Forte personnalité au destin agité, Jean-Claude Barreau a eu plusieurs vies. Né d’une mère juive, il s’est converti au catholicisme, est entré dans les ordres et est devenu prêtre ouvrier s’occupant des jeunes de la rue, avant d’abandonner la prêtrise pour se marier et devenir éditeur. On le retrouvera conseiller de François Mitterrand dans les années 1980, président de l’Office des migrations internationales et directeur de l’Institut national d’études démographiques. De 1993 à 1997, il est conseiller pour l’immigration des ministres de l’Intérieur Charles Pasqua et Jean-Louis Debré. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs à succès, notamment avec Toute l’histoire du monde. Cet anticonformiste vient de publier un livre retentissant, où il reprend l’historique de la création de l’Etat d’Israël, ainsi que la philosophie du sionisme: Tout ce que vous avez voulu savoir sur Israël sans avoir jamais osé le demander, aux éditions du Toucan (Paris).
Dans votre dernier ouvrage, vous racontez votre sympathie première pour la création de l’Etat sioniste, mais vous finissez par dénoncer ses exactions au fil des années et son entêtement actuel qui bloque tout processus de paix. Pourriez-vous préciser le cheminement de votre pensée?
Mes parents m’ont abandonné quand je suis né, mais ma mère était juive et j’ai été élevé par deux grands-pères. Mon grand-père maternel juif mais athée et fuyait la compagnie des religieux, mon autre grand-père bourguignon franc-maçon et également athée. Finalement, je me suis converti au christianisme. Entre-temps, je me suis rendu en Israël. J’avais 17 ans, à cette époque en France, après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup s’intéressaient à deux systèmes originaux: la Yougoslavie de l’autogestion et Israël des Kibboutz. J’ai voulu aller en Israël pour vivre l’expérience des kibboutz. J’étais intéressé par cet esprit pionnier. Plus tard, en suivant les cours de l’Ecole qui conduisait à l’administration des colonies, j’ai compris qu’Israël était très précisément une colonie. En réalité, le sionisme s’est installé à partir de 1920 et Israël n’est pas né en 1948, mais d’un processus de colonisation typique, une colonisation de peuplement qui a débuté massivement dès les années 1920.
Selon vous, ce n’est pas à cause de la persécution hitlérienne que le sionisme s’est développé mais bien avant sur une idéologie?
J’affirme qu’Israël est une théocratie fondée par des athées, dans les années 1950, l’ambiance y était très laïque, on élevait même des porcs dans les kibboutz. Israël devait devenir théocratique, parce qu’il n’y avait pas d’autres fondements pour créer cet Etat qui ne reposait sur aucun droit. L’auteur d’un des grands ouvrages du XXème siècle intitulé: Le zéro et l’infini, Arthur Koestler, qui avait été un sioniste acharné et même préconisé le terrorisme sioniste, a écrit dans La Treizième tribu que les juifs du Nord, les ashkénazes n’ont, historiquement, aucun lien avec les juifs orientaux, les sépharades.
Les ashkénazes ne sont pas des sémites. Ils sont les descendants des Khazars, lesquels se sont convertis au judaïsme, après avoir hésité entre le christianisme et l’islam. Quand on lit Koestler, on comprend que l’idée du judaïsme lié à la race, vient d’un concept allemand du XIXème siècle. Le sionisme est une idéologie sœur des idéologies germaniques du XIXème siècle qui identifient la nation à la race, à la différence de l’analyse française de la nation, par exemple celle de Renan. Les sionistes ont donc suivi le modèle européen-allemand de l’époque qui était le national-racialisme et le colonialisme. Ce rapprochement entre le sionisme et l’idéologie allemande explique peut-être que, malgré les horreurs que les juifs ont subies de la part de l’Allemagne, les Israéliens admirent les Allemands.
Le retour est un mythe sioniste
Dans ces conditions que faut-il penser de l’idée sioniste du retour?
C’est un mythe, car on ne peut revenir dans un endroit où l’on n’a jamais été. Le sionisme qui a conduit à Israël est une colonisation de peuplement. Les ancêtres des colons sionistes n’avaient, bien entendu, jamais vécu sur cette terre. Parlant de juif, Ben Gourion lui-même avait déclaré que les vrais juifs sont les Palestiniens. Quant à la race, Arafat était certainement plus sémite qu’Ariel Sharon qui est d’origine polonaise. Le sionisme ce n’est pas un retour, c’est une conquête, une conquête coloniale aux dépens d’un peuple, les Palestiniens. Comme la conquête de l’Amérique s’est faite aux dépens des Indiens! De même, en 1947-48, il n’y a pas eu de guerre d’indépendance, mais une guerre de colonisation. Israël est une colonisation de peuplement, donc la pire des colonisations, puisqu’elle vise à nier l’existence de l’autre.
C’est donc une colonisation fondée sur un mythe mais, aussi, sur le mensonge, selon lequel la Palestine aurait été une terre sans peuple?
Les pères fondateurs de l’Etat ont affirmé que la Palestine n’était peuplée que de nomades et était, en quelque sorte, une “terre sans peuple”. Quand ils se sont rendu compte que le peuple palestinien était bien réel et qu’ils vivaient et cultivaient ses terres ancestrales, les sionistes ont décidé d’expulser cette population. L’expulsion des Palestiniens était programmée; elle a, en partie, réussi en 48 grâce à une conquête d’une extrême violence, rappelons-nous les massacres des villages comme Dar Yassine. En 1967, cela a été plus difficile. Israël se retrouve à occuper 5 millions de Palestiniens, musulmans et chrétiens. Du coup, l’armée israélienne, Tsahal, est devenue une armée d’occupation, utilisant les méthodes répressives de toutes les armées d’occupation. Ce n’est pas ainsi que les soldats israéliens vont se maintenir à un bon niveau militaire; d’ailleurs, ils se sont fait battre au Liban en 2006.
Israël a corrompu l’idéal spirituel du judaïsme
Pourquoi avez-vous écrit ce livre?
C’est un sujet qui m’intéresse vivement. Certains, comme Bernard-Henri Lévy font des livres lisses et conformistes pour plaire à tout le monde et, en réalité, ces livres sont vides. Pour ma part, j’écris des essais sur des sujets brûlants dont personne ne parle. Un essayiste doit parler de problèmes controversés, mais surtout essayer de clarifier les choses.
Soyons clairs, ce livre n’est pas un règlement de compte, il n’est pas par principe hostile à Israël et encore moins au judaïsme, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec le projet politique israélien. Il est consternant de constater qu’Israël a corrompu l’idéal spirituel du judaïsme. Ceci dit, je lance un signal d’alarme, si les Israéliens veulent durer, il faut qu’ils se retirent totalement et vite des territoires occupés en 1967. En y réfléchissant, nous constatons que l’idée même de la création de l’Etat d’Israël était absurde. Maintenant, ce pays existe, c’est un fait non pas lié à la Bible, mais à l’Histoire et à la force des armes. Il faut s’en accommoder, mais c’est aux Israéliens de faire des concessions s’ils veulent continuer à exister. Aujourd’hui, Israël est dans l’impasse. Il affronte un problème d’exode important et c’est, en général, l’élite qui quitte. De toute manière, aujourd’hui les extrémistes sont de plus en plus nombreux. Les Israéliens prétendent être une démocratie; cette dernière est peut être réelle à l’intérieur, mais elle est sans aucun doute oppressive à l’extérieur. L’Angleterre, aussi, était en démocratie lorsqu’elle massacrait les Irlandais au XIXème siècle! Il y a une minorité d’Israéliens qui ont conscience de cette grave situation.
Les Français de moins
en moins pro-israélien
Comment expliquer le soutien occidental d’Israël?
Aux Etats-Unis, l’administration craint l’AIPAC, le puissant lobby israélien qui est très puissant. Quant aux autres gouvernements, je pense qu’il y a dans le monde une crise de commandement. Nos dirigeants ne sont pas très brillants et ils sont manipulés par le perpétuel souvenir de la Shoah formidablement utilisé par Israël. C’est devenu obsessionnel, mais je pense surtout qu’Israël en a besoin pour se justifier.
Quid de la politique de la France?
Les intérêts de la France se trouvent clairement avec le monde arabe et non avec Israël. C’est ce qu’avait bien compris le général de Gaulle et cela a conduit à ce qu’on appelle la politique arabe de la France. Pour sa part, le peuple français est de moins en moins pro-israélien.
Comment est accueilli votre livre?
Mes livres sont, en général, bien médiatisés. J’ai toujours eu un bon contact avec les médias qui m’ont toujours invité à venir exposer mes arguments. Or, pour ce dernier ouvrage, c’est le silence quasi absolu! Une véritable chape de plomb. |