Disparition de Maurice Druon, “La mémoire de l’Académie française”

Ecrivain de renom élu à l’Académie française, homme politique (ministre et député) couvert de décorations, Maurice Duron qui vient de s’éteindre à son domicile parisien à quelques jours de ses 91 ans, fut durant un demi-siècle un authentique personnage de la vie publique en France.

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Maurice Druon, élu en 1966 à l’Académie française, en est demeuré jusqu’à sa mort le doyen d’élection.

photo Ayant tiré sa révérence à l’âge de 91 ans, il était volontiers théâtral,
portant canne et chapeau.

Rendu célèbre par sa saga historique Les Rois maudits et par sa composition de l’hymne le Chant des partisans (qui devint dans la Résistance un chant de marche, d’espoir et de défi), il avait été le dernier ministre de la Culture du président Pompidou, durant les années 1973-1974. Puis, pendant plus de quatorze ans, il fut le secrétaire perpétuel de l’Académie française, où il avait été élu en 1966. Il en était le doyen d’élection, le doyen d’âge étant l’anthropologue Claude Lévi-Strauss qui a fêté ses 100 ans en 2008. En 1948, son roman Les Grandes Familles fut couronné par le prix Goncourt. Maurice Druon devint, alors, une figure de premier plan de la scène intellectuelle française, qu’il ne quittera jamais plus.

LE FILS SPIRITUEL DE JOSEPH KESSEL
Né à Paris le 23 avril 1918, il n’a pas connu son père, Lazare Kessel, membre de la Comédie française, qui se tire une balle dans le cœur sans l’avoir reconnu. Le petit Maurice n’apprendra la vérité sur cette brusque disparition (qu’il croyait due à la grippe espagnole), qu’à l’âge de 18 ans. Ce qui le plonge dans une “affreuse crise d’angoisse et une hantise du suicide”, écrira-t-il dans le premier volet de ses mémoires, L’aurore vient du fond du ciel (Plon 2008). Sa mère a épousé un notaire du Nord, René Druon, dont il prend le nom à 7 ans. Ce père adoptif lui transmet cet “amour de la France” qui équilibre l’ascendance russe dont son oncle l’écrivain Joseph Kessel (1898-1979) incarne jusqu’à la démesure l’étonnante énergie. Il en deviendra le fils spirituel.
Au terme d’une enfance en Normandie et des études secondaires au lycée Michelet à Vanves, il obient un deuxième prix au concours général en 1936. Et sitôt le baccalauréat en poche, il s’inscrit à la faculté des lettres de Paris; puis, fait son entrée à l’Ecole libre des sciences politiques (1937-1939).

LA VOIX DE LA NATION
Durant la Seconde Guerre mondiale, Maurice Druon est officier de cavalerie à l’école de Saumur et participe en 1940 à la campagne de France. Il évoquera cet épisode dans son premier roman La Dernière Brigade (1946). Démobilisé, il demeure en zone libre et fait représenter au Grand Théâtre de Monte-Carlo une pièce en trois actes, Mégarée (1942). La même année, il s’engage dans les rangs de la France libre, gagne clandestinement Londres, via l’Espagne et le Portugal, devient l’aide de camp du général François d’Astier de la Vigerie; puis, travaille avec son oncle Joseph Kessel au programme “Honneur et patrie” pour la BBC. C’est là que les deux hommes composent sur une musique d’Anna Marly, le texte du Chant des partisans qui deviendra l’hymne des mouvements de résistance au nazisme (1943):
“Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines?
Ami, entends-tu
Ces cris sourds du pays
Qu’on enchaîne?”
Ces vers de Maurice Druon composent l’ouverture et le final du Chant des partisans. Ce chant semble surgir en 1943 de la France occupée, humiliée, martyrisée, trahie et pourtant combattante. Dans leurs cachots, au bord des fosses avant leur exécution, les résistants condamnés sifflent la musique qui porte ces vers, murmurent ce chant qui va s’enraciner dans la mémoire collective et devenir la voix de la nation.

L’HOMME DES MULTIPLES ENGAGEMENTS
Dans la France de l’après-68, le monde de la création est d’humeur révolutionnaire. Le ministre Maurice Druon s’en offusque et fustige: “Ceux qui viennent à la porte du ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov dans l’autre devront choisir”. La menace met le monde de la culture contre lui et soulève l’ire de Roger Planchon, Jean-Louis Barrault ou Ariane Menouchkine. Il devint ainsi la bête noire de toute une profession, mais se singularise par de courageuses prises de position contre les abus du monde culturel.
Par quelque sens qu’on le prenne, le mot qui résume la vie de Maurice Druon, c’est l’engagement: engagement militaire quand le sort du pays le requérait, engagement politique au service de ses idées et engagement dans la défense de la langue française s’élevant avec vigueur contre la féminisation abusive des titres, des noms de métier et fonctions et plus largement contre l’appauvrissement de la langue de Molière. Gaulliste de la première heure, “il a risqué sa vie en résistant et cette flamme, cette passion de la France et de la liberté, ne l’a jamais quitté”, comme l’a souligné dans son hommage posthume, le président Nicolas Sarkozy. Ses combats et l’âme qui les menait resteront un exemple pour les générations futures.

Par JEAN DIAB
Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4207 Du 25 Avril Au 2 Mai 2009
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