Fouad Sanioura s’en va, laissant derrière lui un bilan contesté. Pour la majorité plurielle - ce pluriel est bien singulier comme disait l’autre - sa chorale égrène un chapelet de louanges à réduire au silence les neufs chœurs des Anges. Tandis qu’au nom de l’ensemble de l’opposition, le général Aoun embouche les trompettes du Jugement dernier pour stigmatiser les deux gouvernements Sanioura consécutifs. Pour lui et des alliés, le Liban accuse non seulement un net recul par rapport au début du siècle, mais il est en régression catastrophique depuis le milieu du siècle dernier.
“Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité”. Sur le plan de la politique étrangère, le gouvernement Sanioura a réalisé au profit du Liban de grandes choses en véritable homme d’Etat. C’est à son gouvernement, du moins le premier, que nous devons entre autres: le Tribunal international, Paris III, l’échange d’ambassadeurs entre le Liban et la Syrie pour la première fois dans leur Histoire, la résolution 1701 des Nations unies qui ordonne le cessez-le-feu, le retrait de l’armée israélienne, le déploiement de l’Armée libanaise dans le Sud, jusqu’aux frontières et décrète l’envoi de 15.000 soldats et officiers internationaux, sous commandement de l’ONU pour la sécurité des frontières. Ce n’est pas rien tout ça et c’est toutes des premières fois dans l’Histoire de ce pays.
Par contre, sur le plan de la politique intérieure, la carence défie le plus élémentaire sens commun. Le proverbe dit: “Dans le doute abstiens-toi”. Le président Sanioura devrait probablement faire de ce proverbe sa devise, puisqu’à force de douter, il a fini par complètement s’abstenir.
Or, à part les problèmes domestiques sur lesquels le Sanioura bis a fait l’impasse, il y a dans les tiroirs de la présidence du Conseil des ministres, au moins une dizaine de projets de lois, d’intérêt général, enfermés sous clé. Tel, par exemple, le projet du mariage civil facultatif.
Ce projet dû à l’initiative du président Elias Hraoui fut débattu en Conseil des ministres et voté le 18 mars 1998, par une majorité de 22 voix sur 30, majorité qui dépasse les 2/3 requis. Normalement, un tel projet aurait dû être envoyé au parlement. Court-circuité, le président Rafik Hariri s’est empressé de le reléguer dans ses tiroirs, pour ne pas provoquer une levée de boucliers et se mettre à dos les communautés religieuses, jalouses du droit absolu qu’elles exercent dans le domaine du statut personnel.
Il existe au Liban 18 communautés religieuses (Smalla!), chacune ayant ses lois, ses règlements, ses interdits, ses prérogatives sur lesquelles elles sont à cheval. Les laïcs libanais qui doivent nécessairement se soumettre à l’une ou à l’autre de ces communautés, n’ont pas la liberté du choix. Et là, on se demande selon quel critère réclame-t-on une union nationale quand les Libanais sont légalement et socialement différents les uns des autres? Car de la naissance à la mort, le Code du statut personnel, en vigueur au Liban, les sépare carrément.
Certains en accusent le confessionnalisme. C’est vrai. Mais il y a d’autres moyens de supprimer le confessionnalisme, sans tapage, par une série de lois à connotation laïque. Ainsi en est-il du mariage civil. En principe, un homme et une femme de religions différentes doivent obligatoirement se marier soit dans la communauté du futur mari, soit dans celle de la femme. Si ni l’un ni l’autre ne veut céder pour ménager sa famille, ils sont dans une impasse dont ils ne peuvent sortir que grâce à un mariage civil qui établit automatiquement entre époux l’égalité des chances. Il y a aussi des couples divorcés que l’Eglise refuse de marier. Il y a ceux qui croient que l’essence même du mariage réside dans le consentement mutuel et qui ne veulent pas passer par un curé ou un cheikh. Il y a ceux qui sont de confession non reconnue au Liban que personne n’accepte de marier à moins qu’ils se convertissent. Ce qui est à la fois une contrainte morale et un viol de conscience.
Ça l’est en effet puisque le mariage du libre choix, le mariage civil n’existe pas au Liban. C’est d’autant plus ridicule, que les autorités libanaises légalisent les mariages civils contractés à l’étranger par deux Libanais. Ce qui explique que pour éviter de passer sous les fourches Caudines des communautés religieuses, les Libanais sont de plus en plus nombreux à prendre l’avion pour Chypre où le mariage civil est une simple formalité.
Quant au reste: divorce, garde des enfants, adoption, pension alimentaire, droit de visite etc... L’Etat libanais a tout simplement abdiqué droits et pouvoirs en faveur des communautés.
Une dernière note, optimiste celle-là, la chanson “gai, gai, marions-nous...” Ce qui ne semble pas l’avis de cet humoriste qui dit: “L’amour est l’étoile que l’on regarde en suivant le chemin de la vie et le mariage est le trou où l’on tombe en regardant cette étoile”.
Après tout, pourquoi pas? Le mariage civil pourrait justement être cette porte de sortie qu’on se ménage pour éviter de tomber dans le trou.
|