Fanny Ardant jouera Médée et Phèdre au Temple de Bacchus à Baalbeck
“Du 10 au 14 juillet, je serai citoyenne libanaise”
De notre correspondante à Paris - Marie Bteiche

C’est l’événement de l’été au Liban: l’immense et talentueuse actrice française Fanny Ardant jouera à Baalbeck le 10 juillet deux rôles taillés à sa démesure: celui de Médée d’Euripide et de Phèdre de Racine; deux femmes déchirées par le même destin tragique, celui de la passion dévorante de l’amour. Depuis les années 80, Fanny Ardant tient un rôle prédominant au cinéma français mais, aussi, international. Dans son rôle d’héroïne dans La Femme d’à Côté, de François Truffaut, sa carrière monte en flèche, les grands metteurs en scène se l’arrachent et elle joue dans plus de 51 films, vingt pièces de théâtre et une quinzaine de séries télévisées. Qui n’a pas été ému par La vie est un roman, d’Alain Resnais; L’Amour à Mort du même metteur en scène; Le Conseil de Famille, de Costa Gavras; Callas For Ever, de Franco Zeffirelli? Elle a collecté hommages, médailles, oscars et en dépit de tous ses succès, a bien gardé la tête sur les épaules. J’ai eu le privilège d’être reçue au domicile de l’actrice, Bd St-Germain à Paris où elle m’a réservé un accueil chaleureux et convivial, à l’égal de son image. Son petit caniche blanc m’a aussi reçue à sa façon, aboyant fort et me léchant frénétiquement les pieds. Son appartement est un havre de paix où l’on respire, de par les meubles, les tableaux, la cheminée, les objets de décoration, toute la magie de l’art, l’intense sensibilité et les goûts éclectiques de sa propriétaire. Tout de suite, elle me met à l’aise m’offrant café, petits gâteaux et le fleuve de la conversation si riche qui s’ensuit. Belle, sympathique, aérienne, malicieuse, rêveuse, elle parle avec sa voix incantatrice et sensuelle.

photo Fanny Ardant dans la pièce Music Hall au Théatre des Bouffes au nord de Paris, janvier 2009.

photo Echanges d'impressions entre Fanny Ardant et notre collaboratrice Marie Bteiche à l'issue du concert de Feyrouz à la salle Pleyel.

Comment l’étudiante en sciences politiques a-t-elle décidé d’être actrice?
Les sciences politiques ont été mon tremplin pour aboutir à ce que je voulais faire vraiment. Quand j’ai dit à mes parents à la fin du lycée, que je voulais devenir actrice, ils m’ont répondu: “Mais non, fais tes études avant et après on verra”. Donc j’ai choisi les études les plus courtes et en France, ce sont les sciences politiques. En trois ans, j’ai eu mon diplôme qui fut comme un passeport pour la liberté et je suis devenue actrice. Très jeune, j’ai aimé aller au spectacle: théâtre, opéra, concert... j’adorais l’idée d’être un jour de l’autre côté du rideau.
Et tout à coup, j’ai commencé à jouer de grands personnages, à interpréter des textes et c’est parti comme ça.
Après, c’était comme un deal entre mes parents et moi. Avec le temps, je comprends un peu plus mes parents; ils devaient avoir peur de cette vie d’acteur, avec des hauts et des bas; mais maintenant je ne regrette rien. De toute façon, le temps que j’ai passé à faire mes sciences politiques, a été un temps où j’ai parlé, on a refait le monde; car maintenant on n’a jamais le temps de parler. En sciences politiques, je n’ai jamais vraiment beaucoup étudié mais j’ai parlé, parlé... beaucoup. J’ai beaucoup aimé ce temps.

photo Ardant au théâtre Saint-Martin pendant la remise des Césars en 1997.

photo Une actrice élégante et imprévisible.

Et ensuite vous avez été déçue?
Moi j’ai pensé que quand Che Guevara est mort, il n’y avait plus beaucoup d’espoir; c’était une figure emblématique, charismatique qui a disparu. Puis, la politique fut menée par de petits groupes qui n’avaient plus l’envergure d’avant.

Votre parcours est-il exceptionnel? Selon votre biographie, si j’ai bien compté, vous avez joué dans 51 films.
(Rires) Moi je n’ai pas compté.

Une douzaine de séries télévisées, une vingtaine de pièces de théâtre. Et trois filles: c’est énorme! Comment avez-vous géré tout cela?
Dans un grand désordre. J’ai vécu dans un désordre perpétuel, mais si je vous dis que j’aime le désordre, il y a une forme de cohérence, c’est l’ordre dans une certaine forme. C’est comme des tissus qui se déchirent, qu’on raccolle; c’est comme un fleuve qui passe et on rentre dans le courant. Je n’ai jamais pensé à la vie d’une manière bien définie: la famille, l’amour, le métier, le travail... non j’ai pensé que toujours tout était mélangé, comme étant emporté dans un fleuve. Enfin, c’est la vie quoi. J’ai adoré mon métier, j’adore ce que je fais. Donc je ne regrette rien...

photo Posant pour une séance de photos du film L'Ora di Punta au 64ème festival du film à Venise.

photo Fanny Ardant posant pour le film Callas Forever de Franco Zeffirelli.

D’ailleurs, on le sent à votre manière d’interpréter vos rôles, vous jouez avec votre cœur, avec vos tripes...
J’ai toujours aimé ce que j’ai fait, ce que j’ai choisi de faire, c’est parce que je l’aimais vraiment. Je n’ai jamais eu de stratégie bien définie, je n’ai jamais posé un programme strict à mon travail en me disant, ce serait bien maintenant avec un peu de comédie, faire un peu de tragédie; non, ma vie professionnelle a toujours été un cocktail de tout. Il y a eu des moments intenses, puis des moments plats. Vous savez la vie d’un acteur est toujours imprévisible, comme si on marchait dans la savane, il y a des lianes alors quelques fois on en prend une qui vous emmène peut-être très loin, puis avec d’autres, quelques fois “boum” ça casse.

Que vous a apporté votre union avec François Truffaut?
Le bonheur, beaucoup de bonheur...

Et beaucoup de créativité?
Oui, mais je ne me souviens que du bonheur.
La voix devient inflexible, le regard lointain et les grands yeux noirs remplis de larmes.

photo A Cannes, Fanny Ardant souriante
pour les photos du film Cendres et Sang.

photoAu 60ème dîner au Monolithe
à Cannes.

TOUJOURS L’AMOUR
Votre film fétiche “La femme d’à côté” a ému tellement de monde et beaucoup de femmes s’y sont retrouvées. Vous avez eu un succès monstre. Qu’avez-vous à dire sur ce film précisément?
Ça disait exactement ce que je pensais sur l’amour; que l’amour était irréductible, qu’on pouvait tout sacrifier pour l’amour, même perdre la vie, qu’il ne fallait pas être timide, froid, mais vivre à fond la vie. C’était mon premier film et c’était exactement ce que je pensais sur l’amour. J’étais donc éblouie de voir que je n’étais pas la seule à penser cela; puis il faut payer le prix. Vous savez dans les journaux vous avez l’horoscope avec: le travail, la santé, l’amour. Alors moi tout de suite je regardais l’amour (rires), car je pensais que c’était la chose la plus importante de la vie... C’est toute la vie. La femme d’à côté a représenté le côté heureux de la vie.

Beaucoup de femmes et d’hommes s’y sont identifiés.
Je sais, j’ai beaucoup rencontré de gens en France et à travers le monde entier et ils m’ont dit qu’ils se situaient précisément par rapport à ce film. Chacun porte en soi une histoire d’amour comme une épée qui fait mal; ensuite viennent la vie, la famille, les enfants qui fait que la vie s’arrange, mais il y a toujours des histoires qui vous empêchent de respirer et qui vous marquent à vie.

Le fait d’être fille d’officier a marqué une certaine rigueur dans votre vie, dans votre carrière?
Pas du tout. Au contraire, mon père était l’homme le plus libre que j’aie connu, le plus indépendant d’esprit, le plus insolent; il était officier dans la cavalerie, donc allait vite en tout. J’ai grandi avec un être très beau, très bon, comme un gentilhomme, cultivé, généreux, honnête et donc j’ai été très marquée par mon père; il adorait les chevaux, l’aventure et il aimait les êtres humains pour ce qu’ils étaient. Il n’avait aucune hiérarchie sociale et je suis tout comme lui, comme une marque de fabrique. Comme on avait grandi à Monaco, le prince de sang, comme la vendeuse de cartes postales, c’était pareil pour lui. Comme quoi pour lui l’argent n’avait jamais défini quelqu’un dans ses qualités humaines. La drôlerie, l’intelligence, la chaleur, c’était ça la vraie vie. L’appellation fille d’officier c’était un cliché, car grâce à ce père, moi j’ai été libre, libre.

Le film qui vous a le plus marquée?
C’est La femme d’à côté et je pense dans tous les restants de mes films, j’ai toujours aimé jouer un remake de l’héroïne, passionnée, amoureuse, défiant la vie pour ses passions... J’ai adoré ce rôle qui se calque à ma propre vie.

EXCITÉE DE VENIR AU LIBAN
A Baalbeck, combien de personnes serez-vous?

Juste deux personnes: moi et Sonia Wieder-Atherton, qui joue le violoncelle. C’est Médée qui déclame ses textes et en écho, en réponse, vient la musique. Moi je joue tous les personnages de Médée. J’ai toujours imaginé que comme si Médée se souvenait de toute cette histoire tragique, comme si elle aurait été en prison si l’on parlait d’une femme moderne et qu’elle aurait parlé à quelqu’un. Supposons vous et quand je vous aurai parlé de l’homme que j’ai aimé ou du père de la fiancée de l’homme que j’ai aimé. Souvent on endosse la personnalité de quelqu’un... On parle car tous les personnages qui ont habité votre vie, on les fait tous revivre à celui qui vous écoute. Car l’histoire de Médée, c’est l’histoire vécue par elle; elle se souvient de ce que lui a dit Jason, de ce que lui a dit Créon, de ce que lui a dit sa nounou, de ce que lui a dit le cœur, mais tout passe par cette seule femme et l’écho c’est le violoncelle qui intervient, car dès qu’on ne peut pas parler, la musique “dit”. Souvent la musique vient quand les mots sont pauvres. La sonorité du violoncelle de Sonia, c’est comme la sonorité d’une voix qui vous dit quelque chose. Donc on va partir comme sur un tapis volant et on va venir vous voir au Liban. Je suis très excitée de m’y rendre, car cela fait des années que j’entends parler de ce beau pays. Pour moi, les pays sont toujours vus d’une façon romanesque. Ils ne sont jamais réalistes, je les vois à travers leur poésie, leur musique, leur littérature, jamais à travers la politique. Ce qui représente le plus un pays, c’est son art, c’est sa façon de vivre, ce qui se dégage de son peuple. A Baalbeck, je viens donner quelque chose, mais pendant trois ou quatre jours, moi je ferai partie de la ville, je serai citoyenne de Baalbeck. Je ne serai pas le touriste idiot qui va regarder et prendre des photos. J’ai toujours été dans les pays, parce que je venais faire quelque chose et que par cette magie du théâtre ou du cinéma, ou de la musique je faisais partie d’eux. Donc pendant ces trois ou quatre jours, je serai libanaise. Tous les artistes qui y ont été m’ont parlé de Baalbeck. Et d’ajouter, j’adore Gebran et son prophète et Feyrouz, que j’écoute souvent, d’ailleurs, j’ai tous ses disques. Elle a une voix magique. J’apprécie beaucoup la cuisine libanaise et, surtout, le tabboulé.

Que fait Fanny Ardant l’actrice de ses moments de loisirs?
Je lis, je joue du piano, j’écris, je rêve beaucoup aussi. Je n’ai pas de vie mondaine, ça ne m’intéresse pas. Mais j’aime beaucoup Paris et quand j’y retourne après un voyage je dis ouf, vive la pollution!

Article paru dans "La Revue du Liban" N° 4217 Du 4 Au 11 Juillet 2009
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