En Iran, Khamenei a tranché, en dépit d’une contestation multiforme
Par Evelyne MASSOUD

La révolte populaire en Iran a déjà son icône, Neda Agha-Sultan. Cette jeune Téhéranaise touchée d’une balle dans la poitrine lors des manifestations du samedi 20 juin, est clouée au sol, entourée de ses proches qui tentent en vain de la réanimer et que son père supplie de rester, de ne pas partir. “Ne t’en va pas Neda”, pleure-t-il. En vain! Son agonie est filmée sur téléphone portable, adressée à un Iranien vivant aux Pays-Bas, diffusée sur YouTube et Facebook et son visage ensanglanté émeut la terre entière. Des centaines de milliers d’internautes à travers le monde qui avaient besoin d’un symbole, le tiennent. Les médias s’en emparent, les chaînes de télévision en répètent la diffusion. Ses photos sont brandies par les Iraniens de la diaspora dans les grandes capitales. Des poèmes lui sont dédiés. Elle émeut, fait couler des larmes. Elle est durablement incrustée dans la mémoire collective des Iraniens. Sa mort est d’autant plus poignante, qu’elle ne comptait pas parmi les manifestants, selon le témoignage de son fiancé Caspian Makan diffusé par la BBC Persian TV basée à Londres. Elle avait été prise dans des embouteillages alors qu’elle se trouvait en voiture avec son professeur de musique. “Elle est sortie de la voiture pour quelques minutes. C’est alors qu’elle a été tuée par balle”, un tir qu’il attribue aux bassidjis, ces milices en civils circulant sur motos, redoutés par la population, épaulant les forces de police et les gardiens de la révolution. Neda serait-elle morte par erreur, partie pour rien? Comme tant d’autres qui continuent à dénoncer, sous une forme ou sous une autre, un scrutin qu’ils estiment volé!

photo Le Guide suprême Ali Khamenei intervenant à l’Université de Téhéran.

photo Iraniennes revêtues du drapeau national en guise d’allégeance au Guide suprême.

Réprimés par les forces de police, les bassidjis et bientôt les gardiens de la révolution, ils continuent à dénoncer les résultats de la présidentielle du 12 juin et expriment à travers leur contestation un profond malaise dans une société où ils ne trouvent pas leur place. 60% des 72 millions d’habitants ont aujourd’hui moins de 30 ans. Ils n’étaient pas là quand la révolution de Khomeiny avait changé en 1979 la face de l’Iran. Peut-être cherchent-ils un idéal hors de portée? Ou sont-ils exploités par les rivalités des hommes politiques qui se livrent une guerre acharnée via leurs idéaux contrastés pour se partager le pouvoir!
A ce jour, le bilan officiel est de 20 morts, celui fourni par les ambassades est de 100, alors que les sources estudiantines avancent le chiffre de 200. Quant aux arrestations, elles atteindraient les 457 selon la Radio d’Etat. Si les premiers jours, la contestation a été massive, avec des manifestations quotidiennes de plusieurs dizaines de milliers de citoyens dénonçant les résultats de la présidentielle qui ont donné la victoire au président sortant Mahmoud Ahmadinejad (24,5 millions de votes, 63% des voix), si elle a réussi à braver les interdits, elle a fini par changer de forme et de nature. De petits groupes mobiles et volatiles se dispersent dans les rues, pourchassés par les forces antiémeutes, les bassidjis à pied ou en motos, à coups de matraques, gaz lacrymogènes, canons à eau et même par tirs à balles réelles. Ces petits groupes qui se sont plus ou moins évaporés, attendant de nouvelles formes plus ou moins problématiques de contestation, risquent de disparaître progressivement mettant fin à ce qui fut appelé le “Printemps de Téhéran”.
Les images transmises par la télévision officielle ne reflétant pas la réalité, ce sont les téléphones portables qui ont diffusé sur Internet les petites scènes de guérilla urbaine et donné une certaine idée des événements en cours. Sur ordre des autorités, les journalistes et agences de presse ont plié bagage, certains même ont été arrêtés. L’information est verrouillée. Déjà l’appareil judiciaire promet des sanctions qui serviront de leçon aux personnes interpellées.

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Images d’une mort par balles: Neda est touchée.
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Neda s’effondre entourée de proches.
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Neda, visage ensanglanté, quitte ce monde.

Khamenei: “Le peuple a choisi”
Tout au long d’une semaine d’incertitudes et d’espoirs suivant les résultats du scrutin si vivement contesté et dont les manifestants guidés par le principal opposant Mir Hossein Moussavi, réclamaient l’annulation, les regards étaient tournés vers le guide suprême Ali Khamenei qui devait trancher le débat.
Dans un discours très attendu devant des dizaines de milliers de fidèles, Ali Khamenei est intervenu depuis l’Université de Téhéran lors de la prière du vendredi, pour donner son verdict au terme d’une semaine d’agitation de troubles sans précédent depuis la révolution iranienne de 1979, ayant suivi le scrutin du 12 juin. Il avait d’ailleurs clairement donné ses indications avant les élections. Il penchait nettement vers le candidat proche du peuple. Au soir du 12 juin, il avait déclaré jour de fête l’élection d’Ahmadinejad qui allait bouleverser le paysage politique d’un pays aux richesses fabuleuses et au passé glorieux.

photo Neda est devenue l’icône de la contestation dans le monde.

photo Neda Agha-Sultan, morte pour rien,
était bien belle!

Ceux qui espéraient une autre voix, s’accrochant à quelque lueur d’espoir ont rapidement été déçus. La seule concession qu’il avait faite, c’était d’ordonner au Conseil des gardiens de procéder au recomptage des 10% des urnes, ce qui n’allait pas changer le résultat des élections. “Certains s’imaginent que l’action de la rue permettra d’exercer des pressions contre le système et de forcer les autorités à fléchir face à la menace. Non cela est faux. Je veux qu’il y soit mis fin”. Ne mettant pas en doute les résultats, il remarque: “Si l’écart était de 100.000 voix ou 500.000 ou un million, on pourrait se dire qu’il pourrait y avoir eu fraude. Mais comment peut-on truquer 11 millions de voix?”. “Le peuple a choisi la meilleure personne. C’est un homme qui travaille ardemment (Il) a été élu par 24 millions de voix”. “Les responsables politiques qui ont une influence sur le peuple devraient faire très attention à leur comportement. S’ils agissent de façon extrémiste, cet extrémisme atteindra un point de non retour (…) Ils seront responsables pour le sang, la violence, le chaos”.

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Poings levés pour soutenir Ali Khamenei.

La participation à 85%, a estimé en outre le guide suprême, est une preuve de la vitalité du peuple iranien fidèle à la République islamique. Car “les différences sont entre nous, elles ne sont pas entre ceux qui défendent la République islamique et ceux qui s’y opposent”. Par la même occasion, Khamenei rendait hommage à Hachémi Rafsandjani, président de l’Assemblée des experts et principal soutien de Mir Hossein Moussavi. De fait, cet hommage ne trompait personne, car des milliers de tracts anti-Rafsandjani, avaient été distribués à l’université, comme l’a rapporté la BBC en persan. D’ailleurs, deux des enfants de Rafsandjani allaient être interdits de quitter le territoire, l’une de ses filles était arrêtée puis relâchée de même que cinq de ses proches.
Dans son prêche, Khamanei s’en prenait vivement aux chancelleries occidentales notamment à la Grande-Bretagne accusés d’encourager sinon de fomenter les troubles: “Les diplomates de plusieurs pays occidentaux qui nous parlaient jusqu’ici avec un langage diplomatique, ont montré leur vrai visage, en premier lieu le gouvernement britannique”. “A bas la Grande-Bretagne” a crié la foule qui fustigeait le Grand Satan américain. Ce qui lui a valu la réponse de Gordon Brown: “Le monde entier regarde l’Iran (et) le monde entier s’exprime”. A noter que ce différend s’envenime avec le gel de près d’un milliard d’euros et d’avoirs iraniens en Grande-Bretagne. Téhéran n’allait pas tarder à expulser deux diplomates britanniques, tandis que Londres y répondait par l’expulsion de deux diplomates iraniens.

photo Policiers motorisés pour neutraliser les émeutiers.

photo Manifestants contre les policiers lançant des pierres.

Polémique avec les grandes capitales et sur Internet
L’Iran accuse les grandes capitales d’ingérence dans ses affaires intérieures et son gouvernement a convié les représentants de 27 pays européens en poste à Téhéran, pour les prier de cesser toute ingérence dans ses affaires intérieures. Les capitales occidentales ont même conseillé à leurs ressortissants qui n’ont pas de travail essentiel en Iran de ne point y rester ou de ne pas s’y rendre. Certaines chancelleries comme celles du Royaume-Uni ont décidé de rapatrier les familles du personnel de leur ambassade, Londres continuant “à surveiller la situation avec la plus grande vigilance”.
Sarkozy a fustigé clairement le comportement des autorités iraniennes, “inexcusable”, dit-il, “face au désir légitime de vérité d’une grande partie de la population”. Angela Merkel a affirmé que “l’Allemagne est aux côtés de celles et ceux qui, en Iran, veulent faire usage de leur droit à s’exprimer et à se réunir librement”. L’Italie “affligée par les pertes de vies humaines”, a appelé l’Iran à résoudre “pacifiquement” la crise. L’Union européenne a durci le ton. Ban Ki-moon est sorti de son silence pour demander que cessent les arrestations et l’usage de la force, irritant de plus en plus les autorités iraniennes.
Accusé, notamment par les républicains de ne pas prendre position dans cette crise, Obama qui ne veut pas rompre les ponts avec l’Iran auquel il continue à tendre la main, s’est enfin exprimé clairement à ce sujet lors d’une conférence de presse se posant même, à l’instar des grandes capitales de “sérieuses questions sur la légitimité de la réélection” d’Ahmadinejad. “Les Etats-Unis, comme la communauté internationale, a-t-il indiqué, sont choqués et outrés par les menaces, les violences et les arrestations de ces derniers jours (…) J’ai clairement dit que les Etats-Unis respectent la souveraineté de la République islamique d’Iran et qu’ils ne s’ingèrent pas dans les affaires iraniennes, mais nous devons également porter témoignage du courage et de la dignité du peuple iranien et de la formidable ouverture au sein de la société iranienne”.
Pendant ce temps, le Conseil des gardiens de la Constitution a validé le scrutin du 12 juin. Mardi, la télévision publique a annoncé: “Le Conseil des gardiens rejette l’annulation des élections du 12 juin, disant qu’il n’y a aucune irrégularité majeure lors du déroulement du scrutin”, alors qu’il était appelé à examiner 646 recours électoraux. Le Conseil a, toutefois, demandé au guide suprême de prolonger de cinq jours le délai pour d’éventuels recours. Alors que le ministère de l’Intérieur a demandé à Moussavi de “respecter la loi et le vote du peuple et à se comporter en conformité avec la loi”, celui-ci a publié un rapport sur les fraudes et irrégularités présumées et réclame la création d’une “commission vérité”. Samedi, dans une lettre adressée à ses partisans, il s’en prenait même au guide suprême sans le nommer, l’accusant “de mettre en danger la République islamique”. Se disant prêt à mourir en martyr, il annonçait: “la révolution continue à travers le sang des martyrs”. Egalement sur son site Internet où à l’instar des autres dirigeants, il continue à s’exprimer.
Mahmoud Ahmadinejad et son gouvernement seront investis entre le 26 juillet et le 19 août. Tout serait-il déjà joué?

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4216 Du 27 Juin Au 4 Juillet 2009
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