Après la Békaa, embrasement intercommunautaire
à Jabal Mohsen et Bab el-TebbanehLe calme rétabli à Tripoli

Un calme précaire règne à Tripoli. Deux jours après les violents affrontements qui ont éclaté entre des éléments armés sunnites et alaouites à Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen, les forces de l’ordre ont stabilisé la situation dans la capitale du Nord. Des unités conjointes de l’Armée et des FSI ont ainsi renforcé leur contrôle sur les zones de combats, à l’heure où le commandement de la troupe a, dans un communiqué, averti les belligérants que les soldats n’hésiteraient pas à ouvrir le feu pour réprimer toute infraction à l’ordre public. N’empêche que ces mesures n’ont pas réussi à occulter les appréhensions croissantes quant aux tensions interconfessionnelles et les menaces de voir de nouveaux fronts s’embraser dans d’autres régions. D’autant plus qu’un véritable nettoyage sectaire a commencé dans la nuit de mardi à mercredi à Tripoli. En effet, des actes de vandalisme à caractère sectaire ont éclaté à Jabal Mohsen et Bab el-Tebbaneh. Selon les responsables du quartier alaouite, les miliciens sunnites ont incendié plus de 80 appartements appartenant à des alaouites dans les zones qu’ils contrôlent. Les miliciens sunnites ont, pour leur part, assuré que les hostilités ont débuté à Baal Mohsen.

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photo Un milicien dans le feu de l’action.

Lundi après-midi, après deux jours de violents combats durant lesquels les tensions interconfes-sionnelles larvées ont révélé la gravité de la situation sécuritaire, l’Armée s’est déployée en masse dans la région de Tripoli. Plusieurs unités de la troupe dont les Maghawir se sont postées, dès 16 heures, dans les zones des combats qui ont fait 10 morts et une cinquantaine de blessés et provoqué l’exode de plusieurs familles, ainsi que de nombreux dégâts matériels dans les bâtiments et véhicules.
Le déploiement des soldats, planifié par le général Nabil Karaa, directeur des opérations de l’Armée envoyé sur place, a été précédé par un avertissement de l’institution militaire qui a menacé “de réprimer par la force toute infraction à l’ordre public et tout déploiement d’éléments armés”.

photo Un milicien encagoulé.

photo Des miliciens courant dans la rue.

Dans un communiqué qu’elle a publié en fin d’après-midi, la troupe a averti que “toute infraction à l’ordre public et tout déploiement d’éléments armés seront réprimés, même si cela devait mener la troupe à recourir à la force. “L’Armée, poursuit le communiqué, a renforcé ses unités dans les zones des combats et installé un dispositif de sécurité pour garantir le calme et mettre un terme aux atteintes contre les personnes et les biens.”
Le cessez-le-feu entré en vigueur, la vie a repris ses droits dans la ville nordiste. Les Tripolitains ont enterré leurs morts et inspecté leurs maisons, à l’heure même où les commerces ont rouvert leurs portes et où les forces conjointes complétaient leur déploiement à Bab el-Tebbaneh, Jabal Mohsen, Bab el-Ramel, Kobbé et rue al-Baqqar.
L’arrêt des affrontements a révélé au grand jour l’ampleur des dégâts survenus dans les zones de démarcation entre les belligérants. Des dizaines d’habitations sont totalement ou partiellement détruites ou incendiées. Des dizaines de commerces ont été pillés et incendiés.

photo Les incidents ont provoqué d’énormes dégâts matériels.

photo L’Armée patrouillant en force à Bab el-Tebbaneh.

Provocations et rumeurs à l’origine de l’embrasement
Rappelons que c’est dimanche, à l’aube, que les affrontements à l’artillerie lourde ont éclaté entre Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen, avant de s’étendre jusqu’aux quartiers de Kobbé et Malloula, paralysant la ville de Tripoli. Si jusque-là, il est impossible de déterminer l’identité des instigateurs et les raisons à l’origine de cet embrasement, il n’en demeure pas moins que la ville vivait depuis une semaine au rythme des rumeurs et des provocations. Les habitants des deux quartiers dont les querelles politico-confessionnelles remontent à plus de 35 ans, s’attendaient plus ou moins à une recrudescence de la violence et se sont, à maintes reprises, plaints auprès de l’Armée. L’enquête menée a révélé qu’une troisième partie a véhiculé des rumeurs selon lesquelles “des cheikhs salafistes ont prêché dans les mosquées et distribué des tracts menaçant d’évacuer les habitants de Jabal Mohsen jusqu’en Syrie avant d’envahir et contrôler le Jabal”.

photo La troupe a menacé d’ouvrir le feu sur tout élément armé.

photo Une femme inspectant les dégâts dans sa maison.

Cela dit, en dépit des médiations et de cinq accords successifs de cessez-le-feu conclus dans la nuit de dimanche, les combats entre les miliciens sunnites et alaouites se sont poursuivis tout au long de la nuit de dimanche à lundi et durant la journée de lundi. Ainsi, après une accalmie de quelques heures grâce à un accord qui prévoyait le retrait des miliciens et le déploiement de l’Armée, les accrochages se sont poursuivis au lance-roquettes et à l’arme automatique. Ignorant les appels au calme et à la retenue, les miliciens ont poursuivi leur guerre. Ainsi, lundi, aux premières lueurs de l’aube, des bombardements massifs à l’artillerie lourde ont été enregistrés. Parallèlement, des francs-tireurs postés sur les toits de part et d’autre, ont fait plusieurs victimes dont deux militaires. Plusieurs maisons et une station-service ont pris feu, au moment où la troupe prenait position autour de la zone pour contenir les violences.
Lundi, tôt dans la matinée, cheikh Malek el-Chaar, mufti de Tripoli, est de nouveau entré en contact avec le président de la République Michel Sleiman lui exposant la situation et appelant l’Armée à intervenir de manière à permettre aux élèves candidats aux épreuves officielles de se rendre à leurs centres d’examen.

photo Plusieurs véhicules ont été endommagés ou calcinés.

photo Le mufti de Tripoli,
cheikh Malek el-Chaar.

Suite à cet appel, le général Nabil Karaa, directeur des opérations de l’Armée, accompagné d’officiers supérieurs, s’est rendu au Nord où il a tenu une réunion au siège de la caserne de Kobbé avec les chefs des factions armées et des représentants du Parti arabe démocratique, de “Afwaj Tarablos” et du comité sécuritaire de Bab el-Tebbaneh en présence du colonel des FSI, Bassam al-Ayoubi. Alors que les heurts se poursuivaient, les médiations et réunions se sont poursuivies jusqu’à 13 heures, heure à laquelle l’Armée a annoncé sa décision de se déployer en force, en collaboration avec les FSI dans les zones des combats à partir de 16 heures. Toutefois, les affrontements n’ont pas cessé. Au contraire, leur intensité a atteint un point culminant peu avant 16 heures, lorsque Bab el-Tebbaneh a essuyé de violents bombardements d’obus de mortiers et de roquettes. Néanmoins, vers 16 heures, les armes se sont tues et les unités d’élite des forces de l’ordre ont pu se déployer.

Appels pour contenir l’insécurité itinérante
Survenus une semaine après les accrochages de Taalabaya et Saadnayel, les accrochages de Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen ont suscité l’inquiétude des Libanais et soulevé une vague d’indignation dans les rangs des loyalistes dont certaines figures ont fait allusion à une éventuelle implication du Hezbollah.
Moustapha Allouch, député du Courant du futur, a ainsi estimé que “l’intensité des bombardements, indique que les incidents ont été préparés depuis longtemps. Nous avons des preuves que le Hezbollah a fourni armes et entraînement militaire à des parties basées à Jabal Mohsen”, a-t-il dit.
Le député du Bloc tripolitain, Mohamed Kabbara a inscrit les incidents de Tripoli dans le cadre “d’un plan concocté par le Hezbollah pour imposer un fait accompli aux Libanais et entraver tout compromis ne convenant pas aux forces qui détiennent les armes et visent à contrôler le pays et le peuple”.
Saad Hariri, chef du Courant du futur, a adressé un appel au calme à ses supporters dans le Nord, les invitant à “faire front uni contre les violences intercommunautaires... Je suis solidaire des habitants de Tripoli, qui sont victimes d’un complot dont le but est de porter atteinte à leur sécurité. Tripoli, qui a subi de nombreuses agressions par le passé, est appelée aujourd’hui à s’unir contre les divisions et à adopter le langage de la foi et de la solidarité face à celui de la violence et des armes”, a dit le député de Beyrouth, avant d’ajouter: “J’appelle les Tripolitains à rester patients face à ceux qui tentent de semer la discorde, se soumettant aux directives de forces étrangères. Je les exhorte à coopérer avec les représentants de l’Etat, notamment avec l’Armée et les FSI qui seuls, peuvent restaurer le calme et arrêter les coupables. L’Etat est notre unique refuge et nous sommes déterminés à mettre en échec tout projet de guerre civile”, a-t-il conclu.
De son côté, l’ancien Premier ministre, Najib Mikati a condamné “l’insécurité itinérante” invitant à traduire les fauteurs de trouble devant la justice. Le mufti de la République, cheikh Mohamed Kabbani a, pour sa part, insisté sur “la nécessité de retirer les armes de l’ensemble du territoire, afin de renforcer l’ordre et de rester attaché à l’Etat, unique garant de la stabilité nationale”.
Hussein Hajj Hassan, député du Hezbollah, a, quant à lui, appelé à former un gouvernement d’union nationale pour permettre aux forces de l’ordre de mettre fin aux incidents.

Micheline Abi-Khalil
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4164 Du 28 Juin Au 5 Juillet 2008
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