Il a emporté sa plume et s’est retiré doucement. Les mots, perplexes et désormais orphelins, ont perdu leur éloquence se demandant comment résumer une légende et l’emprisonner dans des lignes.
L’ancien président Elias Hraoui décorant Mansour Rahbani.
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Le Liban pleure son fils Mansour Rahbani qui l’a peint à l’image de son rêve: un temple de beauté, de paix, d’amour, de liberté et de valeurs où il fait bon prier. Mais ce grand du Liban qui a effectué la moitié du chemin de la vie sans son frère Assi, son âme sœur, a décidé enfin de le rejoindre par l’absence physique sur terre et par l’immortalité au ciel. N’est-ce pas lui qui a dit un jour: “Quand Assi a disparu, une partie de moi-même est morte avec lui, en même temps qu’une moitié de lui vit avec moi”?
Adieu au “gardien des clés” du temple libanais, au “vendeur des bagues” qui ornaient les doigts des jeunes filles libanaises, à une époque où l’amour avait un goût, à celui qui a fait revivre entre autres les jours de Fakhreddine, du Moutannabi, de Socrate, de Zénobie et à la personne qui a créé Rajeh, une personnalité combien présente de nos jours!
Les condoléances
La salle de l’église de Saint Elie à Antélias où auront lieu les funérailles du grand disparu, aujourd’hui vendredi à trois heures p.m., a vu affluer un grand nombre de personnalités venues présenter leurs condoléances: le Dr Chawki Chmat, représentant le président Bachar Assad; le général Issam Abou-Jamra, vice-président du Conseil; Mme Randa Berri, représentant M. Nabih Berri, président de la Chambre; le président Hussein Husseini; M. Gebrane Bassil, ministre des Télécommunications; Mme Nadia Aoun, représentant le général Michel Aoun, ainsi que les ambassadeurs du Maroc, du Soudan et d’Indonésie. Le président Omar Karamé a déploré la disparition de Mansour Rahbani. Saad Hariri a envoyé à la famille un message de condoléances. Le parti Kataëb, le parti communiste et le Mouvement culturel d’Antélias ont, pour leur part, publié des communiqués déplorant la perte de Mansour Rahbani.
M. Ramzi Kanj, du Courant patriotique libre a fait une déclaration pour rendre hommage à Rahbani, de même que MM. Tammam Salam, ministre de la Culture et Ghazi Aridi, ministre des Transports et des Travaux publics qui ont évoqué de “la perte d’un symbole du patrimoine culturel”. Quant au président Bachar Assad, il a adressé au président Michel Sleiman ses condoléances et celles du peuple syrien.
Les condoléances seront reçues jusqu’au dimanche 18 janvier, de 10 à 19 heures.
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Mansour “un autre Liban” ne mourra jamais, il a semé les grains de blé sur une terre fertile qui est son théâtre et non sur un rocher qu’une simple tempête peut arracher.
Sa mémoire restera ancrée dans le cœur des Libanais tout comme les cèdres du Liban.
Mansour Rahbani a vu le jour à Antélias le 17 mars 1925. Il a suivi ses études à l’Ecole des sœurs de Ibrine de la localité; puis, à l’école de Farid Abou Fadel, celle de Kamal Moukarzel et des Saints-Cœurs à Bickfaya. A dix-sept ans, il est obligé d’assumer de grandes responsabilités suite à la mort prématurée de son père. Il devient, alors, policier municipal de Beyrouth avant de se consacrer définitivement à la musique.
Il a commencé ses premières études musicales avec le père Boulos Achkar qui lui a appris la musique orientale, le solfège et permis de prendre connaissance des plus importantes références dans ce domaine. Une expérience qu’il a couronnée par neuf ans de leçons auprès de Bertrand Robillard. Pendant ce temps, Mansour a uni son destin à celui de son frère aîné Assi, les frères Rahbani étant devenus, une légende.
En 1945, ils font leur entrée à la Radio libanaise; puis, à Radio Proche-Orient où ils ont présenté un grand nombre d’œuvres artistiques, notamment une série de sketches, portant le nom de Sabeh et Makhoul. 1955 a constitué un tournant dans la carrière des deux frères, quand Assi a fait la connaissance de Nohad Haddad, une histoire d’amour couronnée par le mariage. Les trois forment, alors, un trio légendaire gravé en lettres d’or dans l’histoire de l’art.
Photo-souvenir de Mansour Rahbani avec ses enfants Oussama, Ghadi,
sa nièce Rima et son frère Elias.
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Mansour Rahbani entouré du Comité administratif de l’Association des auteurs, compositeurs et distributeurs lors de son élection président en 1987.
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L’âge d’or du théâtre des Rahbani a commencé en 1957, avec le Festival de Baalbeck. Les festivaliers découvrent un art noble, une musique incomparable et un verbe éloquent. Les deux artistes ayant puisé leur inspiration de plusieurs sources, dont celles des patrimoines arabe, islamique, maronite, byzantin et folklorique libanais, sans oublier leur intérêt pour la musique classique occidentale. Leur théâtre musical diffère de l’opéra mondial ou de l’opérette facile ayant son propre cachet avec sa noblesse, sa sensibilité, la profondeur de ses thèmes avant-gardistes, humanitaires, philosophiques et patriotiques louant “Dieu, l’homme et la terre”.
Assi et Mansour ont présenté un grand nombre de pièces de théâtre dont Mawssem el-Ezz (Saison de gloire), avec la participation de Sabah, Wadih el-Safi et Nasri Chamseddine, Al Baalbakia , Jisr El Kamar (Le pont de la lune) à Baalbeck et Damas, El Leil wal Kandil (La nuit et la lanterne) au Casino du Liban, Bayyah El Khawatem (le vendeur des bagues) au Festival d’Al-Arz, Dawalib El-Hawa (Les moulins à vent) avec Sabah et Nasri Chamseddine à Baalbeck, Ayyam fakhreddine (les jours de Fakhreddine), Jibal el Sawan, ( Les montagnes de granit), Natouret El Mafatih (La gardienne des clefs), Kassidet Hob (Un poème d’amour), Petra et autres.
En 1962, les deux frères présentent lors de la fondation d’une nouvelle chaîne de télévision au Liban, leur premier spectacle télévisé intitulé: Hikayet el Esswara (L’histoire du bracelet).
Quant à leur œuvre cinématographique, elle est riche et variée. Citons parmi leurs réalisations Le vendeur des bagues, adaptée au cinéma par le réalisateur égyptien Youssef Chahine, ainsi que Safar Barlek et Bint El Hareth (La fille du gardien).
Le nom des deux frères qui vouaient un grand amour pour le Liban, a conquis le monde et leur art a fait le tour de la planète: Piccadilly de Beyrouth, Amman, Koweït, Bagdad, Le Caire, les Emirats, Alep, Tunisie, Algérie, Damas et la Libye, ainsi que Manchester, Londres, Paris, Rio de Janeiro, São Paulo, Buenos Aires. Il a été applaudi au Canada et aux Etats-Unis, notamment au Canergie Hall de New York qui a affiché complet en 1971.
A la fin des années 70, les problèmes commencent à apparaître au sein de la famille Rahbani, avec la mésentente provisoire de Assi et de Feyrouz qui a entraîné en 1979 celle des deux frères avec cette voix angélique. Cependant, ceux-là ont poursuivi leur carrière ensemble en présentant El Mouamara Moustamerra (Le complot continue), en 1980 et El Rabih El sabeh (Le Septième printemps), en 1984.
Le décès de Assi, le 21 juin 1986, a ébranlé l’école “rahbani”, mais son frère Mansour qui le considérait comme son âme sœur, a décidé courageusement de poursuivre le chemin avec ses enfants et la nouvelle génération de la famille. La liste des pièces de théâtre écrites par Mansour seul est longue. Citons: L’été 840, en 1988; Al Wassiah (Le testament), en 1994; Akher Ayyam Socrate (Les derniers jours de Socrate), en 1998; Antologia rahbaniah (Anthologie des Rahbani) la même année à Baalbeck qui est une répétition de trois œuvres théâtrales des frères Rahbani à savoir: Jisr El Kamar, Jibal El Sawan et Natouret El Mafatih, Kama fi el yaom el Thaleth (Et il ressuscita le troisième jour) en 2000, ainsi que la grand-messe donnée la même année en l’église Saint-Elie à Antélias, Al Moutanabbi en 2001; Moulouk El-Tawaëf (Les rois des communautés) en 2003, sans oublier Akher-Yaom (Le dernier jour) en 2004; Hokm El Rahyan (Le règne des pasteurs), en 2004 également. En 2005, Gebrane Wal Nabi (Gebrane et le prophète), ainsi que Zanoubia malaket Todmor (Zénobie reine de Palmyre) en 2007 et finalement, sa dernière pièce en date Le retour du Phénix toujours à l’affiche au Casino du Liban.
Mansour Rahbani était un magicien des mots qu’il manipulait avec adresse; un poète fin, profond avec un verbe éloquent et des idées avant-gardistes, inimitables au vrai sens du mot. Il a publié plusieurs recueils de poèmes: Seul je voyage en roi - Moi l’autre étranger - Des palais aquatiques - Le marin de l’hiver. Quant au cinquième ouvrage intitulé: Des poèmes chantés, il comprend les paroles des plus belles chansons de Feyrouz signées les frères Rahbani.
Mansour Rahbani a rejoint son autre moitié Assi, une autre légende du monde de l’art libanais, arabe et même mondial. Tous deux ont constitué une école qui comprenait de grands noms, dont Wadih el Safi, Nasri Chamseddine, Philimon Wehbé, Toufic el-Bacha, Zaki Nassif et d’autres encore. Après le Festival de Baalbeck, la famille Rahbani s’est agrandie pour comprendre entre autres, Joseph Azar, Melhem Barakat, Elie Choueiri, Raja Badr, Marwan Mahfouz, Hoda, Georgette Sayegh … Son souvenir se perpétuera par les membres de sa famille; surtout par son frère cadet Elias, un autre symbole de l’art au Liban, ainsi que la nouvelle génération: Marwan, Ghadi, Oussama, Ghassan et Jad, Ziad, Rima et Béchara el Khoury, son neveu.
A noter que les frères Rahbani étaient de grands amoureux du Liban qu’ils ont immortalisé dans leurs œuvres et chansons, devenant une partie intégrante de son patrimoine culturel. Ils étaient, aussi, des défenseurs fervents de la cause arabe, en général et de la cause palestinienne, en particulier en composant pour Feyrouz Zahret El Madaen (La fleur des cités), Sanarjeh Yawman (On reviendra un jour) et Jisr El-Awda ( Le pont du retour). Ce grand du Liban aurait-il choisi cette date du 13 janvier pour quitter la scène de la vie, afin de ne pas voir des enfants palestiniens tomber sur la terre de Palestine et l’arroser de leur sang sous les regards indifférents du monde? |