Ambassadrice d’Allemagne à Beyrouth Brigitta Siefker-Eberle: “J’envisage de renforcer nos liens
avec le Liban sur le plan économique”
Par Jeanne MASSAAD

D’une allure sereine, conjuguant tact, élégance et savoir, Mme Brigitta Siefker-Eberle, nouvelle ambassadrice d’Allemagne au Liban, s’est portée elle-même candidate à ce poste. Son père était un diplomate en mission au pays du Cèdre: “J’étais assise dans un café avec ma fille aînée; mon portable a sonné et on m’a annoncé la bonne nouvelle de mon affectation. Directement, ma fille a commandé deux coupes de champagne pour me féliciter”. Très heureuse de sa nomination, la nouvelle ambassadrice souhaite renforcer davantage les relations libano-allemandes. A propos du déroulement des élections, elle émet ces réflexions: “Nous avons sur un niveau bilatéral, ministre et chancelière, comme au sein de l’UE, exprimé notre satisfaction et félicitons le peuple libanais de l’atmosphère modérée et tranquille dans laquelle se sont déroulées ces élections. Nous félicitons les politiciens libanais du sens de responsabilité qu’ils ont manifesté. Puisse dans cette atmosphère optimiste, qu’un gouvernement accepté par tous soit formé dans un bref délai”.

Quelle idée vous faisiez-vous du Liban avant d’y venir? Et sous quel angle concevez-vous votre mission aux plans diplomatique, économique et des échanges?
J’avais une notion assez concrète, car j’ai passé une partie de mon enfance au Liban où j’ai étudié durant deux années à l’AUB. Mon premier poste était à Damas et de là je faisais souvent la navette. Quand même il m’a fallu approfondir considérablement ma connaissance de la situation politique actuelle, parce que beaucoup de choses se sont passées sur le plan politique après l’accord de Taëf et, surtout, entre 2004 et 2009.
L’Allemagne et le Liban ont de bonnes et solides relations depuis longtemps. Après la guerre de 2006, l’Allemagne a intensifié encore considérablement la coopération avec le Liban, surtout dans les domaines de la sécurité (protection des frontières), l’environnement (coopération technique avec le Environmental Fund for Lebanon), coopération économique et technique, dans le domaine de l’eau (canalisation et épuration des eaux usées), éducation (apprentissage), entraînement et équipement de la marine libanaise. Nous participons, depuis octobre 2006, à l’opération maritime de la Finul.
La coopération libano-allemande depuis 2006 s’élève à 59,2 millions d’euros (à peu près 80 millions de dollars), 90% de cette aide est fournie comme don et uniquement 10% en prêt. Ceci est une différence remarquable en comparaison avec d’autres pays donateurs qui ont souvent offert leur aide sous forme de prêt. En relation avec la taille du pays, ces chiffres montrent bien l’importance qu’attache l’Allemagne au pays du Cèdre.
Nos efforts portent, essentiellement, sur trois secteurs.
1 - Coopération technique dans l’apprentissage: réseau de 21 écoles et 500 entreprises en partenariat avec les Chambres de commerce et d’industrie.
2 - Coopération technique “Environment Fund for Lebanon”: 18 projets pour l’environnement qui créent des bénéfices sociaux et économiques.
3 - Coopération technique et financière dans le domaine de l’eau.
Après une première phase de soutien d’urgence au Liban-Sud suite aux bombardements de 2006, nous nous concentrons en ce moment sur la reconstruction du camp de Nahr al-Bared. Avec un don de 16 millions d’euros (22 millions de dollars) pour l’assainissement des eaux usées, nous nous sommes considérés les premiers donateurs pour les régions libanaises proches de Nahr al-Bared. Je viens de signer avec M. Nabil el-Jisr, président du CDR, de nouveaux contrats entre les gouvernements de nos deux pays. Cette année, nous allons commencer un projet très important pour la protection de l’eau des grottes de Jeita. 80% de l’eau potable de Beyrouth provient de ces grottes. Notre engagement financier se concentrera dans les années à venir sur ce projet primordial. A côté des autres donateurs, comme les Emirats arabes unis, la Commission européenne, les Etats-Unis, le Danemark et la Norvège, nous avons soutenu les efforts de déminage après les bombardements de 2006 avec 1.93 millions d’euros d’aide humanitaire (à peu près 2.5 millions de dollars). Nous resterons à vos côtés pour réaliser la vision nationale d’un Liban débarrassé des mines en 2013. J’envisage, d’abord, de maintenir dans la mesure du possible, cette étroite coopération, maintenant que les séquelles de la guerre de 2006 sont largement dépassées. Puis, j’envisage de renforcer nos liens et notre coopération sur le plan économique. Je trouve aussi important de changer l’image du Liban en Allemagne, qui est trop influencée par des notions de guerre et de terrorisme et mettre en relief les côtés positifs du Liban, son ancienne culture et Histoire, la beauté de son paysage, l’hospitalité de son peuple, la diversité réligieuse, la richesse de la vie culturelle, la liberté d’opinion, le haut niveau de discussion intellectuelle et la présence d’une société civile très active.

Déséquilibre dans le bilan commercial
Que comptez-vous entreprendre pour renforcer les relations libano-allemandes, afin de les rendre plus équilibrées au plan de la balance commerciale?
Le bilan du commerce entre nos deux pays montre qu’un fort intérêt est porté sur des produits allemands, en particulier des machines industrielles, l’électroménager, des produits de consommation domestique et des voitures et, récemment, aussi toute la gamme de produits qu’on pourrait classifier comme “vert”, comme des appareils à faible consommation électrique compatible avec un développement écologique, où nous sommes à l’avant-garde.
Nous sommes très satisfaits du prestige que connaissent les grandes marques allemandes. Cependant, il y a jusqu’à maintenant encore peu d’investissements allemands directs au Liban. De même, les exportations du Liban en Allemagne n’ont pas encore réalisé ce que je crois être tout leur potentiel. Une des raisons de ce déséquilibre dans le bilan commercial et cette timidité dans l’investissement direct peut se trouver dans l’image du Liban qui ne lui rend pas justice, mais qui persiste néanmoins encore chez des investisseurs et commerçants allemands lesquels craignent une nouvelle instabilité dans la région. Comme déjà dit, je travaille pour une perception plus réaliste du potentiel commercial du Liban auprès du milieu économique allemand. La semaine prochaine, je vais me rendre à Berlin pour accompagner une délégation d’hommes d’affaires libanaises du Lebanese German Business Council pour des entretiens avec le ministère de l’Economie et l’Association allemande de l’industrie et du commerce pour travailler cette question avec les parties concernées.

Renforcer les liens entre l’UE et le Liban
L’Italie se prononce en faveur des liens plus solides entre l’UE et Israël, l’Allemagne partage-t-elle cet avis? Et comment conçoit-elle le règlement du conflit palestino-israélien? Est-elle favorable à la solution basée sur deux Etats?
Il ne m’appartient pas de commenter ici les propos avancés par notre partenaire européen, l’Italie, mais je peux vous citer ce que le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, qui parle pour toute l’UE a dit, lors de sa récente visite à Beyrouth, qu’il va œuvrer pour approfondir et renforcer les liens entre le Liban et l’UE.
En ce qui concerne le règlement du conflit palestino-israélien, notre politique s’intègre dans la politique de l’UE. Nous soutenons les Etats-Unis dans leurs efforts et pour nous, il reste important que le Quartet reste activement engagé dans ce processus. Nous appuyons la création d’un Etat palestinien, ainsi que le droit d’Israël d’exister dans des frontières sûres et reconnues.
Quelle est la position de Berlin envers l’admission de la Turquie à l’UE?
L’Allemagne est en faveur d’une poursuite des négociations sur l’admission de la Turquie à l’UE, laissant l’issue ouverte. En outre, l’Allemagne a des liens historiques bilatéraux très étroits dans presque tous les domaines avec la Turquie.
Robert Gates, secrétaire US à la Défense, a déclaré que l’ouverture des Etats-Unis sur Téhéran ne se fera pas aux dépens de Riyad. Qu’en pensez-vous?
Je pense que c’est correct. L’Allemagne partage cette approche et quand une délégation du ministère allemand des Affaires étrangères a visité l’Iran récemment, elle s’est rendue directement après en Egypte et dans d’autres pays arabes, justement pour démontrer d’une manière très claire que nous traitons le dossier iranien d’une manière transparente. Quant à la situation qui prévaut après les élections présidentielles, nous sommes naturellement inquiets. Il faut, cependant, attendre pour voir s’il y aura une décision d’examiner à nouveau les élections. Notre ministre a critiqué la manière dont ont été traités les manifestants et les journalistes.

Allemagne-Iran
Quelle est la position de l’Allemagne envers le dossier nucléaire iranien? Souscrirait-elle à des sanctions qui seraient imposées à la République islamique faute d’un accord avec les Etats-Unis?
Les sanctions imposées à l’Iran ont été dictées par des résolutions adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité, parce que l’Iran n’était pas prêt à suspendre l’enrichissement d’uranium et à coopérer avec le Conseil de sécurité. L’Allemagne fait partie du groupe E3 (France, Grande-Bretagne, Allemagne) plus 3 (USA, Russie, Chine) qui continue simultanément à explorer les possibilités de négociations avec l’Iran.
L’Allemagne contribue-t-elle et par quels moyens à la lutte contre la piraterie?
La marine allemande participe à la mission Atalanta avec deux frégates le long de la côte de la Somalie de la sortie de la mer Rouge jusqu’au golfe iranien.
Comment le gouvernement allemand envisage-t-il le règlement du conflit entre l’Afghanistan et le Pakistan?
En Afghanistan, l’Allemagne participe à la reconstruction du pays dans plusieurs domaines, surtout dans l’établissement des forces de sécurité. Notre but est de créer un environnement sûr et stable pour reconstruire le pays et transmettre, graduellement, la responsabilité aux forces de sécurité afghanes qui, à la longue, doivent être capables de garantir la sécurité interne. Au Pakistan, l’Allemagne contribue à la stabilisation de la situation dans le pays avec de larges sommes pour l’aide humanitaire (plus de 15,5 millions d’euros depuis 2005) surtout pour les réfugiés internes.

Nous coopérons avec la marine libanaise
L’Allemagne qui a assuré le commandement de la flotte en Méditerranée dans le cadre de la Finul renforcée, assume-t-elle quelque mission - de quelle nature et dans quel domaine au Liban?
Vous l’avez mentionné, depuis la création de la MTF (Marine Task Force), la partie maritime d’UNIFIL, l’Allemagne y a participé de façon substantielle et, dans un premier temps, on en avait assuré le commandement. En ce moment, nous mettons à sa disposition deux bateaux de patrouille rapides et un vaisseau de ravitaillement. Cependant, nous travaillons aussi avec la marine libanaise. Depuis la fin de 2006, nous avons mis à la disposition des forces maritimes, trois bâtiments: “La Naqoura”, “La Amchit”, “La Tabarja” et financé la reconstruction d’un nouveau système de radar sur la côte libanaise, l’ancien ayant été entièrement détruit pendant la guerre de 2006.
Notre coopération avec la marine libanaise continue à être extrêmement fructueuse et amicale. En outre, je viens de signer, la semaine passée, un accord avec la marine libanaise pour la construction d’une station d’entretien et de réparation des vaisseaux de la marine libanaise. Notre coopération dans le domaine de la formation continue, également, d’une façon intense, une équipe d’entraîneurs allemands travaille avec leurs camarades libanais sur des questions de sécurité des bateaux en mer.
A quels problèmes requérant des solutions urgentes le gouvernement de Berlin est-il confronté? Quel est l’impact de la crise financière mondiale sur l’économie allemande?
C’est, tout d’abord, la crise financière mondiale qui pose un défi à mon gouvernement. Il faut trouver des solutions urgentes pour sauvegarder les entreprises les plus frappées par cette crise, à savoir au premier plan l’industrie automobile et son industrie de sous-traitance et la construction mécanique. Comme vous savez, nous sommes champion des exportations, le pays le plus industrialisé en Europe et le déclin en demande pour ces produits nous a considérablement frappés.
Moins touchés chez nous sont les marchés financiers et immobiliers, parce qu’il n’y avait pas chez nous une bulle immobilière. Un autre défi pour mon gouvernement reste le problème de chômage et l’acquittement des dettes.

95 cas de grippe porcine
Quel plan de lutte contre la grippe porcine le gouvernement allemand a-t-il élaboré?
En ce moment, on a enregistré 95 cas de grippe porcine, la plupart d’entre eux étant importés des Etats-Unis. A l’heure actuelle, le plus important pour nous sont les mesures d’hygiène personnelle, surtout en contact avec des gens venant des pays les plus touchés et dans des endroits où beaucoup de gens se rencontrent, comme les écoles, universités, etc. Le ministère de la Santé, en coopération avec l’Institut Robert Koch, spécialisé en matière des épidémies, a lancé une campagne “nous contre le virus” qui donne des informations exactes pour les mesures d’hygiène.
On a naturellement toujours un plan d’urgence dans le cas où, par exemple, le virus muterait à un virus plus dangereux.
Quelle est la préférence de l’Allemagne en matière linguistique: donne-t-elle la priorité à la langue française ou anglaise? Et qu’en est-il de l’enseignement de la langue allemande au Liban?
L’Allemagne est en faveur de la diversité des langues. Nous avons une grande tradition des études approfondies - quelquefois peut-être presque un peu trop scientifique - de beaucoup de langues ainsi que de celles qui ne sont pas largement répandues.
En outre, j’aimerais bien relever que l’Allemagne se classe parmi les plus importants sites universitaires dans le monde et c’est pourquoi j’encourage les jeunes Libanais et Libanaises à apprendre l’allemand.
Il y a au Liban trois écoles où on enseigne l’allemand et nous sommes en train d’en identifier d’autres avec l’aide du ministère libanais de l’Education. De plus, l’Institut Goethe à Beyrouth et le Centre culturel allemand à Jounieh offrent des cours en langue allemande sur différents niveaux et, en même temps, une grande variété d’activités culturelles.
Quel est votre meilleur souvenir de diplomate?
Chaque pays où j’étais en exercice avait son charme, ses particularités, ses côtés à explorer et parfois ses difficultés. Mais mon meilleur souvenir remonte aux années où j’étais au ministère des Affaires étrangères responsable du Training et de la formation des jeunes diplomates juste après la réunification. Les gens de l’Est venaient avec un background universitaire tout à fait différent. Le défi de former un groupe homogène a réussi et a eu un véritable succès. J’étais très satisfaite de mon travail, car c’était une tâche très difficile, le passé étant complètement différent.

Biographie

Née à Gõteborg en Suède (3 enfants).
1981: diplômée en Droit - Université de Bonn.
1981-1982: assistante du chef de la section: Droit international - Université de Bonn.
1982-1984: programme d’entraînement et de formation au ministère des Affaires étrangères.
1984-1986: 2ème secrétaire à l’ambassade d’Allemagne en Syrie.
1986-1987: 1ère secrétaire au ministère des Affaires étrangères.
1988-1991: 1ère secrétaire - responsable de la Section politique et consulaire à Islamabad (Pakistan).
1991-1994: vice-directrice du département d’entraînement des jeunes diplomates au ministère des Affaires étrangères.
1994-1996: conseiller politique à la mission permanente de l’Allemagne à l’OTAN (Bruxelles).
1997-2000: responsable du personnel allemand auprès des organisations internationales.
2001-2005: directrice de la Division - Traités internationaux au ministère des Affaires étrangères.
2005-2008: représentante permanente adjointe de la Mission allemande aux Nations unies - Genève.
Nommée ambassadrice d’Allemagne au Liban en décembre 2008, a présenté ses lettres de créance le 12 mars 2009.

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4216 Du 27 Juin Au 4 Juillet 2009
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