Le monde arabe et le Septième art sont en deuil. Hospitalisé en juin dernier pour une hémorragie cérébrale, le cinéaste égyptien Youssef Chahine, prix du Cinquantième anniversaire du Festival de Cannes en 1997, est décédé dimanche 27 juillet à l’aube, à l’âge de 82 ans, à l’hôpital militaire de Maadi (banlieue du Caire), après six semaines de coma et de sursis entre la France et l’Egypte. Ses funérailles ont eu lieu lundi en la cathédrale grecque-catholique du Caire. Puis le cinéaste a été enterré dans le caveau familial à Alexandrie, la grande ville du Nord où il est né.
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Photos d’archives de Youssef Chahine à Paris en 1977.
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Avec la disparition de Youssef Chahine, réalisateur, scénariste et producteur, le monde du cinéma perd un créateur qui a marqué de son talent et de son art la production arabe depuis les années 50 par son œuvre à la fois fiévreuse, intimiste et politiquement engagée. Cet homme à la fois jovial et survolté, s’est insurgé contre l’islamisme, lui qui a connu dans son enfance une Egypte tolérante, multi-ethnique, où les chrétiens comme lui, mais aussi les juifs vivaient en harmonie avec les musulmans. Très critique envers le régime égyptien, son dernier film, Le Chaos, co-réalisé avec Khaled Youssef en 2007 et qui dépeignait la corruption et la torture en Egypte, ne remporta pas le succès qu’il escomptait dans son pays ni à l’étranger. Durant une grande partie de sa vie professionnelle, ses ennemis seront clairement ciblés: la censure, les intégrismes et la corruption. Il n’aura de cesse de les combattre, mais le paiera de nombreux procès et tracas.

En 1965, Youssef Chahine (G) lors du tournage au Liban du film musical libanais Bayaa al-Khawatem (Le marchand de bagues) des frères Rahbani.
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En 1986, Youssef Chahine (2G au deuxième rang) a fait partie du jury du Festival de Cannes.
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SON RÊVE: DEVENIR COMÉDIEN
Né en 1926 à Alexandrie (d’un père libanais de Zahlé et d’une mère égyptienne), Youssef Chahine, après une scolarité chez les Frères francophones de l’Institution Saint-Marc; puis, quelques saisons sur les bancs de l’anglophone Victoria Collège, quitte l’Egypte en 1947 pour étudier l’art dramatique auprès de la Pasadena Playhouse, en Californie, avec le rêve de devenir comédien. Désavantagé par son physique, il s’orientera vers la mise en scène trois ans plus tard, dès son retour dans son pays. Son premier film Baba Amin (Papa Amin) chronique d’une famille urbaine, est réalisé en 1950 grâce à d’Alvise Orfanelli, cinéaste italo-alexandrin dont il fut aussi l’assistant. Chahine est vite repéré: son second long métrage, Le fils du Nil lui vaudra une première invitation au Festival de Cannes mais il faudra attendre le cinquième film Gare centrale, sorti en 1958, pour que s’affirment à la fois son style et sa notoriété. Selon la critique de l’époque, ce superbe mélodrame social emprunte autant au néoréalisme italien, alors en plein essor, qu’aux registres du grand cinéma classique. Gare centrale où Chahine s’attribue le premier rôle, est aussi un brûlot social inoui qui aborde de front des problématiques sexuelles avec une audace jusque-là inconnue dans le cinéma arabe.
Présentation du film Alexandria... New York à Cannes en 2004. G.D.: l’actrice Yousra el-Lozy, Yousra, le réalisateur Youssef Chahine, l’actrice Lebleba et l’acteur Ahmed Yehia.
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Youssef Chahine et son épouse française Colette, le jour où il a été décoré de la Légion d’honneur en novembre 2006.
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RÉALISATEUR CONTESTATAIRE
Suivent ensuite toutes sortes de productions. L’épopée historique avec Saladin (1963), la fresque rurale et littéraire avec La Terre (1969). A l’époque du nasserisme pro-soviétique, il réalisera même une fable de commande et néanmoins grinçante sur la construction du barrage d’Assouan. Cinéaste engagé, Chahine n’aura de cesse de dénoncer les abus, la censure et l’intégrisme. Dans L’Aube d’un jour nouveau (1964), il brosse un portrait critique de l’intellectuel; dans Le Choix (1970), il analyse la société de son pays et critique l’affairisme dans Le Moineau (1973). Très contestataire, le cinéaste fait même un séjour en prison en 1984 pour diffusion d’un film interdit par la censure.
Au festival du film du Caire Youssef Chahine entouré des vedettes Leila Alwi et Hanan Turk.
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Au festival du Cinéma de Marrakesh, Youssef Chahine en compagnie de Claudia Cardinale qui a reçu une étoile d’or des mains de sa fille Claudia.
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“LA SÈVE ET L’ÂME D’ALEXANDRIE”
Pour ce réalisateur de talent, ses films sont également l’occasion de se pencher sur son passé et de se dévoiler à son public. En 1978, il signe Alexandrie pourquoi?, un retour sur sa jeunesse en Egypte qui remporte un Ours d’argent et le Grand Prix du jury au Festival de Berlin. Quatre ans plus tard, Youssef Chahine réalise La Mémoire, le premier volet d’une trilogie autobiographique. Alexandrie encore et toujours en 1989. Le réalisateur n’a d’autre foi d’autre parti ni idéologie que de “répandre partout où il peut la sève et l’âme d’Alexandrie”. Le Destin en 1997 vient compléter cette trilogie. Ce film est un pamphlet contre le fanatisme d’aujourd’hui et remporte un grand succès. La même année, Youssef Chahine présente ce long métrage à Cannes et obtient le prix du Cinquantième anniversaire.
C’est grâce à Adieu Bonaparte (1985) que Chahine entame une nouvelle phase dans sa carrière, largement dictée par les événements historiques et les circonstances économiques. A cette époque, son pays n’avait plus les moyens de soutenir une industrie cinématographique en train de disparaître sur les cendres d’un âge d’or incarné par Farid el-Atrache (disparu en 1974), ami et acteur du cinéaste. Et c’est la France qui subventionne le projet où Patrice Chéreau incarne l’intrépide général. Applaudi à Cannes, Adieu Bonaparte est indiscutablement le film qui va relancer le titre Chahine à la bourse des valeurs cinéphiles mondiales.
Youssef Chahine était un fidèle du Festival de Cannes où il a reçu plusieurs prix.
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A Bagdad en 1997, Youssef Chahine visitant un hôpital pour enfants.
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LES TEMPS FORTS
DU CINÉMA MILITANT
Dernière étape de la carrière de Youssef Chahine qui englobe une riche filmographie d’une quarantaine de titres en plus d’un demi-siècle de réalisations: en 2001, Youssef Chahine met en scène Silence... on tourne, une comédie musicale et sentimentale. Cinéaste toujours engagé, il réalise un court métrage pour le film collectif 11’09’’01 september 11, réflexion sur les attentats du 11 septembre 2001 à New York, Chahine renoue avec son cinéma autobiographique et revisite son passé en Egypte et ses rapports avec les Etats-Unis. Enfin, en 2007, il signe ses deux dernières œuvres: un court métrage segment d’un film collectif cannois Chacun son cinéma et Le Chaos, critique du régime égyptien.
Pourfendeur du fanatisme et infatigable défenseur des libertés, Youssef Chahine laisse en guise de testament, à travers une riche production, les plus beaux exemples du cinéma militant.
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