Qui piège le monde arabe? Les dossiers explosifs et complexes feront ployer la table du sommet arabe. D’aucuns disent que bien de ces problèmes s’inscrivent dans la case de l’impossible, d’autant qu’ils sont anciens. Est entrée en ligne une série sombre menaçant de plus de cadavres, de confrontations et de complexités locales et régionales. Elle ressemble à une guerre d’un genre nouveau que Donald Rumsfeld a qua-lifiée, du temps où il était à la tête du Pentagone; “d’incendies de forêts”. Et après sa sortie de la “citadelle”, il rectifie en disant c’est une “guerre des villes”, alors qu’il se trouvait à Bagdad.
Depuis l’occupation de l’Irak, la lecture dans le scénario est possible et n’a pas besoin de totems pour le déchiffrer: dislocation du monde arabe en sectes et tribus, afin de vider le conflit arabo-israélien de son contenu et le projet de l’Etat palestinien autonome. De là, cet effroyable condominium entre les cheikhs des tribus et des sectes, les ulémas de ce temps alors que les bouches des élites ont été mises sous scellés. D’où cette tragédie grecque qui rend justice à tous ceux qui ont cru que l’effondrement est l’unique chemin macadamisé devant les Arabes.
Ainsi se sont exprimés l’orientaliste Bernard Louis, André Miguel, Mohamed Arkoum, Jalaleddine Ben Cheikh et Jacques Attali, en recevant cet amalgame honteux et suspect entre les slogans et les symboles. C’est la ligne de démarcation avec l’inconnu, dit notre ami Clovis Maksoud, qu’inquiète les politiques de la jungle, appelant à modifier les règles du jeu au lieu de les restaurer.
Maurice Duverger, le penseur historique, a imaginé que l’homme-chef, l’homme-gouvernail et l’homme-boussole, est celui qui joue et bouge au point de rencontre entre le génie des circonstances et le génie de la cause. Ainsi était Yasser Arafat. Ahmed Choukairy avant lui n’était pas de ce poids. Ni Hajj Amine Husseini. Après lui, Mahmoud Abbas paraît avoir une efficacité et un rôle limités comme s’il jouait au point perdu entre “Hamas”, Israël et l’Amérique. Naturellement, l’Histoire ne se réitère pas mécaniquement, de même que les hommes. C’est pourquoi, des solutions sont proposées à la crise opposant “Hamas” à l’autorité de Abbas; la première consiste à dissoudre l’Autorité nationale et à la remplacer par des institutions placées sous la tutelle internationale, comme c’est le cas aujourd’hui du Kosovo serbe.
Je ne cache pas que cette orientation, si elle est concrétisée sur le terrain, pave la voie à l’Etat et sauve les Palestiniens d’un triste sort. L’effort doit être déployé dans ce sens et pour la première fois depuis soixante ans de la défaite palestinienne qui s’est transformée en la dernière occupation du siècle. Des milieux internationaux et arabes, envisagent, discrètement, l’envoi de forces américaines en Palestine pour séparer les forces en présence et protéger les lignes qui deviendraient dans cinq ans, selon la “feuille de route”, les frontières de l’Etat palestinien autonome. Cela signifie en cas de sa réalisation, la fin du rêve biblique juif du “Grand Israël” groupant la Judée et la Samarie, c’est-à-dire la Cisjordanie allant de la mer jusqu’au fleuve (du Jourdain). Il est naturel qu’Olmert rejette ce déploiement de forces, en dépit de son incapacité d’extirper “Hamas” et le “Jihad islamique”. De même, les islamistes palestiniens n’approuveront pas cette échappatoire, parce qu’elle signife la consécration de “l’entité sioniste”, alors que leur idéologie vise à éliminer Israël et prévoit le retour aux frontières historiques de Palestine, soit de la mer au fleuve.
Seule l’Autorité nationale réclame des contrôleurs et des forces d’interposition et, avec elle, l’Union européenne et une large fraction de l’opinion publique israélienne, l’Administration US et le Congrès s’étant montrés disposés à examiner cette question, son option ayant été reflétée par l’éminent commentateur Friedman, dans une analyse ayant pour titre: “Pourquoi n’enverrons-nous pas des forces d’interposition américaines entre les Israéliens et les Palestiniens, comme nous l’avons fait en Irak pour mettre fin au régime de Saddam Hussein?”
Le chaos économique sévit plus que jamais avec l’opportunisme politique, certaines so-ciétés arabes subissant de profondes secousses. Que feront les chômeurs et les pauvres? Et ceux qui rêvent d’une situation sociale équilibrée? Comment les partis, les syndicats et les associations se sont-ils métamorphosés en formations pour la parade? Il ne fait pas de doute que les Américains “qui reçoivent la malédiction arabe” matin et soir comme s’ils étaient les seuls responsables de notre échec (où est notre propre responsabilité?), sont très heureux de ce phénomène qui paralyse des sociétés arabes, poussant les élites soit en prison, soit en exil. C’est pourquoi, les crises politiques ont engendré des crises socio-économico-culturelles graves. Ce à quoi a fait allusion le sommet saoudo-égyptien de Charm el-Cheikh, en se prononçant en faveur de la solution en Palestine comme base de la reconstruction, dans le sens indiqué par le général De Gaulle à la fin des années cinquante du siècle dernier, ainsi que Bismarck et Jean Monnet, artisan de l’unité européenne.
Le cerveau arabe était placé en dehors de la glacière et il est maintenant à l’intérieur. Et au lieu d’éradiquer le modèle des talibans en Afghanistan, il est procédé à son importation à Gaza et ailleurs, alors qu’autour de nous le monde évolue, les forces vives de la petite patrie étant disposées à affronter toutes sortes d’épreuves. Il faut après cette grande guerre que s’élève la fumée blanche pour proclamer le Liban comme zone située en dehors de l’explosion des volcans. C’est que le temps du sauvetage n’a pas pris fin. Un certain jour Edward Saïd a écrit sur “l’ogre qui est parmi nous” et appelé à s’en débarrasser par l’action politique, comme l’ont imaginé de grands hommes du Liban, loin du machiavélisme. L’Orient adopte ces valeurs ou vieillit, parce que “le globe terrestre n’a pas changé sa rotation”, comme observe André Fontaine. Autrement dit, il existe toujours des vérités, une justice, une équité et des collectivités prêtes à les défendre face à leurs ennemis.
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