité de la classe politique, particulièrement maronite, de s’entendre sur un successeur, inquiets face au risque de voir le blocage politique dégé-nérer en incidents sécuritaires, de nombreux Libanais sont restés chez eux, suivant avec appréhension les nouvelles. Seule Tarik Jdidé, fief du Courant du futur, a célébré le départ du président sortant. Des dizaines de personnes en liesse ont investi les rues de la localité, dansant et scandant des cris d’appui au député Saad Hariri, alors que des fleurs ont été distribuées et que des feux d’artifice ont illuminé le ciel de la région.
Par ailleurs, à l’heure où les spéculations allaient bon train et que la nature des mesures que pourrait prendre le président au cours des dernières heures de son mandat, leur légitimité et les limites de ses prérogatives constitutionnelles alimentaient la polémique, le président Lahoud s’est contenté de publier, environ quatre heures avant son départ, un communiqué dans lequel il charge l’Armée “de maintenir l’ordre sur l’ensemble du territoire” et place “toutes les forces armées sous le commandement de l’Armée libanaise, dès le 24 novembre 2007”.
L’état d’urgence rejeté par le Cabinet
Lu par Rafic Chélala, conseiller de presse, le communiqué souligne que le président Lahoud a fondé sa décision sur les articles 49 et 50 de la Constitution, sur le décret-loi 102/83 et la loi de la défense nationale. “Comme le mandat du président actuel expire le 23 novembre à minuit, comme le gouvernement a perdu sa légitimité et ne peut donc excercer le pouvoir exécutif et comme son défaut de légitimité entache également le fonctionnement du haut Comité de la défense nationale et eu égard aux dangers qui pèsent sur le pays, le président de la République estime que les conditions de l’état d’urgence sont réunies. Il a donc décidé de charger l’Armée de préserver la sécurité et de placer l’ensemble des forces armées sous son commandement. L’Armée devrait rendre compte des mesures qu’elle a prises devant le prochain Cabinet légitime et constitutionnel”.
Cependant, réuni au Grand Sérail pour débattre des conséquences du vide présidentiel, le Cabinet Sanioura a rejeté la décision du président sortant, la qualifiant de “non valable et ne pouvant émaner que du Conseil des ministres conformément à la Constitution.”
Dans une mise au point publiée en soirée, le bureau de presse de la présidence du Conseil souligne: “Le paragraphe 65 de la Constitution stipule, clairement, que la proclamation de l’état d’urgence relève du Conseil des ministres”. Et justifiant le rejet, il précise: “La déclaration du président manque de bases constitutionnelles et légales, sans compter que l’état d’urgence selon les dispositions de l’article 1 du décret-loi 52/67, est proclamé quand le pays fait face à un danger imminent”. Et d’estimer que “indépendamment de la validité constitutionnelle des arguments avancés par le chef de l’Etat, les circonstances justifiant la proclamation de l’état d’urgence ne sont pas réunies”, avant d’ajouter: “M. Lahoud vise à donner aux Libanais l’illusion que le pays tout entier est en grand danger, alors qu’en réalité, l’Armée maintient la sécurité, sans compter que le gouvernement, qui est constitutionnel et légitime, continue à assumer ses responsabilités.”
Il convient, également, de noter que Hassan Sabeh, ministre de l’Intérieur a publié un communiqué à 1 heure du matin du 24 novembre, dans lequel il a rejeté la proclamation de l’état d’urgence et a tranquillisé les Libanais les invitant “à poursuivre leur vie de manière ordinaire”.
Mandat contesté
Cela dit, le président sortant Emile Lahoud a clôturé son mandat entouré de ses proches. En effet, il a suivi le déroulement de la réunion ministérielle en direct sur écran, reçu des appels téléphoniques et les adieux de plusieurs personnalités politiques. Isolé, boudé depuis 2005 par les pôles loyalistes et les représentants de la communauté internationale, il a refusé de démissionner ou de s’incliner devant les pressions qui pesaient sur lui. Acclamé lors de sa prise en charge de ses fonctions à la tête de l’Etat en 1998, son mandat a rapidement tourné à un bras de fer avec l’ex-Premier ministre-martyr Rafic Hariri.
Invectivé et décrié, il a dû essuyer une vague de protestations et de refus notamment après la prorogation de son mandat en septembre 2004. Mais depuis l’assassinat de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri en 2005, les choses n’ont fait qu’empirer. Montré du doigt, il a pourtant campé sur ses positions, réitérant son appui inconditionnel à la Résistance. Une attitude qu’il a renouvelée la veille de son départ en rendant hommage au Hezbollah “qui a tenu tête à Israël”. Sachant que deux jours auparavant, le président Lahoud avait reçu une délégation du Bloc de la fidélité à la Résistance, présidée par le député Mohamed Raad. Il a, également, reçu le député hezbollahi, Hussein Hajj Hassan, à la tête d’une délégation de présidents de conseils municipaux de Baalbeck-Hermel.
A souligner, aussi, que la Direction générale de la présidence de la République a adressé une missive au secrétariat général du ministère des Affaires étrangères, l’intimant d’informer les ambassadeurs des Etats concernés par la conférence d’Annapolis de la position du Liban à cet égard. Ladite lettre insiste sur le droit au retour des Palestiniens et l’attachement du Liban à l’initiative arabe présentée lors du sommet arabe de Beyrouth. |