Les océans ont leurs pirates, mais aussi leurs héros
Par Evelyne MASSOUD

L’immensité de l’océan Indien, relayée par le golfe d’Aden en fait” la région la plus dangereuse du monde” infestée par les pirates venus de Somalie dont les opérations ont augmenté de 200% en 2008. 164 attaques y ont été enregistrées, 65 depuis le début de l’année et 10 en moins d’une semaine auxquels viennent de s’ajouter deux cargos grec et libanais ainsi qu’au total plus de 250 otages. Et cela en dépit des navires de guerre déployés sur ces espaces infinis qui appartiennent aux Etats-Unis, à la Chine, à la Russie, à divers pays et continents dont l’Europe qui mène avec “Atalante” sa première opération navale. Le marché de la piraterie qui tire profit du chaos somalien engendré par la guerre civile de 1991, est très juteux et fort bien structuré. Quand un navire repéré se trouve en ligne de mire, de petites embarcations surgissent de nulle part. Elles sont téléguidées depuis la côte par des professionnels de la piraterie. Les rançons perçues permettent de régler les petits pêcheurs, agriculteurs, négociateurs mobilisés selon leurs compétences et d’acquérir des armes sophistiquées. A ce jour, les pirates ont agi indépendamment des Shébabs islamistes tenant le haut du pavé en Somalie. Mais le jour où la piraterie sera récupérée par les islamistes, la partie sera encore plus dure et la guerre déclarée contre le banditisme se trouvera liée à la lutte contre le terrorisme.

photo Photo réalisée par la US Navy le 14 avril montrant le destroyer “USS Bainbridge” escortant le “Maersk Alabama”.

photo Opération qui a servi au transfert du capitaine Richard Philips.

Si les navires marchands traversent ces mers infestées de pirates et qui constituent la voie commerciale la plus directe pour arriver à bon port, fort curieusement les bateaux de plaisance s’aventurent également dans ces voies maritimes de tous les dangers en dépit des avertissements des autorités de leurs pays. L’exemple le plus récent est celui du “Tanit” parti en juillet 2008 de Vannes dans le Morbihan pour atteindre Zanzibar, une île de l’océan Indien proche des côtes somaliennes. Son parcours était éminemment dangereux. L’armée française avait mis en garde les plaisanciers d’emprunter ces voies maritimes: “Les appels à la prudence répétés semblent n’avoir aucun effet sur les plaisanciers français qui continuent régulièrement à tenter la traversée de la région la plus dangereuse au monde”, avait regretté une source autorisée de l’armée. “Malgré une forte médiatisation du danger et des campagnes de sensibilisation, plusieurs bateaux de plaisance tentent chaque mois la traversée du golfe d’Aden”.

photo Soldats français négociant avec les pirates.

photo Le 10 avril pirates et otages sur le “Tanit”.

La folle équipée du “Tanit”
Florent Lemaçon, 27 ans, informaticien et son épouse Chloé, 29 ans qui avaient acheté avec leurs économies, le voilier de plaisance d’occasion le “Tanit” de 12,5 mètres se proposaient de faire le tour du monde accompagnés de leur petit garçon de trois ans et d’un couple d’amis embarqués en cours de route afin de “fuir la société de consommation et sa routine pour vivre une vraie aventure au long cours”. Repérés le 17 mars par une frégate de la Marine française qui les a mis en garde contre les dangers encourus et leur avait conseillé de s’éloigner des routes empruntées par le trafic commercial, ils avaient déclaré qu’ils n’avaient pas “peur des pirates”, décidant toutefois d’avancer “de jour comme de nuit, tous feux éteints”. Nouvelle mise en garde le 27 mars par le commandant de la zone maritime de l’océan Indien: “Nous assistons depuis quelques jours à une recrudescence d’attaques à l’est des côtes africaines. Donc si nous pouvons émettre une recommandation, c’est d’annuler l’escale prévue au Kenya”. Mais les Lemaçon ont répliqué: “Le danger existe, mais l’océan est grand et les pirates ne doivent pas anéantir notre rêve”.

photo Le capitaine Richard Philips après sa libération, un nouvel héros pour l’Amérique.

photo Les membres de l’équipage du “Maersk Alabama” célèbrent la libération de leur capitaine.

Le rêve a fini par tourner au cauchemar, voire à la tragédie. Les plaisanciers français étaient attaqués samedi 4 avril et pris en otages par des pirates somaliens. Les forces françaises sont alors entrées en ligne, ont immobilisé le navire et tenté des négociations avec les pirates. Pendant 48 heures “nous avons fait toutes les propositions possibles, a révélé Hervé Morin, ministre français de la Défense. Tout a été refusé”. C’est alors que l’intervention a été décidée par le président de la République.
Au cours d’une opération de six minutes, un commando de huit fusillers marins a investi le voilier. Les tireurs d’élite ont abattu deux des pirates visibles, un troisième tombait à l’eau, ils en capturaient trois autres qui seront par la suite conduits en France, placés en garde à vue avant de comparaître devant le parquet de Rennes.
Tous les otages libérés ne rentreront pas chez eux. Florent Lemaçon a été atteint de tirs à l’intérieur du voilier. Les balles, par inadvertance, étaient-elles françaises?
Cette tragédie survient après la capture puis la libération par les forces spéciales, le 11 avril 2008, de 30 membres de l’équipage du voilier de luxe le “Ponant” due au versement d’une rançon de 2 millions de dollars. Six pirates avaient été alors capturés. Le 15 septembre, nouvelle intervention pour la libération d’un couple de Français retenus depuis deux semaines par les pirates sur leur voilier de 16 mètres, le “Carré D’As”.

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Happy end pour le “Maersk Alabama”
Parallèlement à cette opération était menée celle de la libération du “Maersk Alabama” porte-conteneurs de la société Maersk Line battant pavillon américain, avec à son bord 20 marins. Il se trouvait à 500 km des côtes somaliennes quand il a été attaqué mercredi 8 avril. Le capitaine Richard Philips, 53 ans, a alors proposé d’être retenu en otage contre la libération de son équipage. Quand il s’est assuré de la libération de ses hommes, il a tenté de s’échapper à la nage dans la nuit du jeudi à vendredi, mais il a été repris par les pirates qui l’ont détenu pendant cinq jours sur un canot de sauvetage, parfois attaché, toujours sous la menace des mitraillettes, mais étroitement surveillé par le croiseur “USS Bainbridge”.
Sur ordre du président Obama qui commandait d’agir si l’otage courait un danger imminent, le vice-amiral William Gortney commandant des forces navales américaines, est entré en action. Dimanche 12 avril, lors d’une opération éclair, les tireurs d’élite qui étaient postés sur le “USS Boxer” ont ouvert le feu sur les pirates, en ont abattu trois et capturé un quatrième. Ils ont ainsi libéré le nouvel héros de l’Amérique.

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Si la joie du capitaine Richard Philips et de sa famille était incommensurable et la fierté de l’Amérique au zénith, le dépit était accentué auprès des pirates qui perdaient trois de leurs éléments. Leur chef Abdi Garad s’est dit déterminé à intensifier “nos attaques, y compris très loin des eaux somaliennes”. “Ces menteurs d’Américains ont tué nos amis qui avaient accepté de libérer l’otage sans rançon, mais je vous dis que cette affaire conduira à des mesures de rétorsion et nous pourchasserons en particulier des citoyens américains voyageant dans nos eaux”.
A l’issue de cette opération, le secrétaire à la Défense, Robert Gates était surpris par le jeune âge des pirates de 17 et 19 ans seulement “sans entraînement et munis d’armes lourdes” et estimé qu’“il n’y a pas de solution purement militaire à la piraterie. Il faut faire quelque chose à terre qui change l’équation pour ces enfants”. Le vice-amiral William Gortney réclame pour sa part une présence armée à bord de la marine marchande américaine. Quant au président Obama, il a appelé à la coopération internationale pour lutter contre le crime organisé des pirates somaliens.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4206 Du 18 Au 25 Avril 2009
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